En fait-on vraiment assez pour lutter contre le changement climatique ? La promotion des énergies renouvelables suffira-t-elle à nous sortir de l’impasse ? Que faudrait-il vraiment faire ? Explications.
De plus en plus, nous entendons parler de la nécessité de revoir notre mode vie pour polluer moins et pour lutter contre le réchauffement climatique. Éteindre les lumières, moins prendre sa voiture, manger moins de viande… autant de conseils donnés par les experts du sujet pour réduire notre empreinte carbone. Mais cela suffira-til ? Comme nous vous l’expliquions récemment dans notre article « Un mode de vie respectueux du climat, est-ce vraiment possible ?« , si nous voulions arrêter de détraquer le climat, nous devrions nous limiter à 1.2 tonnes de CO2 par an et par habitant… alors que nous en émettons environ 8 fois plus !
Compte tenu de nos capacités actuelles, cela voudrait dire que l’on devrait utiliser 10 fois moins de chauffage qu’aujourd’hui, se limiter à 2 000 ou 3 000 km de voiture par personne et par au maximum (alors que la moyenne française est à 12 600 km…), réduire drastiquement nos consommations énergétiques…. Autrement dit, cela semble pratiquement impossible compte tenu de notre structure économique et sociale… Comment en effet envisager de ne rouler que 3 000 km par an sachant que la plupart des français en parcourent déjà 6 000 chacun rien que pour aller au travail ? Comment diviser par 10 nos consommations énergétiques pour le chauffage sans se geler dans son appartement ? Impossible. Mais alors, sommes nous condamnés ? Y’a-t-il une solution ? Et quelle est-elle ? On vous explique.
La lutte contre le réchauffement climatique : une question d’énergie
En fait, pour que notre mode de vie devienne réellement écologique (au sens du changement climatique en tout cas) il faudrait d’abord résoudre une question essentielle : celle de l’énergie. Par essence, le mode de vie des sociétés modernes est ultra dépendant de l’énergie : résultat, nous en consommons énormément. Par exemple, nous nous déplaçons encore essentiellement en voiture, et cela nécessite du pétrole. Toute notre vie quotidienne dépend de l’électricité, des appareils électroménagers à la télévision en passant par internet, l’éclairage, le transport ou le chauffage. Pour l’essentiel, c’est cette consommation d’énergie qui pollue en émettant du CO2. Pour réduire notre empreinte carbone et avoir un mode de vie réellement respectueux du climat, il faut donc agir sur nos consommations d’énergie, et pour cela nous n’avons que 3 modes d’actions possibles.
- Le premier, c’est de trouver des formes d’énergie qui émettent moins de CO2, comme les énergies renouvelables ou encore le nucléaire. Ainsi, on polluera moins par quantité d’énergie consommée.
- Le deuxième, c’est de rendre notre consommation d’énergie plus efficiente, par exemple en diminuant la consommation de nos appareils ou en améliorant l’isolation de nos logements. Ainsi, on aura besoin de moins d’énergie pour effectuer les mêmes choses.
- Et le troisième mode d’action, c’est de réduire notre consommation énergétique, réduire nos besoins en énergie. Par exemple, si nous habitions tous plus proche de nos commerces, nous n’aurions peut-être pas besoin de prendre la voiture (et donc de consommer de l’énergie) pour faire nos courses. Ainsi, on pourra vivre en dépensant moins d’énergie, et donc en polluant moins.
Qu’a-t-on fait jusqu’à aujourd’hui pour résoudre la question énergétique ?
À l’heure actuelle, nous avons déjà entamé des progrès dans les deux premiers modes d’actions. Nous faisons progressivement la transition vers des énergies décarbonées : en Europe notamment, nous avons développé depuis les années 1990 des énergies plus propres comme le renouvelable. En France, nous avons utilisé l’énergie nucléaire, qui n’émet presque pas de CO2, mais qui pose d’autres problèmes (notamment la question de la sûreté nucléaire et des réserves d’uranium qui ne sont pas inépuisables). Nous avons aussi tout doucement mis en place des programmes de rénovation énergétique ou d’efficacité énergétique pour réduire les besoins en énergie de nos logements, de nos voitures ou de nos processus de production. Ainsi, la RT 2020 impose que tous les logements soient correctement isolés pour éviter les pertes d’énergie. Et cela nous a permis de réduire en partie notre empreinte carbone.
Mais le vrai problème, c’est que ces actions ne sont pas du tout suffisantes pour atteindre un objectif d’1.22 tonnes de CO2 par an et par habitant. Par exemple, on estime que les meilleurs programmes d’isolation des bâtiments, couplés à une politique volontariste en matière d’économie d’énergie permettrait de réduire de 15 à 25% l’énergie consommée par les ménages pour leur logement. Or, les scénarios les plus optimistes, dont celui de négaWatt, estiment qu’il faudrait au minimum réduire de 63% notre consommation d’énergie primaire tout en faisant une transition massive vers une électricité 100% renouvelables si l’on voulait vivre sans détraquer le climat.
