Les canicules sont-elles liées au réchauffement climatique ? Peut-on vraiment dire que le réchauffement climatique provoque les épisodes caniculaires ? Voyons ce que disent les études scientifiques récentes sur ce sujet.
Alors que débute une semaine de canicule intense en France et en Europe, beaucoup font volontiers le lien avec le réchauffement climatique. Le réchauffement climatique, qui provoque l’augmentation moyenne des températures de la planète à cause de l’effet de serre, serait responsable des épisodes de fortes chaleurs récents. Mais peut-on réellement affirmer que ces canicules soient la conséquence du réchauffement climatique ?
Dans le monde médiatique, le sujet fait parfois débat. Certains avancent que tel ou tel épisode météorologique est causé par le réchauffement climatique, tandis que d’autres affirment qu’il est impossible de faire un lien de causalité direct entre météo et climat. Alors, qu’en est-il vraiment ? Que disent les études scientifiques les plus récentes à ce sujet ? Voyons voir.
Canicule et réchauffement climatique : ne pas confondre météo et climat
Un premier point à garder en tête lorsque l’on analyse les évolutions météorologiques, c’est qu’il ne faut jamais confondre « météo » et « climat ». Le « climat » pour simplifier, c’est la structure des conditions climatiques sur la planète : la façon dont les vents, les précipitations et les pressions atmosphériques sont distribuées en moyenne sur terre et la façon dont elles évoluent au cours d’une année type. C’est donc une donnée générale, structurelle, une moyenne. Le climat de la planète est tel qu’en général, il fait froid en hiver au Canada par exemple. La « météo », à l’inverse renvoie aux conditions climatiques à un instant T et dans un lieu précis. Un jour donné, en fonction des conditions météo, il peut faire relativement chaud au Canada, même si c’est l’hiver. La météo varie constamment, tandis que le climat décrit des tendances plutôt stables, en principe.
Il est très important de ne pas confondre météo et climat car si ce sont deux réalités qui sont liées, elles ne sont pas équivalentes. Autrement dit, s’il fait chaud un jour d’hiver au Canada cela ne veut pas dire pour autant que le climat canadien est chaud en hiver en général. C’est la même chose avec le réchauffement climatique. Le réchauffement climatique signifie que le climat global se modifie et qu’en moyenne sur la planète il fait plus chaud. Mais cela ne signifie pas que partout et tout le temps la météo se réchauffe. Avec le réchauffement climatique, certains endroits se réchauffent plus que d’autres, et d’autres aspects du climat se modifient aussi : il pleut plus à certains endroits et moins à d’autres, les vents changent et avec ça les courants océaniques ou la répartition des pressions atmosphériques. C’est pour cette raison que l’on parle aussi bien souvent de changement climatique ou de dérèglement climatique.
En résumé, un évènement météorologique particulier, comme une canicule, n’est pas nécessairement typique de la structure climatique en général, et une modification de la structure climatique (comme le réchauffement climatique) n’implique pas forcément tel ou tel évènement météorologique particulier. Par exemple, les vagues de froid qui ont frappé les Etats-Unis ces dernières années ne sont pas le signe que le climat des Etats-Unis se refroidit, et cela n’est pas non plus contradictoire avec le réchauffement climatique. C’est la même chose pour les canicules : ce n’est pas parce qu’une canicule existe qu’elle est forcément causée par le réchauffement climatique. Il y a toujours eu des variations météorologiques, et personne ne peut dire si telle canicule aurait eu lieu sans réchauffement climatique.
Les liens entre canicule et réchauffement climatique : que disent les climatologues ?
Pourtant, il semble logique que s’il fait plus chaud sur la planète, cela puisse entraîner des épisodes de fortes chaleurs comme des canicules. Alors, y’a-t-il un lien établi entre les canicules actuelles et le réchauffement climatique ? Formellement non : comme on l’a dit, impossible de dire si telle ou telle canicule est la conséquence directe du réchauffement climatique. Néanmoins, on peut établir des liens de corrélation et des liens probabilistes, par exemple en examinant si, avec le réchauffement climatique, les probabilités de canicules sont ou non augmentées ou si leur intensité se modifie. C’est ce que font les chercheurs qui travaillent sur ce sujet.
