Les OGM sont-ils une méthode de cultivation adaptée pour l’avenir ? Quelques chercheurs donnent un élément de réponse en examinant la façon dont les OGM se comportent face au changement climatique.
Depuis des décennies, experts, scientifiques, agronomes et militants se disputent sur la question de savoir comment nourrir la planète sans détruire l’environnement. Face à une population sans cesse croissante, nos besoins alimentaires sont en hausse. Et parmi les propositions qui sont au coeur de ce débat, il y a la question des OGM : les Organismes Génétiquement Modifiés. Les OGM sont des plantes dont on modifie artificiellement les gènes afin de leur donner une caractéristique nouvelle. Par exemple le maïs ou le coton Bt est un OGM auquel on a ajouté un gène qui lui donne la capacité de produire lui-même une protéine insecticide. Ces plantes ont donc la capacité de s’auto-protéger contre certains insectes. Il existe de nombreux OGM qui ont chacun leurs caractéristiques spécifiques.
Pour leurs partisans, les OGM seraient une manière efficace de produire plus de nourriture, plus facilement et éventuellement de façon plus écologique (en effet, quand on cultive du maïs Bt, on a théoriquement plus besoin d’utiliser d’insecticides qui sont très polluants). Mais pour ceux qui s’opposent aux OGM, ces derniers comportent des risques. D’abord des risques sanitaires (on ne sait pas quels sont les effets des OGM sur la santé à long terme), mais aussi des risques écologiques (on ne sait pas comment ces nouveaux organismes vont s’insérer dans l’écosystème) et socio-économiques.
Avec ces deux positions qui s’opposent, la question des OGM est devenue particulièrement importante, pour les agriculteurs, les consommateurs et les scientifiques. Elle est même devenue une question éminemment politique, certains gouvernements prônant l’usage des OGM quand d’autres la refusent. Et s’il est impossible de résoudre simplement la question des OGM, de nouvelles études viennent apporter un éclaircissement sur une question intéressante : les OGM seront-ils adaptés dans un contexte de réchauffement climatique ? Et la réponse des scientifiques est assez claire : pas vraiment.
Les OGM : un investissement risqué dans un climat changeant
La première étude, publiée par un chercheur américain (William Moseley) dans la Geographical Review reconnaît tout d’abord qu’il existe des bénéfices potentiels à l’utilisation des OGM (réduction de l’usage des pesticides par exemple). Mais en étudiant comment les OGM se sont implantés dans les pays en développement (notamment en Inde), il montre que l’utilisation d’OGM peut s’avérer risquée et difficile lorsque les conditions climatiques ne sont pas stables et notamment dans les pays en développement qui constituent l’essentiel de la production agricole mondiale.
En effet, selon le chercheur, les technologies OGM visent à « augmenter les rendements des cultures dans des conditions idéales » (c’est à dire lorsque les cultures sont bien irriguées et bénéficient de conditions climatiques favorables). Ainsi, par exemple, les cotons Bt cultivés en Inde permettent effectivement de réduire l’utilisation de pesticides dans les fermes de grande taille disposant d’un système d’irrigation efficace et dans des conditions climatiques relativement maîtrisées. Dans ces conditions, les OGM sont utiles, du moins du point de vue du rendement. Mais lorsque ce coton est utilisé dans de petites fermes qui dépendent de la variabilité climatique (des pluies notamment), il pousse moins bien. Concrètement, le coton Bt pousse bien dans des conditions climatiques idéales, mais moins bien que d’autres cultures lorsque les conditions ne sont pas optimales. Dans ces conditions, les paysans pauvres qui choisissent les OGM n’amortissent pas leur investissement initial. Ainsi, l’étude montre que de nombreuses faillites de fermes de coton en Inde ont été causées par le passage à des semences OGM qui, en l’absence de conditions climatiques et d’irrigation stables, n’ont pas dégagé de surplus financiers suffisants pour compenser l’investissement initial.