Le vrai problème, c’est que nous n’avons pas encore commencé à réfléchir à la troisième solution : réduire nos besoins. En effet, nous sommes encore tellement dépendants de l’énergie qu’il nous semble impossible d’en réduire notre consommation…
Et s’il fallait aller (vraiment) plus loin pour lutter contre le réchauffement climatique ?
Si l’on regarde la façon dont sont structurées nos vies, on se rend compte que tout est fait pour que l’on consomme beaucoup d’énergie, de façon presque irrationnelle.
Pour le logement par exemple, notre vision du « logement idéal » est bien souvent un logement très énergivore. 68% des français habitent dans un logement individuel (comme une maison individuelle), et 87% souhaiteraient vivre dans un logement individuel (plutôt que dans un habitat collectif type immeuble). Or, on sait que les logements individuels demandent plus d’énergie que les logements collectifs. D’abord parce qu’ils sont plus complexes à isoler, et ensuite parce qu’ils nécessitent plus de ressources à construire. D’autre part, chaque français occupe une surface moyenne de 45 m² (dans une maison individuelle), ou de 32m² (dans un appartement). Pour chauffer et éclairer une telle surface, il est évident qu’il faut de grandes quantités d’énergie. De plus, chaque foyer rêve d’avoir son propre lave-linge, sa propre box internet, ainsi qu’une grande baignoire pour prendre des bains. Et bien entendu, tous ces équipements et l’individuation des usages qu’ils entraînent nécessitent de l’énergie.
En matière d’urbanisme c’est la même chose : près de 33% des français voudraient vivre à la campagne, et 30% voudraient vivre en périphérie des villes ou à 45 minutes des centres villes. Cette volonté de « dispersion » a pour conséquence qu’aujourd’hui nos villes sont très éclatées. Par exemple, Paris et sa banlieue couvrent une surface de près de 3000 km². Et pour se déplacer dans cette zone (aller à son travail, profiter de ses loisirs, faire ses courses) on doit inévitablement prendre les transports… donc consommer de l’énergie. L’autre conséquence de cet étalement urbain, c’est que nous occupons chacun une surface au sol de plus en plus importante. En effet, chacun de nous voudrait un jardin, un grand jardin, une maison individuelle, un peu isolée, mais tout de même reliée au réseau de transport. Pour réussir ce modèle, on doit construire des routes, bétonner des surfaces naturelles, y détruire la biodiversité, artificialiser les sols. Et bien entendu tout cela coûte encore de l’énergie ! Et bien sûr, nous voulons tout cela sans renoncer au confort de la consommation moderne, à savoir des supermarchés, où nous nous rendons encore une fois en voiture. Au final, en moyenne un français parcourt près de 13 000 km par an en voiture (soit la distance entre la France et l’Australie).
En matière d’alimentation c’est la même chose : culturellement nous sommes en quelque sortes programmés pour constituer nos repas autour des produits animaux, qui nécessitent énormément d’énergie à produire et qui polluent beaucoup. Nous avons renoncé à des cultures plus rustiques comme les légumineuses, qui pourtant polluent très peu. Nous avons constitué un système agricole autour de la monoculture (qui permet des rendements très élevés), mais qui dépend fortement des machines et des pesticides. Et enfin, nous avons structuré notre alimentation autour de produits importés, qui ont été transportés sur des milliers de km avant d’atterrir dans notre assiette.
En fait, c’est toute notre structure de consommation qui est basée sur la consommation frénétique d’énergie. Puisque nos sociétés sont basées sur la croissance économique, elles doivent produire toujours plus. Et pour produire plus il faut consommer plus. Cela veut donc dire que nous produisons et consommons des produits qui sont sans cesse remplacés car de nouveaux apparaissent, des produits dont la logique n’est pas de durer mais d’être jetés et rachetés sans cesse. Pour preuve, chaque français change de téléphone en moyenne tous les 20 mois. Ce processus que l’économiste Joseph Aloïs Schumpeter nommait la « destruction créatrice » est la base de notre système économique : nous produisons, détruisons et recommençons. C’est ce qui crée l’innovation et le progrès bien sûr (la théorie économique de Schumpeter est d’ailleurs avant tout une théorie des grappes d’innovation). Mais c’est aussi ce qui fait que nous consommons toujours plus d’énergie. Et aujourd’hui, chaque produit « innovant » qui arrive sur nos marchés est un produit énergivore : les smartphones, les objets connectés, le digital…
Si l’on voulait réduire nos besoins en énergie, il faudrait donc revoir ce qui fait la base de notre mode de vie actuel. Mais c’est possible ! De nombreux experts expliquent ainsi qu’en changeant de regard sur nos modes de consommation, nous pourrions réduire vraiment nos besoins en énergie.
