Pierre angulaire de la politique européenne, la Politique agricole commune (PAC) 2023 – 2027 propose une formule renouvelée afin de mieux intégrer les enjeux environnementaux dans un secteur agricole dont la transition écologique est encore difficile. Mais est-ce que cette nouvelle PAC sera réellement suffisante ?

Depuis 2019, les pays européens affichent l’ambition de faire de l’Europe « le premier continent neutre pour le climat » grâce au Pacte Vert, une feuille de route politique développée afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Le Pacte Vert est composé de plusieurs volets, qui couvrent autant les secteurs du bâtiment, de l’énergie que les domaines agricoles ou la gestion des espaces forestiers et la biodiversité et a pour objectif de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) des 27 pays membres d’au moins 55% d’ici à 2030 par rapport aux valeurs de 1990, ainsi que d’agir pour mieux protéger la qualité de l’air, des eaux, des sols ou encore de la biodiversité.

En matière agricole précisément, deux plans stratégiques en lien avec le Pacte Vert sont particulièrement structurants : la stratégie Farm to Fork (De la Ferme à la Table) et la stratégie Biodiversity, qui porte logiquement sur la protection de la biodiversité.

Farm to Fork vise à la fois à accélérer la « transition écologique » du secteur agricole tout en garantissant une souveraineté alimentaire sur le territoire européen et une compétitivité des agriculteurs face à la concurrence internationale. Ces plans stratégiques fixent des objectifs, et pour les atteindre l’Europe mise sur un vieil outil : la Politique Agricole Commune (PAC).

Qu’est-ce que la PAC : 60 ans d’un outil singulier

La PAC entre en vigueur en 1962 afin de résoudre la famine qui touche le continent européen au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Son principe ? Subventionner les agriculteurs européens, afin d’engager un vaste mouvement de modernisation des pratiques agricoles et permettre à l’Europe de subvenir à ses besoins grâce à un marché stable, des prix adaptés et une rémunération juste pour les agriculteurs.

La PAC est la première, et encore une des seules, politique intégrée de l’Union européenne (UE). C’est-à-dire qu’elle est coordonnée à toutes les échelles européennes (UE, nationale, territoriale).

Aujourd’hui, cette politique agricole se divise en deux piliers. Le premier, qui absorbe les ¾ du budget alloué à la PAC, concerne les aides à la production pour les agriculteurs. Avec une empreinte bien plus territoriale, le second pilier se consacre quant à lui au développement rural. Cela passe entre autres par un accompagnement en vue d’une transformation des pratiques agricoles, des aides au transfert des compétences et des connaissances…

La PAC est donc un outil structurel important pour l’Europe, qui organise le marché agricole dans son ensemble. Le budget pour la période de 2023 à 2027 est de 387 milliards d’euros, soit un tiers du budget de l’UE ! C’est l’une, si ce n’est, la dépense principale des 27 États membres. 

Depuis sa création, la PAC a connu différentes réformes pour l’adapter aux besoins économiques et sociaux. Sa dernière priorité en date : l’intégration des enjeux environnementaux.

Le volet écologique de la PAC depuis 30 ans

La production agricole (sans compter ses usages énergétiques et industriels) représente près de 10% des rejets totaux de GES, ce qui la place comme le quatrième secteur contribuant le plus au réchauffement climatique après les industries, la production d’énergie et les ménages. L’agriculture émet principalement du méthane (CH4) – attribuable à l’élevage, du protoxyde d’azote (N20) – dû à la fertilisation des sols, et du dioxyde de carbone (CO2).

Mais les répercussions écologiques du secteur agricole ne sont en outre pas seulement climatiques. L’agriculture conventionnelle intensive pratiquée en Europe depuis les années 1960, par surexploitation des terres et utilisation massive d’intrants chimiques, participe également à la pollution et la dégradation des sols, de l’eau et de l’air, et à l’érosion de la biodiversité. Un cercle vicieux, car la crise environnementale qui résulte des activités anthropiques participe en retour à perturber le secteur agricole, qui est victime d’événements climatiques extrêmes de plus en plus importants (sécheresses, feux, inondations…).

