Quels risques le rejet des eaux contaminées dans l’océan représente-il pour les humains et pour l’environnement ? Pourquoi avoir écarté les autres solutions ? Tentons d’y voir plus clair.
Que faire des 1,25 millions de m3 d’eau contaminée de la centrale de Fukushima ? Fin 2020, le Japon a tranché après 7 ans de délibérations : ils seront rejetés à la mer. Le comité créé par le gouvernement japonais a jugé les solutions alternatives trop risquées ou trop compliquées à réaliser techniquement. Bien que jugé inoffensif par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le rejet de ces eaux a suscité de nombreuses contestations de la part des pêcheurs japonais mais aussi de pays voisins. Quels risques le rejet des eaux contaminées dans l’océan représente-il pour les humains et pour l’environnement ? Pourquoi avoir écarté les autres solutions ? Nous avons posé nos questions à Jean-Christophe Gariel, directeur général adjoint chargé de la santé et de l’environnement à l’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire (IRSN).
Le site de Fukushima arrive à saturation
En 2011, un tsunami dévastateur endommage les réacteurs de la centrale de Fukushima provoquant la surchauffe du cœur. Celui-ci fond et il faut alors le refroidir avec de grandes quantités d’eau. Cette eau, une fois passée par le cœur, s’infiltre dans les sous-sols. Chaque jour, 150 m3 d’eau contaminée doivent être pompés. Cette eau est stockée sur place puis est filtrée grâce à des résines échangeuses d’ions. Dans un procédé appelé ALPS (pour Advanced Liquid Processing System), ces résines sélectives absorbent chacune un certain atome. Une soixantaine de résines permet alors de débarrasser l’eau de presque tous ses composés radioactifs. Presque tous, sauf le tritium.
En effet, il n’existe pas aujourd’hui de moyen industriel capable de séparer le tritium de l’eau. Le tritium est un isotope de l’hydrogène, une version un peu différente de cet atome qui compose l’eau. Il se lie donc fortement à l’eau et est très difficile à éliminer. Le site contient maintenant 1,25 millions de m3 d’eau traitée qui contient du tritium. TEPCO, le gestionnaire des quatre réacteurs de Fukushima estime que le site atteindra sa capacité maximale en 2022.
Les solutions alternatives écartées
En 2013, le gouvernement japonais a mis en place un comité pour étudier les différentes options pour éliminer les eaux contaminées. Il a étudié le rejet en mer, le rejet dans l’atmosphère sous forme de vapeur d’eau, l’injection de l’eau dans le sous-sol, l’électrolyse de l’eau pour séparer le tritium ou le mélange de cette eau avec du béton pour l’entreposer sous terre. Ce comité a sorti un rapport en 2016 qui retient les solutions du rejet en mer et du rejet dans l’atmosphère sous forme de vapeur. Les autres solutions ont été écartées car il manque les compétences techniques pour les mettre en place.
Finalement, c’est le rejet dans l’océan qui sera retenu car il est jugé plus contrôlable que dans l’atmosphère. Des associations comme Greenpeace proposaient que TEPCO continue à stocker les eaux en attendant que le tritium disparaisse ou que l’on mette au point des techniques pour séparer le tritium de l’eau. Le tritium a une demi-vie de 12 ans, c’est-à-dire qu’il faut 12 ans pour que la moitié d’une quantité de tritium disparaisse. Les techniques de séparation du tritium de l’eau sont, elles, loin d’être abouties. Or TEPCO manque cruellement de temps alors que le site de stockage arrive à saturation. Un stockage dans une autre commune est peu envisageable, aucune ville n’acceptant ces eaux contaminées sur son territoire.
Le respect des seuils réglementaires
L’AIEA soutient la décision du Japon et affirme qu’il n’existe aucun risque pour la santé humaine ni celle de l’environnement. Jean-Christophe Gariel, directeur général adjoint chargé de la santé et de l’environnement à l’IRSN confirme cet avis. « Les gestionnaires feront en sorte que les eaux rejetées conservent la même concentration en tritium que l’eau que rejettent déjà les centrales nucléaires en fonctionnement normal. Les études montrent que cette concentration en tritium ne présente pas de danger pour les humains ni l’environnement. » Pour atteindre cette concentration, les eaux contaminées au tritium devront être diluées dans un volume 500 fois supérieur d’eau non polluée. Cela représente tout de même 625 millions de m3 d’eau de mer, soit près de 70 000 piscines olympiques.
Le défi de l’acceptabilité
La décision du gouvernement japonais de rejeter les eaux en mer a suscité beaucoup de contestations. De la part des pêcheurs locaux, d’abord, qui s’inquiètent du problème d’image que cela génère et de ne plus pouvoir vendre leur pêche. Les Etats riverains comme la Chine, la Corée du Sud et Taïwan ont aussi fait connaître leur opposition. « L’enjeu pour le gouvernement japonais est l’acceptabilité du projet », préconise Jean-Christophe Gariel, « il faut donner des garanties de transparence et initier une séquence de dialogue avec toutes les parties ».
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