Le changement climatique global de la planète n’est un secret pour personne mais ses effets sur l’océan sont un peu moins connus. Pourtant il s’agit d’une perturbation majeure pour ceux-ci, puisqu’ils représentent 75% de la surface du globe et fournissent une alimentation à bientôt 8 milliards d’êtres humains. Les océans sont aussi le moteur principal de la dynamique climatique de notre planète : on comprend donc mieux pourquoi ils sont autant surveillés. La réponse des océans aux changements climatiques produit des impacts parfois spectaculaires et très concrets : en ce début d’année 2016, déjà considéré comme le plus chaud depuis 1880, les conséquences ne se sont pas fait attendre. Petit tour d’horizon non exhaustif des changements en cours.
El Nino et la hausse du niveau de la mer
Ça n’a échappé à personne : l’océan, c’est de l’eau. Et l’eau, quand elle chauffe, se dilate : un litre d’eau à 15 degrés occupera donc plus d’espace qu’un litre à 13 degrés. Alors multipliez ceci par le volume d’eau présent sur la planète (1400 millions Km3) et vous pouvez imaginer les dégâts que peuvent causer une petite hausse de 0,7 degrés. 0,72 degrés Celsius, c’est exactement le montant de l’anomalie de température enregistrée à la surface des océans en Septembre dernier, qui était d’ailleurs la plus importante jamais enregistrée.
Evolution des écarts moyens de températures à la surface des océans, par rapport à la période 1961-1990, pour le mois de Septembre. Source Met Office.
Cette hausse des températures est due principalement à un phénomène El Nino qui est considéré comme le plus important jamais enregistré dans les annales. Ce phénomène est lié à un courant marin au large du Pérou, apparaissant aux environs de Noël à une fréquence irrégulière de 2 à 7 ans. Il se caractérise par un réchauffement anormal de la température de surface, ce qui entraîne une modification importante du fonctionnement climatique de la zone. El Nino provoque de fortes inondations en Amérique du Sud, une importante sécheresse déclenchant des feux de forêts monstrueux en Australie et impacte jusque au continent Africain. Ayant fait 24 000 victimes et 34 milliards de dégâts lors de son épisode de 1997-1998, on comprend que l’ONG Oxfam tire la sonnette d’alarme : El Nino constitue « une crise de dimension mondiale » qui « risque d’avoir des conséquences tragiques ».
Les liens entre le réchauffement global de la planète et El Nino ne sont pas encore bien établis : on ne sait pas qui nourrit l’autre, mais l’on sait qu’ils sont en relation. Ce n’est pas un hasard si les 3 épisodes El Nino les plus importants jamais enregistrés ont eu lieu ces 20 dernières années, tout comme les 3 années les plus chaudes jamais enregistrées depuis 1880 : 2010, 2014, 2015.
La hausse des températures des océans fait peser une menace réelle sur des villes comme Venise, New York ou Singapour : elles risquent de suivre à plus ou moins brève échéance le sort de ces 5 îles de l’archipel des Salomons, dont l’engloutissement a été constaté par une étude australienne parue cette semaine. Ces villes s’enfoncent sous leur propre poids et sont construites sur le littoral à des hauteurs bien faibles : ces deux facteurs font craindre des submersions marines, d’abord en cas de tempête puis de façon plus fréquente.
Réchauffement climatique et mort des coraux
L’épisode très important d’El Nino cette année est directement responsable du blanchissement d’un millier de kilomètres de la Grande Barrière de Corail au large de l’Australie. Le phénomène du blanchissement se traduit par une décoloration des coraux qui expulsent l’algue avec laquelle ils vivent en symbiose. Ils peuvent s’en remettre mais aussi en mourir si l’épisode de fortes températures ne cesse pas. Et vu l’ampleur d’El Nino cette année, cette seconde hypothèse va vraisemblablement se vérifier. Si l’on ajoute à cela l’acidification des océans que provoque le CO2 en excès dans l’atmosphère, il va falloir faire vite si l’on veut visiter les derniers massifs de coraux. L’absorption de ce CO2 par les eaux de surface fait descendre le pH de l’océan, ce qui limite la capacité des micro-organismes à se fabriquer une coquille calcaire, comme le font les coraux. On considère que le pH de l’océan est aujourd’hui de 8, il pourrait se retrouver à 7,6 si rien n’est fait pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.Une eau acide dissout les carbonates nécessaires à la constitution des coquilles ou des squelettes calcaires (appelés « tests ») des oursins, coraux et autres mollusques.
C’est l’annonce d’une perte sèche à la fois pour l’économie australienne, qui a fait de la Grande Barrière de Corail l’un de ses atouts touristique mais aussi pour les services écosystémiques. Derrière cette notion se cache les services rendus à l’homme par les écosystèmes naturels : ils sont chiffrables, tels l’amortissement des tempêtes par le rôle « brise-vague » du corail, le tourisme ou encore le rôle de nurserie pour les espèces pêchées. Ainsi si la Grande Barrière de Corail ne se remet pas de cet épisode massif de blanchissement c’est autant de rôles qu’elle ne remplira plus, impactant le tourisme, la pêche et bien sûr l’écosystème océanique littoral dans son intégralité.
Océans, réchauffement climatique et migration vers les pôles
C’est un effet qui a été révélé par une étude portant sur 40 ans et analysant les réponses adaptatives de 1735 espèces marines face au changement climatique. Les effets sont impressionnants et clairement mesurables : l’eau est un milieu bien plus stable que la surface terrestre, les animaux qui se sont adaptés à ce milieu réagissent donc bien plus rapidement (en bien ou en mal) au moindre changement, notamment de température. Ainsi le phytoplancton (micro algues à la base de la chaîne alimentaire) migre de… 467 Km par décennies ! Certains poissons osseux se déplacent de 277 Km par décennies, forçant tout un biotope à migrer avec eux. Le problème est que ces changements géographiques se répercutent sur l’ensemble de la chaîne alimentaire, y compris sur l’alimentation humaine, via la pêche. Au final 81% des changements observés par cette étude seraient bien corrélés avec le réchauffement des océans.
La désoxygénation, une menace sur notre « poumon bleu »
Une autre menace peu connue est liée au phytoplancton, qui fournit la moitié de l’oxygène que nous respirons par photosynthèse (oui, ce sont des algues). L’augmentation de la température de surface limite la production d’O2 du phytoplancton et son transfert vers les couches plus profondes de l’océan. La conséquence en est simple : la limite de la « zone minimum d’oxygène » (OMZ) ne fait que progresser vers la surface, au rythme d’un mètre par an. Les espèces pélagiques (Thons, Marlins), vivants en haute mer et en profondeur, voient donc leur habitat « compressé » et limité. La remontée de cette OMZ produit donc des zones pauvres en oxygène, peu propice à la vie. Les zones les plus touchées sont situées au niveau des tropiques et de l’équateur.
Quand l’on sait que 88% des stocks pélagiques sont déjà au maximum de leur exploitation humaine, voir surexploités, on ne peut que s’inquiéter des conséquences de cette perte d’habitat.
Les océans de la planète sont donc confrontées à des défis sans précédents dans la longue histoire de la Terre : nous en sommes directement la cause, mais peut être aussi la solution. En effet une étude parue cette semaine annonce que certes la part de la calotte Antarctique a été sous-estimée, sa fonte pouvant faire monter le niveau marin de 50 cm à un mètre en cent ans, mais que si l’Homme limite ses émissions de GES la fonte sera réduite et son impact marginal pour la hausse du niveau des océans. Nous savons ce qu’il nous reste à faire !
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