La façon dont les médias traitent du changement climatique est-elle la bonne ? Comment faire mieux ? Décryptage.
Aujourd’hui, près d’un Français sur 3 doute encore de l’existence d’un réchauffement climatique d’origine humaine. Et malgré les sondages, la plupart n’ont encore mis en place aucun vrai changement de comportement pour limiter ce phénomène.
Mais à y regarder de plus près, ce n’est pas forcément étonnant : en effet, les grands médias semblent à côté de la plaque quand il s’agit de parler du réchauffement climatique.
Réchauffement climatique : le grand absent médiatique ?
D’abord parce qu’ils n’en parlent tout simplement pas… ou pas assez. Il suffit de lire les unes des différents grands médias, ou leurs site web pour s’en rendre compte. Sur le site du journal Le Figaro par exemple, le menu principal du journal ne comporte même pas de rubrique « environnement » ou « climat » (il y a par contre une rubrique Lifestyle). Sur le site du journal Le Monde, pourtant reconnu comme relativement efficace dans son traitement de l’actualité environnementale, on constate que la rubrique « climat » ne comporte que 100 pages d’archives d’articles… contre plus de 700 pour la rubrique « football ». Sur le site du journal Le Parisien, l’ensemble de la rubrique « Ma Terre » (au sein de laquelle le climat n’occupe qu’une partie des articles) contient à peine plus d’articles que la rubrique « Insolite ».
Globalement, le réchauffement climatique est plutôt le parent pauvre de l’information grand public. On en parle beaucoup lors des COP, ou lorsqu’une étude scientifique sort sur le sujet, ou bien encore lors de l’annonce d’un gouvernement sur le thème du climat. Mais ce n’est malheureusement pas encore un sujet prioritaire pour beaucoup de média. Les équipes de journalistes dédiés à cette question sont souvent restreintes, et elles n’ont pas toujours autant de moyens que les autres. Pourtant, au regard de l’importance de ce phénomène pour l’avenir, et compte tenu des conséquences qu’il a dès aujourd’hui sur des populations partout dans le monde, le réchauffement climatique devrait être l’un des sujets principaux dans l’actualité.
Quand les médias oublient d’informer sur les causes des phénomènes
Mais le problème est encore plus profond. Il réside en fait dans l’incapacité des médias en général à faire les liens entre les phénomènes qu’ils décrivent et leurs causes plus profondes. Par exemple, ces derniers jours, l’enchaînement des événements météo extrêmes (tempêtes, inondations, avalanches) a fait la une des journaux. Pourtant, seule une fraction limitée de ces médias a fait sans équivoque le lien entre ces phénomènes et les tendances plus lourdes du réchauffement climatique.
Ainsi, une étude menée par l’association américaine Public Citizen montre que dans les grands médias américains, seuls 9% des articles traitant des événements climatiques et météorologiques extrêmes (tempêtes, inondations, incendies) reconnaissent le réchauffement climatique comme l’une des causes possibles des phénomènes décrits et mettent en évidence les liens entre ces deux réalités. Seuls 4% de ceux traitant des ouragans et autres cyclones font ce lien. Il n’y a bien que pour les épisodes de canicule que le chiffre s’améliore, et encore, sans dépasser les 33%.
Si en France les chiffres sont sans doute un peu meilleurs, le constat reste pour le moins saisissant : sur les 130 000 articles affichés entre le 1er et le 9 janvier 2018 par l’outil d’actualité de Google sur la tempête Eleanor, un peu moins de 700 comportent les mots « réchauffement climatique ». Pourtant, il existe un consensus large au sein de la communauté scientifique sur le lien qui existe le réchauffement climatique et ce type de phénomènes (notamment sur leur intensité en termes de précipitations). Simplement, la causalité statistique sur les événements actuels est difficile à établir, puisqu’il est impossible de dire avec exactitude quelle part de ces événement est liée à l’augmentation des températures ou liée à une saisonnalité normale du climat.