Face à ces constats, l’Union européenne a entamé à partir des années 1990 une transformation lente visant à favoriser des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement. D’abord timidement, par l’intégration dans le premier pilier de la PAC du principe de conditionnalité en 2003, qui consiste pour les agriculteurs à respecter certaines modalités pour avoir accès à des aides financières. Puis par un verdissement de cette conditionnalité en 2013, grâce à des aides directes, appelées « paiement vert », pour les agriculteurs qui mettent en place des mesures agro-environnementales – à savoir la diversification des cultures, le maintien des prairies permanentes et la mise en place ou le maintien d’un minimum de surface d’intérêt écologique (SIE). 

Problème : les objectifs de la PAC n’ont jamais vraiment été clarifiés et hiérarchisés. Aux objectifs écologiques s’opposent toujours des objectifs de compétitivité et de rendements qui font de la PAC un outil hybride et ambigu. Résultat, les progrès ont été très lents et très insuffisants, et le système agricole européen peine aujourd’hui à s’adapter aux défis écologiques et climatiques qui, année après années, sont de plus en plus complexes. La Cour des comptes dans un rapport publié en octobre 2021 « Accompagner la transition agroécologique », estimait ainsi que « le verdissement a permis d’afficher des sommes importantes […] mais a eu peu d’effets concrets » en matière environnementale. L’Europe souhaite donc aller plus loin dans cette transition lors de la prochaine réforme PAC par l’intégration de critères plus exigeants en matière de protection de l’environnement.

La PAC 2023 – 2027, « plus juste, plus verte » ?

Le 2 décembre 2021, le Conseil et le Parlement européen ont ratifié la nouvelle réforme de la PAC qui entrera en vigueur dès 2023 et qui se terminera en 2027. Cette nouvelle PAC, résultat de 3 ans de négociations se veut « plus juste, plus verte et davantage fondée sur les résultats » pour le conseil européen.

Officiellement, ses nouvelles missions visent à :

  • renforcer la contribution de l’agriculture aux objectifs de l’UE en matière d’environnement et de climat ;
  • assurer un soutien plus ciblé aux petites exploitations ;
  • laisser aux États membres une plus grande marge de manœuvre pour adapter les mesures aux conditions locales ;

Le paiement vert, qui n’avait pas fait ses preuves en termes de protection de l’environnement, est remplacé par « l’éco-régime ». Les conditions d’accès à ces aides seront en principe plus strictes pour les agriculteurs sur le plan environnemental. Trois voies permettront d’accéder aux aides. La première concerne les « Pratiques agricoles » : il s’agira alors de mettre en place des pratiques nouvelles comme la rotation des cultures. La seconde obligera les exploitants à acquérir une certification environnementale (Agriculture biologique ou Haute valeur environnementale). La dernière voie concernera la création de nouvelles infrastructures agroécologiques.

Mais la particularité de l’éco-régime, c’est que les critères ne seront pas définis au niveau européen mais par chaque Etat membre, qui pourront proposer dans un Plan Stratégique National (PSN), un éco-régime unique, adapté aux réalités de leur secteur agricole. C’est une véritable coupure par rapport aux anciennes réformes, qui laisse craindre des ambitions et des efforts inégaux entre les pays européens.

Vous avez dit « Agroécologie » ?

Or, le noeud du problème est bien de définir de nouvelles pratiques agro-écologiques, et de les structurer à l’échelle européenne.

L’agroécologie est définie par le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire sur son site comme « une façon de concevoir des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes elle les amplifie tout en visant à diminuer les pressions sur l’environnement (ex : réduire les émissions de gaz à effet de serre, limiter le recours aux produits phytosanitaires) et à préserver les ressources naturelles ». Elle représente un changement de paradigme par rapport à l’agriculture actuelle, dont l’objectif est avant tout productiviste.

