C’est un débat qui aurait pu ne jamais sortir au grand jour. Comment un projet de loi peut-il se retrouver à dire exactement l’inverse de ce qu’il était censé promouvoir ? C’est pourtant ce qu’il s’est passé avec le projet de loi sur l’adaptation des littoraux aux changements climatiques, en fin d’année 2016. Ce que je vais vous raconter est une histoire révoltante de sabotage d’une initiative attendue et souhaitée par tous les acteurs du littoral.
La loi Littoral : un bouclier efficace depuis 30 ans
Votée en 1986, la loi Littorale a été dès le départ le socle de la protection de nos littoraux contre l’urbanisation galopante, tout en offrant à chacun un accès garanti à la mer. Ses principes sont bien connus depuis maintenant 30 ans : densification des zones habitées sans extensions, reconnaissance de la servitude de passage le long du littoral, inconstructibilité dans la zone des 100 mètres.
Cet ensemble de règle est vécu par certains comme un bouclier pour nos littoraux et notamment leur exceptionnel biodiversité, pour les activités touristiques qui se voient garanties un accès à la mer et pour tous les acteurs du littoral qui souhaitent éviter la pollution inhérente aux grands ensembles urbanisés. Pour d’autres par contre, c’est une épine dans le pied qui a trop duré. C’est bien connu : la loi littorale limite l’urbanisation et pose des problèmes à tous ceux qui comptent dessus pour assurer leur développement.
L’origine de ce désagrément pour les « serials-bétonneurs » est simple : la loi Littorale a été conçue pour privilégier l’environnement et son exploitation par le tourisme, première ressource du PIB de la France, et non à travers l’urbanisation.
Un choix qui a confirmé sa pertinence au fil des années, pendant que l’on découvrait la réalité du changement climatique, avec ses corollaires qui sont la montée du niveau des mers et le renforcement des évènements extrêmes (submersions marines, tempêtes plus violentes et érosion accélérée du littoral). Nos voisins espagnols n’ont pas fait ce choix-là et s’en mordent aujourd’hui, les doigts.
Je vous ai parlé il y a quelques mois du cas du Signal, en Gironde, cet immeuble construit dans les années 70 à 200 mètres de la mer et… qui menace dorénavant de s’effondrer à tout moment dans cette dernière.
L’immeuble a été construit avant la loi Littorale, qui n’aurait de toute façon rien pu faire pour ses habitants. Si je vous parle de ce cas c’est pour bien vous expliquer que la loi Littorale n’est pas adaptée aux changements climatiques que nous connaissons : pas d’indemnisation prévue, impossibilité de recul stratégique devant la montée des eaux. Il faut donc la revoir : et pour cela, tout le monde semble d’accord.
Or, miracle ! C’est justement le but d’un projet de loi déposé à l’Assemblé Nationale fin 2016 : « l’adaptation des territoires littoraux au changement climatique », initialement déposée par les députés socialistes Chantal Berthelot (Guyane), Pascale Got (Gironde) et Bruno Le Roux. Ce projet de loi prévoyait la possible activation du fond Barnier pour les victimes de catastrophes naturelles (impossible actuellement pour le cas du Signal) ainsi qu’un meilleur zonage de l’urbanisation proche du littoral, afin de permettre le retrait vers l’intérieur des terres des victimes de submersion marine ou d’érosion. Bref, c’est tout ce que demandaient les professionnels du littoral. Mais c’est la que tout dérape.
Une bonne intention initiale totalement détruite par le Sénat.
Le projet de loi est adopté en première lecture par les députés, et est donc transmis au Sénat. Se produit alors quelque chose de classique, mais qui va s’avérer dramatique dans notre cas : des amendements sont déposés pour modifier la proposition de loi. La majorité de droite au Sénat va tout simplement profiter de l’occasion pour remettre en cause l’interdiction de nouvelles constructions qui ne soient pas en continuité avec le bâti existant. Sous prétexte de combler les « dents creuses », ces espaces non urbanisés pouvant s’étendre jusqu’à 2 Km dans les terres, l’amendement devait permettre d’installer des zones d’activités économiques en faisant fi du gel de l’urbanisation en zone littorale depuis 30 ans. Complètement renversant quand l’on sait que la proposition de loi initiale visait justement à permettre le recul des zones littorales menacées par l’érosion, pas à en créer de nouvelles !
Cet amendement a très vite fait parler de lui en provoquant un tollé : les associations, la fédération des parcs naturels, certains élus et professionnels du littoral ont dénoncé cette trahison à travers une pétition (235 000 signatures à ce jour), des courriers et une motion déposée auprès de Ségolène Royale, Ministre de l’Environnement.
Mais la meilleure façon de résumer ce sabotage revient à l’auteur de cette proposition de loi, Pascal Got, interrogée sur France Bleu : « les sénateurs ont eu la stupidité et l’obstination de vouloir faire passer des amendements pour défaire la « Loi Littoral » dans un texte qui ne visait pas à cela. […] C’est véritablement un kidnapping de mon texte, un kidnapping qui va se faire sur le dos des collectivités et des particuliers. ».
La version sénatoriale du projet de loi fût réécrit en seconde lecture à l’Assemblée Nationale en réponse cette vague de protestations. Un consensus sur une possible urbanisation des dents creuses pour permettre le recul des activités menacées par la montée des eaux à été trouvé : mais vu les modifications apportées au texte initial, celui-ci doit retourner devant les Sénateurs… Ce qui sera tout simplement impossible, en raison de la suspension des débats parlementaires pour cause d’élections législatives. L’adoption du texte est donc renvoyé aux calendes Grecques, alors que la situation sur le terrain est chaque hiver plus pressante.
Loi littoral : un échec lamentable ?
Quelles leçons tirer de tout ça ? Tout d’abord, c’est une preuve supplémentaire qu’il existe un décalage ahurissant entre certains parlementaires et la réalité du terrain, en particulier en ce qui concerne les questions écologiques.
La Faute Sur Mer, 2010 : la tempête Xyntia provoque une submersion marine qui cause la mort de 29 personnes dans une zone littorale qui n’aurait jamais du être aménagée.
Soulac, Gironde, 2014: 70 personnes sont évacuées en urgence de l’immeuble du Signal en raison de l’importance du recul du trait de côte, celui-ci menaçant de s’effondrer.
Littoral aquitain : un recul entre 20 et 50 mètres du trait du côte attendu d’ici 2050.
Alors messieurs les parlementaires, combien de morts, d’habitations détruites, de pans de notre littoral perdu avant que l’on arrête de construire encore en zone littorale ?
Quand seul le retrait stratégique semble efficace face à la menace de la mer, pourquoi perdre ce précieux temps en ne facilitant pas les mesures prises par les communautés locales ? L’urgence n’est pas de combler les dents creuses mais d’offrir une solution à ceux, toujours plus nombreux dans les années à venir, qui perdront leur bien parce que personne n’a pu prévenir le changement climatique 50 ans à l’avance.
Suite à cet échec vous ne serez pas informé du risque d’érosion littorale si vous achetez un bien sur la côte. Personne ne mettra en place un bail limité dans le temps pour les biens menacés par l’érosion, qui assurerait que la collectivité prenne en charge votre bien avant sa destruction par les éléments avec l’aide du fond Barnier.
Ce projet de loi était attendu, devait répondre au cas des 70 habitants du Signal injustement privés de leur bien. Il devait apporter une réponse pratique au changement climatique qui affecte nos littoraux. Il devait assouplir et moderniser la loi Littorale plutôt que de rester dans un cadre figé : il n’en sera rien.