Pendant près de 20 ans la France semblait entamer une sortie progressive de l’énergie nucléaire. Pourtant, l’année 2023 marque un tournant politique pour l’atome. Cheval de bataille de la seconde campagne d’Emmanuel Macron, la fission fait son grand retour, non sans poser quelques difficultés pour la mise en oeuvre de ce nouveau programme de développement nucléaire.

Le sempiternel combat sur l’atome connaît un nouvel épisode qui, cette fois, marque le retour du nucléaire civil pour la production d’électricité en France. La loi du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires annonce la couleur pour les prochaines décennies. Le nucléaire recouvre sa place privilégiée dans le mix énergétique français car voilà maintenant vingt ans que le dernier réacteur nucléaire, Civaux-2 dans la Vienne, a été raccordé au réseau.

Ce grand chantier du nucléaire est devenu le cheval de bataille du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Dans un discours prononcé à Belfort le 10 février 2022, le Président de la République Emmanuel Macron déclarait qu’il allait prolonger la vie de tous les 56 réacteurs nucléaires existants, “qui peuvent l’être sans rien céder sur la sûreté”. Il ajoutait dans la foulé la construction de six EPR (Evolutionary Power Reactor) de deuxième génération, nouveau fleuron du savoir-faire français en matière de nucléaire conçu par EDF et Framatome, et qu’il souhaitait lancer des “études sur la construction de 8 EPR2 additionnels”.

Puis, le florilège d’annonce s’est poursuivi, “un appel à projets sera soutenu à hauteur d’un milliard d’euros par France 2030 et sera lancé pour faire émerger des petits réacteurs modulaires (SMR), aussi des réacteurs innovants permettant de fermer le cycle du combustible et de produire moins de déchets”.

Emmanuel Macron parle de “renaissance du nucléaire français”. Renaissance, car le nucléaire est une source d’énergie au passé tourmenté.  

Le parc nucléaire français et ses 56 réacteurs. Par Sting and Roulex_45 and Domaina, CC BY-SA 3.0.

L’âge d’or du nucléaire et le Plan Messmer du tout-nucléaire (1974-1986)

L’histoire de l’atome français débute le 18 octobre 1945 par la création du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) comme l’indique cette rétrospective du site d’information Vie publique. Lancé sous l’impulsion du Général de Gaulle, et porté par le scientifique Frédéric Joliot-Curie (1900 – 1958) qui deviendra le haut-commissaire à l’Énergie atomique, et l’industriel Raoul Dautry, qui prendra le poste d’administrateur général, le CEA représente au lendemain de la Seconde Guerre mondiale un idéal militaro-industriel recherché par tous les pays vainqueurs de la guerre. 

Le centre de recherche a pour objectif de développer l’atome en France dans toutes ses différentes applications, civiles comme militaires (médecine, production électrique, défense…). 

Les premiers prototypes de réacteur nucléaire voient le jour à partir du milieu des années 1950, mais ce ne sera que quelques années plus tard, en 1963, que le tout premier réacteur, le générateur Uranium Naturel Graphite-Gaz (UNGG) Chinon A-1, sera raccordé au réseau français. D’autres réacteurs suivront sur la même période. Mais le choc pétrolier en 1974 à la suite de la guerre du Kippour qui opposa au mois d’octobre 1973 Israël à une coalition militaire égyptienne et syrienne va accélérer le projet nucléaire français. 

La France souhaite être une nation autonome énergétiquement. Faute de pétrole, de charbon et de gaz en quantité suffisante, l’atome est perçu comme une technologie de choix. Le plan Messmer (1974-1986) est mis sur pied par le gouvernement français pour satisfaire cet objectif. Entre 1980 et 2022, 52 réacteurs vont être déployés sur le territoire. Le plan Messmer fera de la France l’un des pays les plus nucléarisés du monde. Le nucléaire produira à son plus haut niveau jusqu’à 78% de l’énergie électrique en France, contre un peu moins de 70% aujourd’hui. 

