Les filets fantômes : voilà un terme bien effrayant pour une réalité qui l’est tout autant ! Derrière ce terme se cache l’envers du décor de notre consommation insatiable de poisson, il s’agit des filets entiers ou en morceaux laissés en mer, voire abandonnés intentionnellement. Les raisons peuvent être multiples, il s’agit bien souvent d’un accident, l’outil de pêche ayant accroché le fond ou s’étant déchiré pendant la relève. Mais accident ou mauvaise intention le résultat est le même : ces outils de pêche continuent leur travail sous l’eau, à la dérive, ou accrochés aux fonds marins et détruisent une partie de la vie marine. Devant cette menace sur les écosystèmes océaniques, les pays s’organisent depuis 2009 et essayent de trouver des parades.
Filets fantômes : un impact sur les océans loin d’être négligeable
On commence à le savoir, nos mers deviennent petit à petit une véritable soupe de plastique. Et les filets fantômes représentent près de 10 % du total des déchets plastiques dans les océans, soit 640 000 tonnes en 2009 selon le programme des nations unies pour l’environnement (PNUE). Et il y a fort à parier que ce tonnage ait augmenté depuis !
Qui est responsable de la transformation d’un engin de pêche en filet fantôme ? À priori, un peu tout le monde : il s’agit bien souvent d’un accident, du moins dans les pays développés. Ou bien le navire à accroché un haut fond et y a laissé une partie du filet, voire celui-ci tout entier, ou celui-ci s’est déchiré lors de la remontée à bord. Les cas d’accidents varient selon la technique de pêche : un filet maillant risque d’être déchiré par un autre navire passant dessus, tandis qu’une senne ou un chalut seront plus fréquemment accrochés sur un haut fond.
Les engins de pêche coûtent cher aux marins pêcheurs, de 15 000 à 20 000 euros, qui n’ont donc aucun intérêt à les laisser au fond s’ils sont récupérables.
Néanmoins le résultat est le même : une fois seul en mer, le filet va continuer à piéger les espèces animales qui vont se dégrader, attirant ensuite des prédateurs charognards. Cette problématique peut sembler lointaine aux habitants de l’hémisphère Nord mais est bien plus préoccupante pour les riverains des lagons ou des barrières de corail. Ces écosystèmes exceptionnels abritent une biodiversité riche, qui sera très fortement impactée par un filet fantôme accroché sur le récif, tout comme le seront les populations brutalement concernées par une rencontre avec un requin…
Les filets actuels sont constitués de nylon, une fibre plastique très résistante au milieu marin mais absolument pas assimilable par l’environnement. C’est cette exigence de solidité qui prime à l’heure actuelle et qui limite les solutions techniques au problème des filets fantômes : le mauvais côté de cette solidité étant leur durée de dégradation dans l’environnement, estimée à 400 ans. Cela fait environ 50 ans que l’on pêche avec des filets en nylon… Et donc 50 ans que ceux-ci s’accumulent dans les mers du globe.
Pourtant ce ne sont pas les solutions qui manquent
Si le PNUE a commencé à s’intéresser à la problématique en 2009, cela fait longtemps que d’autres se sont penchés sur la question.
En France, on commence à s’intéresser à des filets… biodégradables. Dans les Hauts-de-France, le Parc naturel marin des estuaires picards et de la mer d’Opale veut promouvoir une campagne d’essais dans son programme d’action pour 2018. Cette année verra donc la mise au point d’un partenariat entre les pêcheurs et le pôle d’innovation Aquimer pour définir le cahier technique de ce filet de nouvelle génération. Mais pour que cet essai soit pleinement une réussite encore faut-il que les marins pêcheurs se saisissent de la problématique des filets fantômes plutôt que la nier, et ce n’est pas toujours le cas.
Au Chili, ce sont trois jeunes américains qui se sont saisis du problème. En effet, les pêcheurs locaux changent très fréquemment de filets, en brûlant, stockant ou en se débarrassant en mer des anciens devenus inutiles car irréparables. Les trois entrepreneurs y ont vu un filon et rachètent dorénavant les vieux filets, qui seront lavés, broyés puis fondus pour devenir la matière première permettant de créer des skates ou des lunettes de soleil, commercialisés aux États-Unis. En deux ans de fonctionnement, l’entreprise Bureo a permis de récolter près de 50 tonnes de plastique issues de filets qui seraient devenus fantômes sans cette action.
Aux Philippines aussi, on a trouvé un filon pour recycler les filets usagés ! Il passe cette fois par le premier producteur mondial de dalles de moquette, Interface, et par une petite société Philippine, Net-Works, qui récupère les filets abandonnés. Ceux-ci sont ensuite traités et recyclés en Slovénie pour fournir des dalles de moquette neuves commercialisées par Interface. Chaque filet rapporté est payé, ce qui permet d’alimenter une économie circulaire, où Net-Works offre du travail et des prestations sociales tout en protégeant l’environnement. En 4 ans, c’est ainsi 88 tonnes de plastique qui ont été sorties de l’océan ! Il faut aussi savoir que la production de nylon représente 45 % de l’impact environnemental d’une dalle de moquette.
Que ce soit en amont, lors de la production des filets, ou en aval une fois que le mal est fait, des solutions existent pour parer le danger des filets fantômes. Mais, si la récupération manuelle de ces filets reste possible sur le littoral des régions moins favorisées, elle n’est pas une solution pour la pêche hauturière comme la pratique les pays développés car le coût du repêchage en mer excède de loin les bénéfices attendus.
Alors comment les pays développés peuvent-ils apporter leur contribution à cette dépollution des océans ? En privilégiant les plastiques biodégradables pour les engins de pêche les plus à risque certes, mais aussi en limitant les méthodes de pêche les plus soumises à l’aléa de la perte de filet : l’interdiction de la pêche profonde au delà de 800 mètres dans les eaux européennes est un premier pas, elle est d’ailleurs entrée en vigueur le 12 Janvier.