Vous êtes écolo et vous consommez des produits écologiques ? C’est bien, mais ce n’est peut-être pas si utile que ça finalement. Décryptage.
Aujourd’hui de plus en plus d’individus se disent « écolo ». Vous en connaissez forcément, et vous en faites peut-être même partie vous-même. Ce sont ces personnes qui transforment progressivement leurs habitudes de consommation dans le but d’être plus respectueux de leur environnement. Ils achètent bio, sans emballage, sans additif, biodégradable… Ils dépensent du temps, de l’argent et de l’énergie pour trouver les produits les plus écolo : la dernière gourde en plastique recyclé, le téléphone éthique à base de matériaux sourcés, le producteur le plus bio, le plus local… Ils contraignent leur vie quotidienne pour trier parfaitement leurs déchets, pour recycler, amener leurs vieux appareils électroménagers dans des centres spécialisés.
Mais tout cela est-il vraiment utile ? Concrètement, est-ce que ça sert vraiment à quelque chose du point de vue environnemental ?
La théorie du colibri et la consommation responsable
Changer ses habitudes de consommation pour limiter son impact sur l’environnement ? Voilà une idée très répandue chez les écologiste. Elle est fondée sur une théorie très connue qu’on appelle « la Part du Colibri », d’après le titre d’un livre de Pierre Rabhi (intellectuel engagé dans les sujets d’écologie et d’agronomie notamment). Cette idée est simple : si chaque individu faisait un petit geste pour la planète, au final, cela aurait de grandes conséquences positives.
Sur la base de cette idée, on a développé des conseils simples pour « faire notre part du mouvement écologique » : éteindre les lumières en sortant d’une pièce, recycler, manger moins de viande, faire attention à ses déchets… Derrière cette notion il y a aussi l’idée que chaque geste, chaque action, chaque acte d’achat est au fond un acte moral, avec des conséquences sur notre écosystème. Et de plus en plus d’individus, des consommacteurs se lancent dans une telle démarche dans le but de réduire leur empreinte environnementale et in fine, améliorer l’impact sur l’environnement de notre société.
Le problème c’est que dans la réalité, les choses ne se passent pas vraiment comme ça.
L’écart comportement – impact : pourquoi mieux consommer n’a pas d’impact sur l’environnement
En effet, une étude menée en 2012 montre que lorsque l’on compare des individus ayant adopté des habitudes de consommation écolo avec des individus n’ayant aucune connaissance et aucune habitude en matière d’écologie, on ne trouve pas de différence statistiquement significative entre l’empreinte carbone des uns et des autres. Autrement dit, en moyenne les consommateurs les plus « écolos » dans leur vie quotidienne n’ont pas un meilleur impact sur l’environnement que ceux qui ne le sont pas.
Mais comment cela est-il possible ? Si dans ma vie quotidienne je fais tout pour recycler, limiter mes déchets, mieux manger et mieux consommer, pourquoi mon impact environnemental n’est-il pas meilleur que la moyenne ? Plusieurs raisons peuvent expliquer ces résultats :
- Des effets d’annulation. La mise en place de certains comportements « écolo » inclut souvent une part qui peut-être non écologique, et parfois cela finit par s’annuler. Ainsi, l’étude montre que lorsque des individus deviennent végan, leur empreinte carbone ne diminue pas forcément car ils ont tendance à reporter leur consommation de protéines sur des produits importés et / ou dont la production n’est pas nécessairement écologique. Par exemple, un régime vegan comporte beaucoup de pois chiches, dont 70% de la production est indienne, du soja ou ses dérivés, presque toujours importés (et impliqués dans la déforestation), ou de « superfoods » comme les graines de chia, dont la production est loin d’être écologique et dont l’importation contribue à alourdir le bilan environnemental. Un autre effet d’annulation peut-être lié au transport : si l’on décide d’acheter bio, ou sans emballage, cela implique souvent d’aller dans des épiceries spécialisées. Or si ces épiceries nécessitent de conduire plus longtemps en voiture pour y faire ses courses, il y a de fortes chances qu’au final, le bilan écologique soit nul (ou pire).