Comment transformer nos modes de vie pour lutter contre le changement climatique : des pistes
Mais alors quelles sont ces solutions ? Et cela veut-il dire que l’on devra renoncer à tout le confort moderne et revenir à l’âge de pierre ? Pas du tout.
Par exemple, il serait possible de penser des structures de logement différentes. Au lieu de vouloir tous une maison individuelle, nous pourrions vivre dans de petits habitats collectifs, ce qui nous permettrait de réduire nos consommations énergétiques et de ressources. Mais nous pourrions aussi imaginer des logements avec des pièces communes à partager entre plusieurs ménages. La cuisine pourrait par exemple être partagée entre les membres d’un même étage, ainsi que les appareils ménagers comme le lave-linge. Ainsi, on diminuerait mécaniquement la surface utilisée par chacun, et donc les besoins de chauffage ou en éclairage. C’est d’ailleurs ce que préconisent l’ADEME dans son rapport de prospective intitulé « Alléger l’empreinte environnementale de la consommation des français en 2030 » : des logements collectifs, plus petits, avec des pièces mutualisées, à partager. Et cela ne nuirait pas forcément à notre confort.
En matière de transport, c’est la même chose : en imaginant des villes moins étalées et plus concentrées, plus denses, avec des bassins d’emplois intégrés aux zones résidentielles, on pourrait largement réduire la distance que chacun doit parcourir chaque jour. L’idée de base est de nous rendre moins dépendants de la voiture, afin de réduire nos besoins en pétrole et en énergie (voir notre article détaillé : Une ville sans voiture : utopie ou réalité ?). Mais pour cela, il faudrait que nous arrêtions de vouloir chacun une maison avec un grand jardin en périphérie des centres villes. Les voitures électriques, l’intermodalité ou les transports en commun peuvent aussi être une partie de la solution, puisqu’ils émettent moins de CO2 qu’une voiture individuelle qui roule au pétrole (bien qu’ils ne remettent pas fondamentalement en cause le problème des pollutions liées à la dépendance aux transports – voir notre article : La voiture électrique : est-ce vraiment écologique ?).
En termes d’alimentation, là aussi on pourrait largement diminuer nos besoins en énergie, par exemple en se tournant vers un régime alimentaire plus végétal et en diminuant nos apports en produits animaux. Mais cela voudrait dire qu’il faut transformer l’ensemble de notre système culturel sur l’alimentation (arrêter de ne penser un repas qu’en terme de viande/poisson et « d’accompagnement ») mais aussi transformer notre système productif en misant beaucoup plus sur les cultures faibles en intensité carbone, nécessitant peu de pesticides… Il faudrait aussi revoir la notion de distribution, pour éviter que les denrées alimentaires traversent toute la France alors qu’elles pourraient être distribuées localement. C’est d’ailleurs la même chose en matière de consommation où il faudrait changer de logique, notamment en arrêtant de baser notre économie sur le renouvellement constant des besoins et de la consommation.
La solution pour lutter contre le changement climatique
Au final, ce que tous ces chiffres nous apprennent, c’est qu’il n’existe réellement que deux options pour lutter sérieusement contre le réchauffement climatique. La première consisterait à trouver une forme d’énergie qui nous permette de soutenir notre mode de vie actuel sans émettre de CO2. Une énergie 100% propre donc, qui nous permettrait de nous déplacer, de nous chauffer, de nous éclairer, de nous équiper et de nous alimenter comme aujourd’hui, mais sans émettre de gaz à effet de serre. Et aujourd’hui, cette énergie n’existe pas. La seconde option est simple : il s’agit d’effectuer une transition vers un mode de vie différent, qui nécessite beaucoup moins d’énergie. Dans la mesure où nous ne savons pas comment avoir une énergie propre, la seule solution semble être de (beaucoup) moins en consommer. Et pour cela, il faudra prendre le problème à bras le corps car de petits ajustements ne suffiront pas : il faudra revoir notre système économique et social dans son ensemble.
La plupart des discours politiques sur le sujet du développement durable entretiennent l’idée qu’il sera possible, à l’avenir, de continuer à vivre exactement comme aujourd’hui, mais sans polluer, notamment grâce à la généralisation de l’électricité renouvelable. Mais ce que les chiffres de tous les experts nous disent, c’est que tout cela est un mythe. Les études montrent que même avec 100% de notre électricité renouvelable, nous devrions encore réduire d’au moins 50 à 65% notre consommation d’énergie actuelle pour envisager d’être neutre en carbone. Et cela veut dire que nous allons devoir changer VRAIMENT nos modes de vie. L’idée d’une écologie sans effort ne résiste pas à l’analyse des faits. Cela ne veut pas pour autant dire qu’il faut renoncer à tout le progrès moderne et retourner à l’Âge de Pierre : des solutions existent. Mais leur mise en place nécessitera la transformation de nos référents culturels les plus ancrés. La seule question qui reste en suspend est donc la suivante : quand serons nous-prêts à accepter ces changements ?