Plus la compréhension du changement climatique avance, plus l’on découvre ses effets inattendus sur les écosystèmes. Parmi ces effets, celui mis en évidence par plusieurs récentes études américaines est particulièrement étonnant et inquiétant : le réchauffement climatique produit de ce que l’on appelle des « forêts fantômes ».
Les forêts fantômes, c’est quoi ?
On sait qu’avec le réchauffement climatique, la montée des eaux s’accélère pour deux raisons : d’abord parce que les glaces arctiques et antarctiques fondent ce qui fait qu’il y a plus d’eau dans les océans, mais surtout parce qu’avec l’augmentation des températures, l’eau des océans se dilate et son volume augmente. Le résultat concret de cette montée des eaux, c’est que les côtes terrestres sont lentement redessinées, certaines zones étant progressivement englouties par les eaux.
Mais l’un des résultats que l’on observe moins facilement, c’est comment la montée des eaux affecte les terres émergées proches des côtes. Or de récentes recherches montrent qu’avec la montée des eaux, de l’eau de mer a tendance à s’infiltrer dans les sols côtiers, notamment dans les zones de deltas ou d’embouchures de rivières et là où les côtes sont basses et sans reliefs. Or cette eau de mer, salée, a un effet important sur la qualité nutritive des sols puisque le sel a tendance à empêcher la flore de se développer.
C’est ce qui provoque les forêts fantômes : des infiltrations d’eau salée détruisent les forêts costales et les transforment progressivement en une sorte de marécage humide. Et quand, en plus, les fréquentes tempêtes contribuent à ramener de l’eau salée encore plus à l’intérieur, le phénomène peut prendre des ampleurs importantes. C’est ainsi que sur les côtes est-américaines, de la Floride jusqu’au Canada, on observe de plus en plus de zones de « forêts fantômes ». Mais le phénomène se retrouve partout dans le monde, notamment dans les grandes zones humides de l’Asie du Sud et du Sud-Est.
Les forêts fantômes : c’est grave ?
Oui, le phénomène des forêts fantômes est inquiétant.
D’abord parce qu’il signifie la disparition d’écosystèmes riches. Les forêts costales sont des lieux privilégiés pour la migration des oiseaux par exemple. Lorsque les arbres disparaissent, les oiseaux ne s’arrêtent plus, et la chaîne de l’écosystème est perturbée : les insectes se multiplient par exemple. Or il est très difficile de prévoir l’impact que peut avoir la disparition d’une partie de la biodiversité d’un écosystème (voir notre article : « Pourquoi la disparition de la biodiversité est un vrai danger« ), mais on sait déjà que la multiplication des populations de moustiques, parfois porteurs de parasites, peut être un danger pour les communautés proches.
D’autre part, la pourriture des végétaux liés à la présence de sel augmente les rejets de l’écosystème en nitrogène. Quand cela s’ajoute aux rejets de l’agriculture, cela créé des blooms d’algues vertes potentiellement néfaste pour toute la biodiversité locale.
Enfin, le danger tient aussi à la fragilisation des écosystèmes. Dans les espaces naturels, les arbres tendent à rendre le milieu plus stable : ils limitent l’érosion et l’usure des sols, empêchent le ruissellement des eaux. Avec la disparition des arbres, les côtes deviennent plus vulnérables aux tempêtes, aux inondations et à l’érosion.
Comment gérer les forêts fantômes ?
Cependant, tout n’est pas négatif : en effet, avec la multiplication des forêts fantômes, on a aussi pu observer notamment aux Etats-Unis la multiplication des populations de « croaker » (un poisson du genre Micropogonias). D’autre part, les recherches montrent que les marécages et les zones humides saumâtres peuvent avoir un rôle prépondérant dans la lutte et l’adaptation au changement climatique. En effet, ces zones ont une capacité importante à stocker le carbone à cause de la nature particulière de leur sol. Bien gérées, elles peuvent donc être une manière de réduire la concentration atmosphérique en CO2. Toutefois, si elles ne sont pas protégées, c’est l’inverse qui peut se produire : la fermentation des végétaux combinée à la chaleur pourrait dégager beaucoup de méthane.
Le problème, c’est que ces transformations des écosystèmes côtiers ont lieu très rapidement, beaucoup plus rapidement qu’elles n’ont pu avoir lieu dans l’histoire écologique depuis plusieurs millénaires. Et c’est la rapidité de ces changements qui est dangereuse car aucune anticipation n’a été faite sur les conséquences de ces changements. Aucune politique d’adaptation n’est pour l’instant en cours et les collectivités locales sont souvent prises de cours par le déclin brutaux des forêts qui les entourent et qui parfois leur servent de ressource.
Pour que les forêts fantômes soient gérer correctement il faudrait avoir le temps d’étudier ces écosystèmes nouveaux et de comprendre comment les protéger et les aménager pour qu’elles soient le plus productives possibles en terme de biodiversité et de stockage du carbone. Et pour l’instant, l’état de la recherche sur le sujet est encore loin d’être suffisant.