Dans son rapport, la Cour des Comptes appelait déjà à « mieux valoriser les pratiques agro-environnementales dans la déclinaison nationale de la prochaine PAC ». La littérature scientifique semble aussi s’accorder sur la nécessité de faire émerger des pratiques agricoles nouvelles, plus axées sur la préservation des écosystèmes : valorisation de l’agroforesterie et de l’agriculture biologique, diversification des cultures, diminution de la part de l’élevage…

Mais l’intégration de ces nouvelles pratiques agroécologiques plus respectueuses de l’environnement est un travail titanesque et de longue haleine. Difficultés du travail agricole, précarité d’une partie des agriculteurs, formation des nouveaux agriculteurs, vulnérabilité aux événements climatiques, productivité, compétitivité, concentration des terres… ces nombreux facteurs doivent être pris en compte pour ne pas faire s’effondrer un secteur déjà fragile.

En se contentant de fixer un cadre de conditionnalité sans définir les contours et les structures d’un modèle agricole européen, la PAC ne fait qu’effleurer le défi de la transition agricole.

PAC 2023 – 2027 : des impératifs contradictoires

Plus grave : la PAC continue de se structurer autour d’objectifs contradictoires. C’est que, à partir de 1992, les missions de la PAC se sont diversifiées. À tous les précédents s’est ajouté un objectif de compétitivité. Le secteur agricole européen a changé ses règles et s’est ouvert au marché international. Une libéralisation du marché agricole qui a entraîné une rupture majeure avec les précédentes réformes.

La PAC est alors devenu un outil au service de la productivité à bas coût, visant l’international. Selon le rapport du Haut-commissariat au Plan sur le secteur agroalimentaire français, « le commerce mondial de produits agricoles et agroalimentaires [a] plus que doublé de 1995 à 2018, atteignant 1 500 milliards de dollars en 2018 ». En France, l’exportation représentait près de 64 milliards d’euros en 2019. 

Ce changement de paradigme va également entraîner des inégalités majeures d’accès aux aides et du montant de ces dernières pour les paysans. La répartition des aides va globalement être avantageuse pour les grandes exploitations très productrices à partir du moment où elles sont allouées selon la surface à l’hectare ou le nombre d’animaux de l’exploitation.

Les agriculteurs font donc face à des impératifs souvent contradictoires. Cet appel implicite à de plus grandes exploitations et à plus de productivité entre en conflit avec les objectifs de protection de l’environnement, qui invitent à structurer de plus petites exploitations et des pratiques parfois plus coûteuses sur le plan monétaire, mais plus rentables sur le plan écologique.

Changer de paradigme agricole

Pour Thierry Pouch, économiste de l’Université de Reims Champagne Ardenne, la PAC 2023 -2027, aurait du favoriser l’éclosion d’un paradigme différent, moins centré sur l’accumulation de profit que sur l’écologie, « en accompagnant le déclin irréversible de l’ancienne agriculture, celle qui a embrassé la modernité capitaliste au temps du fordisme ».

Mais, comme l’économiste le souligne, cette vision d’une agriculture plus durable se heurte à un système agraire productiviste et orienté vers l’exportation comme il en existe au Brésil, aux États-Unis ou en Chine, et aux règles du commerce international qui imposent ce système agraire. Il n’est pas certain que les pays qui dépendent de ce modèle acceptent d’amorcer une transition écologique, moins profitable économiquement.

La réalité du marché actuel suggère donc qu’une agriculture durable ne sera possible qu’à condition que des instances internationales, comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC), entament elles aussi un revirement écologique afin de coordonner les marchés mondiaux. Dans le cas contraire, des déséquilibres économiques et sociaux sont à prévoir entre les nations.

En attendant, l’Europe accouche d’une PAC qui se fixe un objectif écologique sans aller au fond du problème. Et pendant ce temps-là, la crise environnementale continue son chemin de destruction, et participe à réduire pas à pas le rayon d’action possible. « Cette fragilisation [de la compétitivité française] limite les moyens disponibles pour engager ces évolutions, rappelle la Cour des comptes, alors même que le développement de segments de qualité plus rémunérateurs comme « le bio » ou les produits sous signe de qualité, pourrait à l’avenir être un élément de compétitivité essentiel sur les marchés mondiaux ».

Image par Nikolett Emmert de Pixabay

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