- Des effets de mésinformation. Il s’agit là des comportements qui sont connus pour être écologiques alors que la réalité est plus complexe : résultat le consommateur ne sait parfois même pas que son comportement « écolo » ne l’est en fait pas tant que ça. Ainsi, de nombreux consommateurs écolo utilisent désormais des poêles à bois pour leur chauffage. L’idée est que se chauffer avec le bois (une énergie renouvelable) serait plus écologique que de se chauffer à l’électricité par exemple. Or selon le contexte, le chauffage au bois peut-être plus polluant que le chauffage électrique, notamment en France où l’empreinte carbone de l’électricité est faible. En effet, si le bois que vous utilisez a du être coupé par des machines, transporté et vendu sous emballage sous forme de buches, il y a fort à parier qu’au final son empreinte carbone soit plus élevée que celle de votre électricité à chaleur produite égale. De même, beaucoup de consommateurs voient la consommation de fruits et légumes frais comme un acte écologique. Or plusieurs études ont montré qu’en moyenne les consommateurs qui utilisent des légumes surgelés gaspillent 2 fois moins que ceux qui ne consomment que des légumes frais. Au final, leur empreinte carbone est donc plus faible bien que dans l’imaginaire collectif, les légumes surgelés ne renvoient pas une image écolo.
- Des effets de paradoxes des modes de vie. Par exemple, beaucoup de consommateurs écolo partent vivre à la campagne car ils estiment qu’un mode de vie urbain ne peut pas satisfaire des critères écologiques. Or dans la pratique, on constate que les urbains ont un impact écologique plus faible que les personnes qui habitent en campagne ou en périphérie des villes, pour plusieurs raisons (ils utilisent moins leur voiture, leur logement consomme moins d’énergie et de ressources notamment). En voulant être écolo en habitant à la campagne ces « écolos » finissent par être moins écolos que la moyenne des urbains. C’est aussi le cas des individus qui sont écolo toute l’année mais choisissent de partir en vacances en avion durant l’été par exemple. Ou de ces « amoureux de la nature » qui font énormément de loisirs en pleine nature (plongée sous marine, trekking, safaris photo, ski…) qui sont systématiquement non-écologiques.
- Des effets de complaisance. Il s’agit de ces choix écologiques que l’on fait par « complaisance », ou parce qu’ils sont faciles à mettre en place. Par exemple, certains consommateurs vont se concentrer sur des gestes simples comme éteindre la lumière en sortant d’une pièce. Bien que cela soit utile, cela a un impact plus que marginal sur son empreinte environnementale. En revanche, lorsqu’il s’agit de choix bien plus efficaces sur le plan écologique, mais aussi plus difficiles à mettre en place (comme se forcer à moins prendre sa voiture), les consommateurs ont tendance à renoncer.
- Les choix des consommateurs ont des effets non systémiques. C’est une critique que l’on peut opposer à toute consommation responsable : elle n’a pas d’effet sur le système tant qu’une masse critique suffisante de consommateurs n’est pas atteinte. Par exemple, consommer des produits « écolo » n’a pas d’impact significatif sur la pollution générée sur Terre puisque globalement, cela n’a pas d’impact sur la façon dont l’industrie produit. Tant que ces consommations restent des marchés de niche, cela n’a que peu d’effet sur l’environnement global.
On appelle tous ces effets les « écarts comportement – impact » (ou behaviour – impact gap). A cause d’eux, on constate que les consommateurs qui se disent écolo sont rarement réellement plus écolo que la moyenne (leur empreinte carbone ou environnementale n’est pas plus faible en général).
La consommation écolo est-elle vraiment utile ?
Mais que conclure de tout ça ? Que consommer des produits écolo ne sert à rien ? Que mettre en place des gestes écolo ne sert à rien ? Pas vraiment. D’abord car il y a des gestes qui comptent vraiment : ceux qui ont un impact direct sur la pollution générée. Par exemple, chaque fois que vous décidez de ne pas prendre votre voiture, vous contribuez à réduire l’empreinte carbone globale puisque ce sont des émissions de CO2 qui ne sont pas créées (voir notre article : Les 5 gestes écolo les plus efficaces à mettre en place au quotidien). A l’inverse, lorsque vous décidez de ne pas manger de viande pour des convictions écologiques, cela ne change rien à la pollution mondiale puisque ce steak, que vous le mangiez ou non, a déjà contribué à la pollution.