Or, 70% de la nourriture mondiale est produite par de petits producteurs pauvres, pour qui investir dans les OGM est financièrement compliqué. Dans la mesure où, dans un contexte de changement climatique, la variabilité climatique risque d’être de plus en plus forte, ces petits producteurs auront des difficultés croisantes à assurer leurs rendements avec des OGM qui ne sont pas forcément adaptés à la variabilité du climat. La conclusion du chercheur : il vaudrait mieux investir dans des cultures plus résistantes et résilientes que dans les monocultures OGM.
Les OGM inadaptés au futur climatique ?
Une deuxième étude, publiée par le département de Science Environnementale de l’Université de Californie va encore plus loin. Selon les chercheurs, les cultures OGM (et plus globalement les cultures agricoles conventionnelles) seraient loin d’être les plus adaptées au futur climatique qui nous attend.
D’abord, l’étude fait le constat que les rendements des cultures OGM ne seraient en fait pas tellement supérieurs à ceux d’une agriculture « durable » utilisant des principes comme la diversification des cultures. Ils montrent ainsi qu’en utilisant les connaissances actuelles de l’agriculture extensive et de l’agro-écologie, en mixant les cultures pour créer des écosystèmes agricoles résilients et diversifiés, on obtient des rendements pratiquement identiques à ceux des monocultures OGM.
Ensuite, ils notent que ce type de cultures inspirées de l’agro-écologie semblent en pratique beaucoup plus adaptées à un contexte de climat changeant (pour plus d’informations, voir la définition de l’agro-écologie). En effet, les cultures agro-écologiques seraient beaucoup plus résilientes, donc beaucoup plus adaptées à un monde marqué par le changement climatique, où les évènements climatiques seront plus nombreux et où à la variabilité climatique sera plus forte. Pourquoi ? Tout simplement car elles sont basées sur la diversification de l’écosystème : plutôt que d’être en monoculture, les champs cultivés en agro-écologie sont constitués autour de plusieurs espèces supposées se renforcer les unes les autres. Or en matière d’écosystème, la diversification est source de résistance aux intempéries et aux parasites (pour plus d’informations, consulter notre article sur l’importance de la biodiversité).
Eric Holt-Gimenez, expert en agroécologie et directeur de l’institut Food First résume ainsi : « Contrairement aux semences OGM, qui ont pour objectif de rendre le génome de plantes spécifiques plus résistant un caractère à la fois, les pratiques agro-écologiques visent à renforcer la résilience de l’écosystème global ».
Et si l’agro-écologie était un investissement plus intéressant et moins risqué que les OGM face au changement climatique ?
Face à ces résultats, il semble nécessaire de s’interroger sur les choix agricoles que nous faisons aujourd’hui. Puisque nous savons que le climat sera de plus en plus incertain et de plus en plus changeant, faut-il miser, notamment dans les pays émergents, sur des semences OGM qui ne seront pas nécessairement adaptées aux conditions futures ? Ne vaudrait-il pas mieux concentrer nos efforts d’investissement sur la construction d’une infrastructure agricole résiliente, capable d’encaisser les chocs de plus en plus fréquents que le climat leur fera subir ? Ne vaudrait-il mieux pas miser sur la diversité des cultures pour éviter de « mettre tous nos oeufs dans le même panier » en adoptant des monocultures (OGM ou non) ?
En tout cas, ces nouvelles études vont dans ce sens, et elles rejoignent celles qui ont déjà été publiées par les plus grands spécialistes internationaux de l’agriculture. Ainsi, il y a quelques mois la FAO publiait un rapport préconisant la transition vers une agro-écologie extensive et diversifiée pour améliorer la production de nourriture (et son impact environnemental) à travers le monde (voir notre article : Passer à l’agro-écologie pour nourrir mieux la planète). Des chercheurs de l’IPES Food ont également fait ce constat dans un rapport l’année dernière, et montraient qu’un système agro-écologique diversifié était à la fois plus écologique et plus résilient que l’agriculture conventionnelle largement basée sur la monoculture. (Voir notre article : Comment réformer l’agriculture pour protéger l’environnement ?)
Une question reste en suspend cependant : face aux intérêts financiers en jeu sur la question des OGM, la transition sera-t-elle possible ?