Cela incite donc le peu de médias qui évoquent le réchauffement climatique sur ces sujets à le faire sous l’angle de la prudence. De nombreux articles de grands médias, et même des climatologues renommés invitant à ne pas tirer de conclusions hâtives. On peut ainsi lire sur Le Figaro « Tempêtes/avalanches: pas la faute du réchauffement« , sur Le Monde, on écrit qu' »on ne peut incriminer le réchauffement climatique dans ce que l’on vit ces derniers jours« , ou sur Ouest-France que « non, il n’y a pas plus de tempêtes qu’avant« .
Un principe de précaution à deux vitesses ?
Sur la forme, tous ces énoncés sont vrais. Il est impossible de dire avec certitude ce qui est la faute ou non du réchauffement climatique, on ne peut pas l’incriminer directement, et la fréquente des tempêtes sur la moyenne des 30 dernières années n’est pas à la hausse de façon statistiquement visible (tout simplement car la variabilité statistique est plus significative que la tendance induite par le réchauffement). Mais sur le fond, ces énoncés reflètent-ils vraiment la réalité du risque climatique ? Pas vraiment, si l’on en croit les nombreuses études qui ont mis en évidence le fait que le réchauffement climatique, en augmentant les précipitations, augmente le risque d’inondation lors des tempêtes. Ou celles, plus nombreuses encore, qui montrent comment le réchauffement climatique tend à rendre plus fréquents (et plus intenses) les phénomènes météo extrêmes.
Certes, on ne peut pas lier formellement un événement ponctuel avec un phénomène global, mais on peut tout de même pointer les liens. C’est le même raisonnement que pour le tabagisme : on ne peut jamais dire avec certitude si tel cancer du poumon est lié ou non à un passé de fumeur, mais on peut dire avec certitude que la cigarette augmente les risques.
D’ailleurs, sur d’autres sujets, le discours médiatique semble moins enclin à la prudence et au relativisme. Ainsi, cette année la plupart des médias n’ont cessé de diffuser les inquiétudes des ONG et des associations de défense des consommateurs sur les perturbateurs endocriniens, les pesticides ou le glyphosate, au nom du principe de précaution, tout en semblant refuser d’appliquer ce même principe et cette même rhétorique lorsqu’il s’agit du changement climatique. Pourtant, de la même façon qu’avec le réchauffement climatique il est aujourd’hui impossible de dire quel est l’effet réel sur la santé de l’exposition aux pesticides alimentaires, ou de l’exposition au glyphosate : en tout cas, le consensus scientifique est loin d’être établi. Cela n’a pas empêché ces sujets de faire régulièrement la une de tous les grands médias, suscitant inquiétude, indignation au point qu’elles en deviennent des priorités de l’agenda politique.
Le même traitement devrait être appliqué au réchauffement climatique qui selon toute vraisemblance constitue aujourd’hui la menace la plus solide pesant sur nos sociétés (et ce, même si, comme dans tout exercice prédictif, une certaine forme d’incertitude continue d’exister). D’une façon encore plus paradoxale, ceux qui ont régulièrement dénoncé « l’industrie du doute » menée par les industriels sur les questions des perturbateurs endocriniens ou des produits phytosanitaires contribuent aujourd’hui à créer les conditions du doute sur les conséquences du réchauffement climatique.
Changement climatique : le doute n’est plus permis, soyons alarmistes
Il est saisissant de constater que, parmi toutes les problématiques écologiques et sanitaires qui agitent l’information, le réchauffement climatique soit celle qui suscite le plus de mise à distance, de mise en doute, de relativisme. A lire la presse sur le sujet, on finirait même par se dire que ce n’est pas si grave, que c’est lointain, qu’on a le temps ou qu’on trouvera bien une solution.
