Quelle est la différence entre l’inventaire national des émissions et l’empreinte carbone ? Souvent confondues, ces notions sont pourtant très différentes quant à leur périmètre. Selon le concept employé les chiffres n’ont pas le même sens et la même portée. On vous explique.
Lorsque l’on parle de réchauffement climatique, on entend souvent parler de bilan carbone, d’inventaire national ou encore d’empreinte carbone. Pourtant centrales, ces notions sont souvent confondues et font régulièrement l’objet de mauvaises interprétations. Elles font effectivement toutes deux références à des grandeurs physiques similaires, le dioxyde de carbone équivalent (CO2e) émis dans l’atmosphère, mais avec des différences de périmètres essentiels. Or ces distinctions sont trop souvent minimisées, voire ignorées, ce qui tend à produire un discours confus sur le sujet, voire à justifier l’inaction climatique.
Inventaire national du bilan carbone, empreinte carbone : de quoi parle-t-on ?
Les termes d’inventaire national ou d’empreinte carbone sont tous les deux des outils visant à mesurer une quantité de gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère (par une activité, un pays…). Le mot « carbone » fait ici référence à l’élément chimique « carbone (C) » présent dans le dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre impliqué dans le réchauffement climatique. Toutefois, les outils d’inventaire national ou d’empreinte carbone ne mesurent pas seulement le CO2 émis, mais aussi le méthane (CH4), et les autres gaz à effet de serre. On exprime un bilan d’inventaire national ou une empreinte carbone en CO2e ou CO2 équivalents, une grandeur physique qui permet d’évaluer la quantité de CO2 équivalente (en termes d’effet de serre) à la somme de tous les gaz émis dans l’atmosphère.
L’inventaire national du bilan carbone : une mesure limitée
Pour un territoire, l’inventaire national consiste à comptabiliser les émissions issues d’un territoire délimité. On parle alors des émissions de l’industrie, des ménages, de l’agriculture, bref, de toute l’activité économique d’un pays par exemple, mais uniquement des émissions réalisées à l’intérieur des frontières de ce pays. La figure ci-dessous donne par exemple une estimation des émissions cumulées des principaux pays pollueurs depuis le XVIIIème siècle.
Figure 1 : inventaire nationaux cumulés sur la période 1751-2017
Le mode de calcul de l’inventaire national du bilan carbone présente l’avantage d’être aisé à comptabiliser et à comprendre, et de fournir une idée assez précise de la pollution directe des acteurs économiques d’un territoire. À partir de ces mesures, il est possible d’estimer celle des particuliers. En observant ces données, notamment sur de longues périodes, on peut tirer un certain nombre de conclusions pertinentes. Mais cette méthode a une limite : elle ne prend pas en compte les émissions liées à l’activité d’un pays lorsqu’elles sont réalisées hors de ses frontières. Par exemple, si un pays importe énormément de biens manufacturés, les émissions liées à la fabrication de ces produits ne sont jamais intégrées dans l’inventaire national du pays. On peut ainsi avoir l’impression qu’un pays fait baisser ses émissions de gaz à effet de serre, alors qu’il a simplement délocalisé les émissions liées à sa consommation.
En particulier, le cas des inventaires nationaux uniquement annuels peut donc amener énormément de confusion et ainsi permettre à certains idéologues de faire passer des messages trompeurs. Sur le plan de la politique internationale spécifiquement, parler d’inventaire national des émissions carbone induit en erreur, car cette méthode de calcul ignore l’impact de notre mode de vie sur le reste du monde. C’est pourquoi depuis maintenant plusieurs années, cette méthode est fortement critiquée par les experts.
Un autre façon de compter : l’empreinte carbone
Pour avoir une idée plus précise des émissions de gaz à effet de serre d’un territoire, on utilise désormais plus volontiers la notion d’empreinte carbone. Le Haut conseil pour le climat la définit comme suit “la somme des émissions produites sur le territoire et des émissions liées aux produits importés et consommés, moins les émissions liées aux produits exportés”. Avec cette définition il est possible d’inclure nos émissions dites “nettes importées” Elles ”traduisent l’impact du mode de vie en France. Elles sont associées aux produits et services consommés en France qui proviennent de l’étranger, et pour lesquels les émissions sont comptabilisées ailleurs, moins celles associées aux produits et services produits en France qui sont consommés à l’étranger” explique le Haut conseil pour le climat. La France étant un ancien pays industrialisé, mais ayant une balance exportation-importation extrêmement déficitaire, on comprend aisément à quelle point passer d’une définition à l’autre change le résultat. En 2016 par exemple, d’après le Service des données et études statistiques (SDES) passer de la méthode de « l’inventaire national” à celle de “l’empreinte carbone” équivalait à passer de 438 millions de tonnes équivalent CO2, à 666 millions de tonnes pour la France.
