Le rapport du groupe 2 du GIEC évoque rapidement les méga-bassines et autres réservoirs de rétention. Et ils estiment cette solution globalement insuffisante.
Difficile de s’y retrouver dans le débat sur les méga-bassines. Du côté des partisans comme du côté des opposants, on mobilise les experts, les avis, les sources et les arguments, au point qu’on ne sait plus vraiment qui dit vrai.
Les défenseurs des projets de méga-bassine arguent que ce type de réservoirs permet de faire face aux sécheresses estivales. Pendant l’hiver, les nappes phréatiques se remplissent, on y pompe alors de l’eau dans ces réservoirs en surface, pour les utiliser en été, lorsque l’eau manque. En théorie, les méga-bassines permettent ainsi d’optimiser le cycle de l’eau, sans affecter les réserves. D’ailleurs, une étude du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) menée sur la période 2000-2010 estime que les projets des Deux-Sèvres auraient permis d’améliorer la situation hydrologique dans la région s’ils avaient été mis en place.
Inversement, les opposants aux bassins de rétention d’eau estiment au contraire que les méga-bassines sont inefficaces. D’abord, ils contestent l’étude du BRGM, expliquant que cette dernière ne prend pas en compte les changements hydrologiques liés au réchauffement climatique. Ils évoquent aussi le problème de l’évaporation : les eaux stockées dans les bassines, en surface, auraient tendance à s’évaporer plus, et à augmenter les pertes hydriques.
Mais alors, qui a raison, qui a tort ? Difficile à dire, car chaque projet, dans son contexte géologique et hydrologique spécifique, peut avoir des impacts différents. Mais le GIEC, dans son rapport du groupe 2, a tout de même tenté de faire la somme des connaissances sur le sujet.
Voir aussi : À quoi servent les méga-bassines ? Pourquoi sont-elles contestées ?
Pour le GIEC, les méga-bassines sont insuffisantes et peu écologiques en Europe
C’est dans le chapitre 13 du rapport du deuxième groupe du GIEC que l’on trouve cette information, notamment dans la section dédiée aux enjeux climatiques en Europe, dans la sous section 13.2 dédiée à la question de l’eau. Autour de la page 1883, on peut ainsi lire que les réservoirs et autres méga-bassines de rétention sont « coûteuses, ont des impacts négatifs sur l’environnement, et ne seront pas suffisantes en cas de niveaux de réchauffement élevés dans l’ensemble des zones ».
Pour appuyer cet avis, le GIEC se fonde sur plusieurs sources, et notamment des études qui ont examiné l’impact de différents types de réservoirs d’eau, globalement et dans des contextes plus locaux. L’une des principales raisons de ces conclusions, c’est que le réchauffement climatique perturbe globalement le cycle de l’eau.
Par exemple, le réchauffement climatique et la hausse des températures augmente l’évaporation de l’eau lorsqu’elle est stockée en surface, ce qui réduit l’efficacité des bassines pour conserver l’eau. Il perturbe aussi le régime des pluies, ce qui pourrait rendre les bassines moins pertinentes. Ainsi, en théorie, si les bassines sont efficaces, c’est qu’elles permettent de pomper l’eau qui est présente en quantité dans les nappes phréatiques en hiver, lorsque les pluies sont abondantes et régulières. Sauf qu’avec la crise climatique, il n’est pas certain que les précipitations en hiver permettent réellement de recharger les nappes phréatiques.
Les méga-bassines face au réchauffement climatique
Les prévisions du GIEC sont en effet contrastées au sujet des précipitations hivernales en Europe. Si certains estiment que les précipitations devraient augmenter en hiver, les données sont en fait peu significatives, et surtout, soumises à une forte variabilité.
Dans le rapport du groupe 1 du GIEC, le résumé régional sur l’Europe montre ainsi que l’on pourrait, localement observer une hausse des précipitations (mais pas partout), mais surtout, des précipitations moins régulières, plus intenses. Ce type de pluies a en général tendance à ruisseler plutôt qu’à s’infiltrer dans les sols pour alimenter les nappes phréatiques. Paradoxalement, on pourra donc avoir plus de pluies en hiver, et en même temps, plus de sécheresses hivernales, donc un sol et des nappes moins humides.