Pourtant, le doute n’est plus permis. L’ensemble des scientifiques a d’ores et déjà poussé un cri d’alarme, indiquant qu’il ne restait que deux ans à peine pour inverser durablement (et rapidement) nos émissions de CO2 et éviter des conséquences irrémédiables. Si les projections du GIEC ou de l’ONU se vérifient (et le principe de précaution, encore lui, voudrait que l’on leur accorde ce crédit), le réchauffement climatique déplacera des millions de personnes, aggravant encore une crise migratoire qui constitue de plus en plus une urgence sanitaire, sociale et économique. Il menacera la stabilité économique mondiale en affectant les chaînes d’approvisionnement, mais aussi la stabilité géopolitique en déclenchant une compétition féroce sur certaines ressources. Il tuera dans les prochaines décennies (c’est-à-dire demain) plus que tous les perturbateurs endocriniens, pesticides, herbicides ou produits chimiques réunis. Pourtant, il suscite aujourd’hui 2 à 3 fois moins d’articles médiatiques que ces derniers : 60 000 articles contiennent le mot réchauffement climatique dans toute la presse référencée sur Google Actualités en 2017, plus de 100 000 contiennent le mot pesticide.
Il y a aujourd’hui tout lieu d’être alarmiste sur la question du réchauffement climatique, plutôt que d’être relativiste. D’autant que sur des sujets comme le glyphosate ou les pesticides, on a vu que l’alarmisme avait parfois fait bouger les lignes un peu moins lentement. Les grands médias devraient donc être alarmistes. C’est-à-dire tirer la sonnette d’alarme, autant que possible. C’est-à-dire expliquer, faire comprendre en quoi le réchauffement climatique n’est pas si lointain que ça, qu’il nous affecte déjà. C’est-à-dire souligner que même si l’on ne peut pas dire avec certitude ce dont il est la cause, il y a consensus sur les risques qu’il fait peser. C’est aussi ne pas instiller de doute et donner des armes aux climato-sceptiques, mais au contraire montrer en quoi on a des raisons d’être pessimistes sur le changement climatique.
Média : l’absence d’une vraie ligne éditoriale sur le réchauffement climatique
Il faut donc que les médias d’information apprennent à faire le lien entre les changements climatiques et nos vies. Le réchauffement climatique est un problème global qui a des conséquences globales et implique des actions globales. Dans presque tous les domaines de l’actualité, on pourrait parler du réchauffement climatique. Lorsque l’on parle croissance, consommation ou tendances de marché, cela affecte (et est affecté par) le réchauffement climatique. Lorsque l’on parle des révolutions technologiques à venir, des objets connectés, des voitures autonomes, il y a des liens à faire avec le réchauffement climatique (qui pourrait d’ailleurs bien être un frein colossal à ces révolutions). Le réchauffement climatique, par sa nature globale, a des ramifications partout et il serait bon que ceux qui nous informent les mettent en lumières.
Le problème, c’est qu’il semble aujourd’hui presque impossible pour les médias d’information d’avoir une ligne éditoriale cohérente sur le sujet du réchauffement climatique. Ainsi, dans les pages d’un même journal on pourra trouver un papier traitant de la dernière étude publiée dans la revue Nature sur les conséquences du réchauffement climatique sur la désertification… tandis qu’à la page suivante on lira un article se félicitant de la reprise du marché automobile en France, ou du boom du trafic aérien, sans qu’aucun lien ne soit fait entre l’un et l’autre. Comment peut-on à la fois se féliciter du dynamisme du transport automobile (deuxième contributeur mondial aux émissions de gaz à effet de serre après la production d’énergie) et s’inquiéter du réchauffement climatique, sans montrer comment l’un entraîne l’autre ? Il ne coûterait pourtant rien de faire le lien, d’avoir un regard critique.
C’est ce manque de réflexion de fond qui fait que le traitement médiatique sur le réchauffement climatique semble superflu, et parfois totalement à côté de la plaque. C’est peut-être ce manque de cohérence qui rend tout discours sur le réchauffement climatique vague, lointain, imprécis. C’est sans doute ce manque de pression médiatique et sociale qui fait que le sujet n’a pratiquement jamais été abordé pendant les deux campagnes électorales de 2017, et qu’il reste encore aujourd’hui un sujet social et politique secondaire.
Pourtant, on sait que les médias ont la capacité de faire passer certains sujets au premier plan : il est temps que ce soit (vraiment) le cas du réchauffement climatique. Il est temps que ce sujet soit pris au sérieux, et traité comme tel.