À retrouver ici : Production d’électricité: part du nucléaire France 1985-2021 | Statista

Mais en parallèle, la colère monte contre le nucléaire et atteint son paroxysme au milieu des années 1980 après l’accident nucléaire de la centrale de Tchernobyl (1986). La course à l’armement lors de la Guerre Froide, la relation intime entre le nucléaire civil et militaire, la gestion des déchets radioactifs et les risques de l’atome sur la santé et la biodiversité délitent les forces du nucléaire et augmente la méfiance de la population envers cette technologie. 

En France, de nombreux projets de centrales vont être abandonnés suite aux contestations, tant des militants anti-nucléaire que des riverains de la région. La lutte s’organisera dans toute la France contre la fission à Erdeven dans le Morbihan entre 1974 et 1975, Plogoff dans le Finistère entre 1978 et 1981, ou bien en Isère contre le réacteur Superphénix dès 1976 et qui se conclura par l’arrêt complet du générateur en 1998.

Un nucléaire français est-il à l’arrêt ?

Malgré les conflits et les tensions autour de l’énergie nucléaire, notamment avec les pays frontaliers de la France, le projet nucléaire ne s’est jamais vraiment arrêté.

Au début du siècle, la crise climatique devient un argument de taille pour le développement du nucléaire, jusqu’au point où il vient fracturer certains mouvements anti-nucléaires comme le souligne dans un article de la revue Hérodote Teva Meyer, chercheur et spécialiste du nucléaire civil. L’atome, puissant et peu carboné, est considéré comme un atout de taille par le gouvernement français et ses défenseurs puisqu’il permet de répondre aux quatre objectifs fixés par la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, à savoir: “la sécurité d’approvisionnement, l’indépendance énergétique, la compétitivité, la lutte contre l’effet de serre et le rayonnement d’une filière industrielle d’excellence”. 

Pour cela l’État se fixe notamment l’objectif de développer une nouvelle génération de réacteurs, la première génération d’EPR. La construction du réacteur débutera le 11 avril 2007 à Flamanville (Manche). Sur la même période, le projet international Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor) de fusion nucléaire est lancé sur le site de Cadarache (Bouche-du-Rhône). La construction a débuté en 2010. 

En savoir plus sur le projet Iter :
La fusion nucléaire : les promesses d’une énergie écologique et sûre ?
Fusion nucléaire : de nombreux défis à surmonter pour la transition (youmatter.world)

Puis un nouvel accident nucléaire à Fukushima (Japon) rappelle au monde les risques liés à cette énergie. Un séisme de magnitude 9 secoue le Japon, puis en conséquence, un tsunami de 30 mètres de haut se soulève et frappe la côte Est japonaise, dont la ville de Fukushima où se trouve une centrale nucléaire. La structure de certains réacteurs de la centrale sont endommagés et des rejets radioactifs sont émis dans l’environnement. Cet événement participe à renforcer la défiance de certains pays, comme l’Allemagne ou l’Italie face à la fission. Les mesures de sécurité se durcissent également en France autour des centrales.

Un retour du nucléaire assumé

Malgré une accalmie dans la construction de nouvelle centrale, le développement du nucléaire ne s’est jamais vraiment arrêté en France. Les EPR, Iter, ou les politiques de recrutement et de formation de jeunes aux métiers du nucléaire démontrent au contraire un intérêt encore marqué des gouvernements successifs pour la fission.

La loi du 22 juin 2023 réaffirme au grand jour le souhait du gouvernement d’Emmanuel Macron de faire reposer l’avenir de sa production électrique sur l’atome. Comme l’explique Marc Léger, Professeur émérite de l’Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires dans une tribune pour la revue juridique de l’environnement, cette loi abroge deux mesures phares mais restrictives, introduites par la loi du 17 août 2015 transition énergétique pour la croissance verte.