Par exemple, une étude menée en 2013 par des chercheurs des Universités de Potsdam et de Madrid montrait que les records de chaleur sur la planète étaient dépassés 5 fois plus fréquemment aujourd’hui que sous un climat sans réchauffement climatique. Les scientifiques à l’origine de l’étude en déduisaient que statistiquement, aujourd’hui, 4 nouveau record de chaleur sur 5 étaient causés par le réchauffement climatique. Une autre étude publiée dans la Revue Nature Climate Change concluait que le réchauffement climatique multipliait les risques statistiques de vagues de chaleur aux Etats-Unis. Autre exemple : une revue de l’Union of Concerned Scientists analysant la littérature scientifique récente sur le sujet, montre que les épisodes de canicules sont à la fois plus fréquents et plus intenses ces dernières décennies que dans le passé aux Etats-Unis.
Grâce à ce types d’études, on sait désormais que le réchauffement climatique augmente à la fois la fréquence et l’intensité des canicules. D’autres analyses du même type ont été menées en Europe. La plus récente, menée par le World Weather Attribution a analysé la fréquence actuelle des canicules et vagues de chaleur sur le Nord de l’Europe et les a comparé aux fréquences attendues dans un climat sans réchauffement climatique (basé à la fois sur des analyses historiques et des modèles par ordinateur). Les résultats montrent que le réchauffement climatique multiplie par deux les risques de survenue de canicules sur ces régions.
La canicule peut-elle être attribuée au réchauffement climatique : être prudent sans entretenir la confusion
Aujourd’hui, la science climatique tente d’aller encore plus loin, grâce à ce que l’on appelle les méthodes de « détection et attribution du changement climatique ». L’idée de ces méthodes, c’est d’essayer justement de savoir si tel ou tel évènement météorologique pourrait ou non être attribué au réchauffement climatique. Bien que ces méthodes soient récentes, elles ont d’ores et déjà abouti à des études scientifiques. L’une d’entre elles, publiée dans la revue Advancing Earth and Space Science par exemple affirme que l’on peut être « virtuellement certain » que la canicule de l’hémisphère-nord de 2018 est attribuable au réchauffement climatique. Les scientifiques tentent donc de modéliser et de comprendre les liens entre ces épisodes de chaleur et le réchauffement climatique, mais laissent toujours la place à la nuance.
L’enjeu est là, la nuance, et il est important. Car affirmer de manière trop catégorique que telle ou telle canicule est forcément et sans aucun doute possible la conséquence du seul réchauffement climatique revient à faire des raccourcis et à créer des confusions entre météo et climat. Confusions qui peuvent-être ensuite retournées contre la science climatique, par exemple quand certains affirment qu’une vague de froid démontre l’absence de réchauffement climatique. Il faut donc être capable d’être prudent, de ne pas aller au-delà de ce que la science peut prouver, tout en étant suffisamment précis pour que les enjeux soient bien posés.
Il reste difficile d’affirmer simplement que telle ou telle canicule soit la conséquence directe du réchauffement climatique. Mais cela ne doit pas nous inciter à oublier les risques et les liens qui sont scientifiquement établis entre la crise climatique et canicule. On doit comprendre que le réchauffement climatique accroît la fréquence et l’intensité des canicules. On doit comprendre que l’une des conséquences certaines du réchauffement climatique est d’accroître le risque de canicule ainsi que leur force. Et que cela fait peser des risques majeures à nos sociétés : des risques sanitaires, des risques environnementaux, des risques économiques et sociaux. Des risques auxquels il faut se préparer, à défaut d’avoir aujourd’hui trouvé le moyen de les limiter.