Aurait-on sous-estimé l’impact climatique des feux de forêts ? C’est en tout cas ce que suggère une étude publiée dans la revue Frontiers in Climate. Au coeur du problème : les tourbières.
Ces dernières années ont été marquées par des incendies de forêts massifs dans de nombreux pays : Brésil, Indonésie, Australie, Canada, Etats-Unis… Pour les écosystèmes locaux et les espèces qui y vivent, ces incendies sont évidemment une catastrophe majeure. Mais les conséquences écologiques de ces évènements sont en réalité bien plus larges que ça : destruction des puits de carbone, pollutions atmosphériques, contribution au réchauffement climatique.
C’est sur ce dernier sujet que se penche une étude publiée dans la revue Frontiers in Climate. Les conclusions des chercheurs ? En résumé : les émissions de gaz à effet de serre liées aux feux de forêt seraient bien plus importantes qu’on l’envisageait jusqu’ici. En cause : la combustion des tourbières, ces écosystèmes riches en carbone qu’on trouve presque partout dans les forêts tropicales. On vous explique.
Incendies de forêt, tourbières et CO2 : une bombe climatique
L’étude, intitulée « Comprendre l’impact climatique des feux de forêt en Indonésie et au Brésil en 2019 et 2020 » s’est attachée à évaluer la quantité de matière végétale détruite par les feux de forêts dans ces deux pays. Pour cela, les chercheurs ont évalué à la fois la quantité de bois brûlée, mais aussi la quantité de tourbe détruite par les feux. La tourbe, c’est cette matière qui se forme lorsque des matières organiques végétales s’accumulent sur de longues périodes et fossilisent en grandes quantités, notamment en milieu humide. D’une certaine manière, la tourbe est assez proche de matières fossiles comme le charbon : une fois séchée, on peut s’en servir comme source d’énergie en la faisant brûler. Et comme le charbon, elle contient de grandes quantités de carbone (2 fois plus que n’importe quel autre type de végétation), carbone qui se dégage sous forme de CO2 dans l’atmosphère au moment de la combustion.
Le problème, c’est que les forêts tropicales sont généralement très riches en tourbe. La grande quantité de matière végétale produite par ces forêts, les conditions d’humidité importantes de ces zones et la température sont autant de conditions réunies pour la formation de tourbe. Au Brésil, en Indonésie, mais aussi dans les forêts tropicales du Congo, on trouve donc de la tourbe en abondance, ce qui pose un problème climatique majeur si ces zones sont victimes d’incendies.
Ainsi, les chercheurs estiment que rien qu’au Brésil et en Indonésie, les feux de forêts ont émis 2 à 4 milliards de tonnes de CO2 pour les années 2020 et 2019 respectivement. Ces émissions incluent toute la matière organique brûlée lors de ces feux catastrophiques : bois, végétaux, tourbe… Mais la combustion de la tourbe représenterait près de 50% de ces émissions. À eux seuls, ces deux pays représenteraient donc 3.5 à 7% des émissions de gaz à effet de serre mondiales, qui s’élèvent environ à 55 milliards de tonnes par an.
10 à 15 % des émissions globales liées aux incendies de forêt en 2019 et 2020
En extrapolant ces données à l’ensemble de la planète, les chercheurs estiment que les feux de forêts pourraient représenter entre 10 et 15% des émissions globales. Entre les feux des forêts tropicales en Amérique du Sud, en Asie du Sud-Est ou en Afrique Centrale, ceux des forêts boréales (Sibérie, Canada) ou ceux que l’on a pu observer en Australie ou aux Etats-Unis, la quantité de matière organique contenant du carbone ayant brûlé est considérable.
Globalement, la quantité de gaz à effet de serre générés par les feux de forêts serait près de trois fois supérieure à celle générée directement par l’aviation.
Ces données seraient deux à trois fois supérieures aux estimations précédentes sur le sujet, notamment à cause d’une sous-estimation massive de la combustion des tourbières. En effet, lors d’un incendie de forêt massif, la combustion des tourbières peut facilement passer inaperçu, puisque ces matières brûlent plus lentement, sans flammes apparentes. C’est en fait le sol qui est lentement rongé sous forme de braises, ce qui rend la détection par satellite de ce type de combustion presque impossible.
Lutter contre les feux de forêts et la combustion des tourbières
Ce constat démontre l’urgence de lutter contre les feux de forêts et en particulier contre la combustion des tourbières. Et les chercheurs pointent d’ailleurs quelques pistes qui pourraient permettre à la fois de réduire l’incidence de ces catastrophes écologiques, mais aussi de mesurer plus précisément leurs conséquences climatiques lorsqu’elles ont lieu malgré tout.
D’abord, il s’agirait de ralentir la surexploitation forestière et de limiter au maximum la pression sur la forêt. En effet, on constate souvent que les feux de forêts se produisent dans des zones fragilisées par la déforestation et la surexploitation liée à l’extension agricole notamment. La déforestation, en mettant à nu les tourbières, fragilisent également ces écosystèmes et facilitent à la fois leur exposition aux feux et leur dégradation.
L’autre enjeu, c’est de mieux mesurer et évaluer les surfaces de forêts et de tourbes, notamment les plus fragiles. En ayant une connaissance plus fine de la répartition de ces zones critiques, on pourrait mettre en place des stratégies de conservation et de protection plus efficaces. Il s’agirait alors de mettre en oeuvre une réglementation plus contraignante sur la protection de ces zones essentielles pour la lutte contre le réchauffement climatique.