Ces deux mesures concernaient, d’une part, l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire à l’horizon, initialement, 2025, prolongé en 2019 à 2035, le chercheur ajoute, d’autre part, la limitation de la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire à 63,2 gigawatts (chiffre correspondant à la capacité de production des centrales en fonctionnement à l’époque de l’adoption de la loi TECV). C’est ce qui a été appelé “le plafond du nucléaire”

La loi simplifie en outre pendant une durée limitée de vingt ans les procédures administratives relatives au Code de l’urbanisme et au Code de l’environnement afin d’accélérer les projets de construction des EPR2, des SMR et du reste des installations indispensables au fonctionnement de l’industrie. 

Alors que la loi de 2015 appelait à un rééquilibrage progressif entre l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables, celle de 2023 appelle à produire plus, partout. Quitte à démontrer une certaine forme de précipitation. “Le Gouvernement a sans doute pris conscience que, compte tenu de la durée supposée de mise en service d’un nouveau modèle de réacteur nucléaire, soit quinze ans en moyenne selon les meilleures prévisions, il fallait user de tous les moyens possibles pour tenter de parvenir à l’objectif fixé par le Président”, précise Marc léger.

Les limites actuelles au déploiement du nucléaire

Accélérer les mesures administratives est une chose, mais sera-t-elle suffisante à l’horizon 2050 pour respecter les deux engagements pris par l’État, autrement dit, lutter contre le réchauffement climatique et satisfaire la hausse des besoins électriques dans les prochaines décennies ? Les spécialistes du nucléaire s’accordent à dire que l’aspect administratif ne pourra pleinement rattraper le retard pris ces dernières décennies en matière de compétences humaines et industrielles.

Car les 20 dernières années ont été catastrophiques pour le nucléaire français. L’EPR de Flamanville, initialement prévu pour 2012, a accumulé retards et surcoût. Le réacteur ne sera finalement raccordé qu’à la mi-2024 selon le calendrier d’EDF, soit plus de 15 ans après le début des travaux. La crise atteint une nouvelle étape en mai 2022. EDF met à l’arrêt 28 réacteurs sur les 56 formant la flotte française. Les problèmes s’accumulent. Des phénomènes de corrosion et des micro-fissures sur 12 réacteurs s’ajoutent aux travaux de maintenance réguliers. Au plus haut niveau de la crise, 32 d’entre-eux auront été à l’arrêt simultanément.

Le PDG d’EDF de l’époque, Jean-Bernard Lévy, tente de justifier ces dysfonctionnements quelques mois plus tard lors des Rencontres des entrepreneurs de France du Medef et fustige de surcroît les décisions du gouvernement français. “Pourquoi on n’a pas assez d’équipes formées ? Parce que l’on nous a dit que le parc nucléaire va décliner, ‘préparez-vous à fermer des centrales’, il ajoute, “nous, avec la filière, nous n’avons pas embauché de gens pour construire douze centrales, nous avons embauché pour en fermer douze”.

Une critique qu’a peu apprécié le Président de la République. Il lui répondra quelques jours plus tard : “c’est absolument inacceptable que les gens qui ont eu la responsabilité des travaux de maintenance du parc installé puissent expliquer aujourd’hui que nous n’avons pas pris nos responsabilités. Les travaux de grand carénage ont été décidés et les investissements de formation ont été pris”. 

Chacun se renvoie la responsabilité de ces échecs.

Malgré cela, la majorité des français (75%) reste en faveur de la production d’énergie nucléaire en France (sondage Ifop 2022). Seule une petite frange, notamment issue de la gauche et des mouvements écologistes, se montrent totalement opposés à l’énergie nucléaire. Ils alertent autant sur les limites techniques de la fission et les risques liés au changement climatique, aux accidents, à l’effet rebond potentiel, aux difficultés de gestion et de gouvernance de l’atome… L’implémentation de l’énergie atomique implique pour ces personnes à la fois un pari dangereux et coûteux pour l’avenir, et une atteinte au système démocratique.

Approfondir :
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Les prochaines décennies seront donc marquées par un renouveau du nucléaire, sauf si des crises (accidents, conflits géopolitiques, changement de l’opinion publique), ou des décisions politiques internent catastrophiques ne viennent suspendre à nouveau la course à l’atome en France. 

Par schoella — panoramio, CC BY 3.0.