Le Jour du Dépassement est-il vraiment la date à partir de laquelle nous avons consommé toutes nos ressources ? Pas vraiment. On vous explique.
En 2018, le Jour du Dépassement est donc tombé le 1er août. Cette date marque le moment où chaque année, l’Humanité dépasse le seuil symbolique des capacités de renouvellement naturelles annuelles de la Terre.
On dit alors que l’Humanité vit « à crédit », qu’elle creuse son déficit par rapport aux capacités naturelles que la planète nous offre chaque année. Et tous les ans, cette date avance un peu plus dans le calendrier. En 1986, les sociétés humaines vivaient et consommaient sans dépasser les capacité naturelles de l’écosystème. Presque 10 ans plus tard, en 1995, le Jour du Dépassement tombait un 21 novembre. En 2008 c’était le 23 septembre et c’est désormais le 1er août. Concrètement, cela signifie qu’en à peine 8 mois, nous avons dépassé les limites que la planète peut encaisser en un an.
Mais l’idée du Jour du Dépassement nous induit en erreur. Elle nous laisse penser que nous avons « consommé » toutes les « ressources disponibles » pour l’année en seulement 8 mois. Elle nous pousse à raisonner en termes de stocks de ressources et de consommation. Mais est-ce vraiment le cas ? Avons nous vraiment consommé plus de poissons en 8 mois qu’il ne s’en renouvelle en 1 an ? Avons nous détruit plus de forêts en 8 mois qu’il n’en pousse en 1 an ?
La réponse est non : si c’était le cas, cela ferait longtemps que nous n’aurions plus du tout de ressources naturelles. Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous inquiéter, car le problème, lui, est réel. Explications
Le jour du dépassement : ce n’est pas une question de ressource
Pour calculer le jour du dépassement, on compare deux choses. D’un côté, la biocapacité de notre planète et de l’autre, notre empreinte écologique. La biocapacité c’est la capacité de notre planète à fournir des ressources en une année. Elle est calculée en observant les ressources disponibles sur la planète (le nombre d’hectares de forêts, le nombre d’hectares de pâturages ou de terres agricoles, la taille des populations de poissons ou d’animaux…) et en divisant ces chiffres par le nombre d’habitants de la planète. On obtient alors une valeur moyenne en hectares par personne qui indique de combien d’hectares / de ressources nous disposons par personne chaque année.
Cette biocapacité est ensuite comparée à notre empreinte écologique, c’est-à-dire à l’impact que notre vie a sur l’environnement. Là encore, on calcule cette empreinte écologique en hectares par personne. Concrètement, on calcule combien d’hectares de terres sont nécessaires à nos sociétés pour fonctionner, en comptant les ressources nécessaires, les services écosystémiques et les espaces associés (c’est notre empreinte écologique) et on compare ce chiffre à la biocapacité naturelle.
Or, si l’on observe les données fournies par le Global Footprint Network (organisme qui calcule le Jour du Dépassement), on se rend compte que le problème de notre empreinte écologique n’est pas une question de manque de ressource. En effet, que ce soit en termes de terres cultivables, de terres de pâturages, d’hectares de forêts ou de ressources halieutiques (les ressources de la pêche), notre empreinte écologique est inférieure à la biocapacité disponible de la Terre. Cela signifie concrètement que nous ne consommons pas plus de ressources que nous n’en disposons. Par exemple, la biocapacité naturelle de la terre en termes d’espaces forestiers est de 0.73 hectares par personne et par an et nous n’en consommons en moyenne que 0.27 hectares par personne chaque année. De la même façon, nous avons beaucoup plus d’espaces de pâturages disponibles que nous n’en consommons : 0.21 hectares par personne disponibles contre 0.16 utilisés.
D’ailleurs, il serait physiquement impossible que nous consommions plus de ressources que ce que la terre ne produit ou ne renouvelle : si c’était le cas, nous épuiserions rapidement les stocks et nous ne pourrions plus consommer. Mais alors quel est le problème ?
Une question énergétique et d’intensité carbone
Si l’analyse classique du Jour du Dépassement en termes de ressources est partiellement fausse, elle permet tout de même de comprendre qu’il y a urgence écologique. Mais cette urgence, en réalité, n’est pas liée à une question de ressources, mais à une question d’énergie et plus précisément d’intensité carbone.
En effet, en plus d’analyser les ressources de la planète, le Jour du Dépassement analyse également notre empreinte carbone, c’est à dire le CO2 que nous émettons chaque année. Et quand on regarde les données du Jour du Dépassement, on s’aperçoit que c’est justement ces émissions de CO2 qui nous font basculer en « dette écologique ». Ce sont elles qui pèsent réellement sur notre écosystème naturel car nous en émettons plus que ce que l’écosystème n’absorbe. Et selon les données du Jour du Dépassement, notre empreinte carbone représente plus de 60% de notre impact sur l’environnement.
Lorsque nous émettons du CO2 dans l’atmosphère, il faut une certaine surface de forêts ou d’océans pour absorber ce CO2 et le réguler. L’océan par exemple absorbe une bonne partie du CO2 atmosphérique via le plancton marin, ce qui transforme ce carbone en matière organique. Mais à l’heure actuelle, nous émettons tellement de CO2 qu’il est littéralement impossible pour l’éco-système de l’absorber. Résultats, le CO2 s’accumule dans l’atmosphère et modifie durablement les autres cycles naturels, notamment le climat ou l’acidité de l’océan. Le Jour du Dépassement représente donc plutôt la date à partir de laquelle nous avons dépassé les biocapacités naturelles en termes d’absorption du carbone qu’en termes de ressources naturelles.
La question fondamentale est donc une question d’intensité carbone : s’il y a urgence écologique, c’est parce que toutes nos activités émettent trop de CO2.
Comment réduire notre empreinte écologique ?
Le concept du Jour du Dépassement ne signifie donc pas que nous consommons plus de ressources que la nature ne nous en offre. Mais cela reste particulièrement inquiétant : cette journée représente symboliquement la date à partir de laquelle chaque année, la nature est en overdose de notre CO2.
Cela illustre encore une fois que la problématique écologique est avant tout une problématique énergétique. Nous sommes en surconsommation chronique d’énergie, en particuliers d’énergie carbonée, à tel point que les écosystèmes ne sont plus capables d’encaisser les surplus. La première solution qui vient à l’esprit est évidemment de faire une transition vers des énergies sans carbone comme les énergies renouvelables. Mais la solution réside aussi dans la réduction de nos besoins énergétiques. Dans un monde où chacun est dépendant de la voiture individuelle, où les transports jouent un rôle décisif dans tous les domaines de la vie, difficile de se passer de pétrole. Nous pouvons bien consommer moins de ressources, le vrai problème subsistera tant que nous n’arrêterons pas d’injecter chaque année des millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
Bien entendu, à côté de cela, il faut garder à l’esprit que les ressources naturelles de la planète ne sont effectivement pas illimitées : certains stocks de poissons diminuent car nous consommons trop de certaines espèces, les stocks forestiers diminuent progressivement car nous déforestons encore trop par rapport aux arbres que nous plantons. Bien entendu, il faut rationaliser nos consommations de ressources, éviter les stocks fragiles et leur laisser le temps de se renouveler, éviter le gaspillage…
Mais le principal problème écologique aujourd’hui, c’est notre consommation d’énergie et notre production de CO2, plus que notre consommation de ressources.