La définition des émission dites “nettes importés” n’inclut pas l’impact de notre consommation électrique importé et exporté, bien qu’en France grâce aux interconnexions européennes, nous exportons principalement de l’électricité produite par les centrales nucléaires ou les énergies renouvelables, et que nous importons une part importante d’électricité produite par les énergies fossiles (gaz et charbon). Elle ne prend pas non plus en compte les émissions des transports internationaux comme les avions et les bateaux |
Ce que changent ces chiffres pour bien comprendre la géopolitique climatique
Ces différents chiffres et périmètres peuvent mener à des interprétations très diverses de la situation climatique. Ainsi, il est courant d’entendre que la responsabilité des pays européen (et notamment de la France) dans la crise climatique est négligeable, dans la mesure où elle ne représenterait “qu’1% des émissions”. Cet argument bien que correct est trompeur, et démobilisateur. En effet il s’agit d’une lecture basée sur son inventaire national annuel. Le problème c’est que les émissions annuelles dans un pays ne permettent pas de juger, seules, de l’impact de celui-ci, car d’une part l’on sait bien qu’aujourd’hui nous vivons dans une économie mondialisée, c’est-à-dire où les personnes, les marchandises et l’information circulent, et d’autre part nous bénéficions d’infrastructures historiques qui ont une responsabilité dans les émissions passées.
Le climat est un bien commun partagé par toute l’humanité, et pourtant la responsabilité des pollutions est quant à elle très inéquitablement partagée. En effet, au cours de l’histoire, et plus particulièrement depuis le début de la révolution industrielle (années 1750), un petit nombre de nations (les nations aujourd’hui les plus développées sur le plan industriel) ont été à l’origine de la grande majorité de ces émissions, tandis qu’aujourd’hui ce sont des pays qui n’y ont presque pas contribué qui subissent le plus les conséquences du réchauffement climatique.
L’invention de la machine à vapeur a accéléré l’industrialisation, entraînant une forte déforestation pour l’utilisation du bois-énergie puis l’utilisation massive du charbon. Aux siècles suivants, ce sont les usages des combustibles fossiles liquides à base de pétrole (notamment pour les véhicules à moteurs) et du gaz fossile pour l’industrie et le chauffage, qui ont explosé. Cela fait donc plus de 250 ans que des quantités significatives de gaz à effet de serre s’accumulent dans l’atmosphère.
Il faut donc comprendre que la France (comme tous les anciens pays développés) a une responsabilité historique élevée dans la crise climatique. Elle a été très tôt une nation industrielle et n’a jamais cessé de l’être. Nombre de ses industries se sont simplement délocalisées et elle s’est fournie en produits manufacturés ou en matières premières dans d’autres pays fraîchement industrialisés. Parallèlement elle s’est spécialisée dans les domaines tertiaires, arrivant en bout de chaîne, induisant par conséquent très peu d’émissions directes.
Du point de vue de l’inventaire national du bilan carbone c’est un avantage, mais du point de vue de l’empreinte carbone, et même de l’empreinte environnementale au sens large, c’est plutôt l’inverse, car ceux qui nous fournissent n’ont pas toujours des normes sociales et environnementales aussi sérieuses, donc le fait de délocaliser n’a pas eu comme conséquence uniquement de déplacer les émissions, mais il les a aussi augmenté. Avec la comptabilité basée sur cette fameuse empreinte carbone la France ne représente donc plus 1% mais presque 2% des émissions de gaz à effet de serre annuelles. Pourtant la France ne représente que 0,8 % de la population mondiale. Ramené au nombre d’habitant nous sommes encore loin de pays comme ceux d’Amérique du Nord, de l’Australie ou des Pays du Golfe, mais la France fait tout de même partie d’une minorité de pays aux modes de vie particulièrement émetteurs du point de vue des gaz à effet de serre.
D’autre part, nous profitons actuellement d’infrastructures, de services publics, d’une économie, qui se sont construits sur plus de deux siècles en émettant d’énormes quantités de gaz à effet de serre. Au-delà de cette responsabilité historique, la France a surtout une influence géopolitique et culturelle forte, c’est le soft power à la française, qu’elle peut mettre au service des peuples qui, en ce moment même, subissent de plein fouet les conséquences du dérèglement climatique. Elle pourrait davantage montrer l’exemple et encourager les autres pays développés à se saisir eux aussi des enjeux climatiques.
Comme le rappel le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui a sorti son dernier rapport le 4 avril (Groupe de travail III du GIEC, Changement climatique 2022: atténuation du changement climatique), il existe des solutions à mettre en œuvre dès aujourd’hui. Seule manque la volonté politique, qui est trop souvent influencée par une minorité privilégiée au sein même de ces pays développés, et ayant tout intérêt à ce que rien ne change, au dépend des peuples du monde.
Pour en savoir plus : Que dit le rapport du groupe 3 du GIEC ?
Photo par Marek Piwnicki sur Unsplash
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