Dans ce contexte, les méga-bassines sont moins pertinentes, car elles puisent dans une ressource hydrologique qui ne se renouvelle pas, ou mal, et augmente les pertes liées à l’évaporation. C’est le sens de l’une des sources citées par le groupe 2 du GIEC, qui conclue que les pénuries d’eau peuvent être aggravées par les réservoirs et bassins de rétention. Et le phénomène devrait s’accentuer : plus le réchauffement climatique est élevé, plus le risque est fort que les bassines renforcent le stress hydrique localement et accentuent les difficultés liées à l’eau. C’est ce que l’on appelle une « maladaptation » : un outil d’adaptation qui renforce en fait le problème initial.
GIEC : quelle place dans les solutions pour les méga-bassines ?
Dans le chapitre consacré aux impacts du réchauffement climatique sur l’eau en Europe, le GIEC évalue également une grande variété de solutions aux problèmes hydrologiques futurs. Parmi ces solutions, les réservoirs et bassines apparaissent comme celles qui ont une très faible faisabilité écologique et économique. D’autres, comme la régulation de la demande en eau, ou la transformation des usages des sols, apparaissent plus efficaces, tant sur le plan environnemental qu’économique et institutionnel.
On touche là à l’un des aspects essentiels de l’adaptation au réchauffement climatique : les solutions sont plurielles, complémentaires, et doivent être déployées ensemble pour être réellement efficaces. Ainsi, le cas des méga-bassines est intéressant : si dans la plupart des cas, les bassines risquent d’aggraver le problème de stress hydrique, il n’est pas exclu qu’elles puissent, dans certains contextes, s’avérer utiles, à condition toutefois de bien prendre en compte les évolutions climatiques (ce que, par ailleurs, l’étude du BRGM n’a pas fait, comme l’a confirmé sa présidente en audition au Sénat). Mais elles ne peuvent pas constituer une solution unique au problème de l’eau dans les territoires.
Ce sont des solutions plus systémiques, déployées ensemble, qui ont le plus d’impact : la transformation de l’agriculture, afin de réduire les excès de demande en eau, la transformation des usages, les systèmes d’alerte sécheresse, etc.. Or, c’est bien ce qui pose problème concernant les bassines des Deux-Sèvres.
La transformation d’un modèle d’usage de l’eau
Car la décision de déployer ces méga-bassines se fait sans intégrer ni les évolutions climatiques futures, ni les autres solutions, comme la transformation des modèles agricoles. Les bassines sont mises en place dans le but de pérenniser des cultures gourmandes en eau, largement destinées à l’élevage. Donc pour maintenir « sous perfusion » un modèle agricole qui devrait justement se transformer, à la fois pour faire face à la crise de l’eau et à la crise climatique.
Ce n’est pas seulement le stockage de l’eau en surface qui nous permettra de faire face à la hausse des sécheresses, mais la transformation globale d’un modèle d’usage de l’eau, fondé sur des changements agricoles, industriels, de nouveaux modes de consommation, etc.
En attendant, le GIEC est clair sur les méga-bassines : elles peuvent dans certains cas être utiles, mais elles sont coûteuses, peu efficaces, et ont des impacts négatifs sur l’environnement, et sont insuffisantes pour faire face à la crise de l’eau dans son ensemble.
Sources :
BRGM, Abasq, L. (2022). Simulation du projet 2021 de réserves de substitution de la Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres.
Di Baldassarre, et al. (2018). Water shortages worsened by reservoir effects. Nature Sustainability, 1(11), 617‑622.
GIEC, McGlasson, J. M. (s. d.). Regional_Fact_Sheet_Europe.
GIEC, Bednar-Friedl, B., et al. (2022.) Europe. In: Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press, pp. 1817–1927,