Mais ce n’est pas pour ça que c’est inutile. En effet, en décidant de diminuer votre consommation de viande, en tant que consommateur, vous envoyez un signal aux marchés : le signal qu’il faut produire moins de viande. Et dans des cas comme celui-ci, si tout le monde s’y met de son côté, cela finira par influencer les acteurs de l’industrie, qui s’adapteront aux nouvelles exigences des consommateurs. Dans ce cas, la « part du colibri » fonctionne. Le problème, c’est que ce processus est lent, et il est complexe car il implique de lutter contre des référents culturels qui sont durement ancrés en nous. Ainsi, si on voit qu’en France la consommation de viande diminue, cela se fait tout doucement, trop lentement pour que cela ait un impact sur les problèmes comme le réchauffement climatique. C’est la même chose pour la consommation de produits dits « écolo » ou pour la consommation de produits issus de l’agriculture biologique.
Enfin, il faut préciser qu’il est toujours possible d’adopter un mode de vie réellement écolo. Il suffit pour cela d’être cohérent, de se renseigner, et de s’impliquer à fond dans sa démarche. Le problème, c’est que cela reste très compliqué car il y a des dilemmes difficiles à résoudre : vaut-il mieux conduire 3 km de plus pour aller à son épicerie bio ou consommer des produits industriels que l’on achète en bas de chez soi ? Vaut-il mieux consommer des produits locaux, ou des produits importés car ils poussent mieux à l’étranger ? Ce sont des questions auxquelles il n’y a pas de réponse simple. Et puis surtout, être un consommateur responsable demande du temps, de l’argent, de l’énergie : les produits bio, écolo ou made in France sont plus chers, plus difficiles à trouver… Au final, si l’on veut être investi à 100%, cela demande une énergie très importante. Et cette démarche fonctionne sur le principe des rendements décroissants : au-delà des grands gestes (ne plus prendre sa voiture, rénover son logement, faire moins d’enfants), tout investissement supplémentaire a des effets limités sur l’environnement par rapport à l’effort personnel que cela demande.
Au delà de la consommation environnementale, l’activisme politique
Et s’il était possible que les consommateurs responsables puissent utiliser cette énergie, ce temps et cet argent autrement, pour avoir vraiment un impact sur l’environnement global ?
C’est peut-être possible grâce à l’activisme politique. Imaginez : on estime qu’en 2017, le marché des produits d’entretien écologiques va atteindre 9.4 milliards de dollars globalement. Et si tout cet argent était utilisé pour faire du lobbying auprès des institutions politiques (européennes par exemple) dans le but de bannir les produits chimiques nocifs pour l’environnement et la santé ? Cela aurait bien plus d’impact.
Et si, plutôt que de dépenser son énergie à chercher des aliments dans des fermes locales et respectueuses de l’environnement, on employait cette énergie à faire du militantisme politique local afin d’inciter nos représentants politiques à favoriser ce type d’agriculture au niveau national ou local ? Et si plutôt que dépenser des fortunes dans des produits écologiques, on soutenait financièrement des associations ou des mouvements politiques qui portent l’écologie sur le devant de la scène politique et médiatique ? Et si les 9 % de français qui déclarent consommer des aliments biologiques tous les jours votaient vraiment pour les représentants politiques qui soutiennent l’agriculture biologique ? Et si les consommateurs éclairés finançaient les médias qui diffusent l’information sur l’environnement et l’écologie pour que tout le monde soit sensibilisé ?
Toutes ces actions permettraient de faire de l’écologie une question politique centrale, prise en charge par les gouvernements, plutôt qu’un marché de niche réservé à des consommateurs avertis. Cela permettrait de changer durablement les marchés, les structures sociales, les conditions de production, et notre vision de la consommation, plutôt que de se contenter de quelques consommateurs modèles vivant à contre courant des marchés. Au final, cela aurait plus d’impact que de consommer des produits écologiques, de façon isolée, car cela affecterait tout le monde.
Alors, si on passait de la simple consommation responsable à l’activisme responsable ?
[box] Sources :
- Maria Csutora, The ecological footprint of green and brown consumers. Introducing the behaviour-impact-gap (BIG) problem, 15th European Roundtable on Sustainable Consumption and Production 2012, May 2 – 4, Bregenz, Austria
- Oksana Mont, Eva Heiskanen, Kate Power and Helka Kuusi, Improving Nordic policymaking by dispelling myths on sustainable consumption, TEMA NORDEN, 2013[/box]