On dit souvent qu’il vaut mieux être optimiste plutôt que pessimiste et démoralisant sur le changement climatique. Mais a-t-on raison de raisonner ainsi ? Et s’il valait en fait mieux être pessimiste sur le réchauffement climatique ?
En matière de réchauffement climatique, on entend souvent qu’il vaut mieux être optimiste. Qu’il ne faut pas dramatiser au risque de démotiver les citoyens, qu’il faut présenter les solutions plutôt que les problèmes. Une étude menée en 2015 par des experts en psychologie sociale montrait d’ailleurs qu’il était plus efficace pour sensibiliser le public d’aborder le changement climatique avec des termes plus neutres, moins négatifs. Même Al Gore, qui a pourtant contribué à diffuser publiquement les risques du changement climatique, produisait récemment un plaidoyer pour « L’optimisme sur le changement climatique ».
Dans une certaine mesure, il est probable que ces constatations soient fondées. Il est probable que les citoyens n’aient pas envie d’entendre des actualités dramatiques et désespérantes sur le climat, qu’ils aient envie de penser à des choses plus positives et qu’ils se désintéressent si le discours sur le changement climatique est trop « démoralisant ». Pourtant, si l’on en croit les avancées en psychologie sociale autant qu’en science climatique qui ont émergé ces dernières années, il vaudrait probablement mieux être pessimiste. Voici pourquoi.
La situation est vraiment catastrophique : il n’y a pas vraiment de raison d’être optimiste sur le changement climatique
D’abord, il faut prendre conscience qu’en matière de climat, aucun discours, aussi alarmant soit-il, ne peut rendre compte de la dangerosité de la situation que nous vivons. (Note de la rédaction : Si cette phrase vous exaspère, c’est probablement que vous êtes allergique au pessimisme, alors sautez au chapitre suivant pour comprendre pourquoi et comment votre cerveau vous a programmé ainsi.)
Les rapports scientifiques internationaux sont de plus en plus alarmistes sur le sujet. Au fur et à mesure que la compréhension des mécanismes climatiques se renforce, les prévisions des climatologues sont de plus en plus négatives. Récemment, un groupe de scientifiques dirigé par un ancien cadre de la NASA (James Hansen) a publié une méta-analyse qui compile les données de plusieurs décennies sur le climat, et sa conclusion est sans appel : les changements climatiques seront probablement encore plus forts et dangereux que ce que les prévisions du GIEC et des autres organismes avaient envisagé.
On le voit aujourd’hui avec certitude : le climat se dégrade, et vite. Les températures augmentent plus que prévu et dans certaines régions, la température cette année a déjà dépassé le seuil que la COP21 avait fixé comme limite à ne pas dépasser… en 2100 (+1.5 degrés). Les glaces arctiques et antarctiques ont fondu à des niveaux records, avec des surfaces équivalentes à plusieurs fois la France qui ont tout simplement disparu du fait de la montée des températures. L’extinction de la biodiversité s’est accrue à une vitesse inégalée, nous faisant entrer dans ce que les scientifiques appellent aujourd’hui la 6ème extinction de masse.
Même les bonnes nouvelles n’en sont pas : alors que la couche d’ozone se referme progressivement, notamment grâce aux progrès du Protocole de Montréal, cela pourrait en fait aggraver le changement climatique notamment au niveau des pôles. Alors que dans certains endroits dans le monde, les émissions de CO2 sont en baisse (c’est notamment le cas en Europe grâce à des énergies de plus en plus décarbonées), elles augmentent dans de nombreux pays. En parallèle, ce sont aussi les émissions de méthane qui augmentent, ce gaz qui est 28 fois plus dangereux que le CO2 du point de vue de son pouvoir de réchauffement climatique global. Alors que les énergies renouvelables ne font qu’être moins chères, plus accessibles, c’est pourtant les gaz de schistes, les sables bitumineux que les plus grandes puissances mondiales choisissent de valoriser.
En résumé, les données sont claires : la situation est catastrophique. Cela ne fait pas forcément la une des débats publics, mais de plus en plus de scientifiques sérieux (la NASA, des scientifiques mandatés par l’Etat britannique, des chercheurs de l’Université Paul Sabatier de Toulouse) montrent que le changement climatique a dans le passé contribué à la chute de certaines civilisations, mais surtout que les changements accélérés que nous vivons actuellement pourraient, d’ici 2040, mener à une grave crise générale de nos sociétés. Autrement dit, à cause du changement climatique, nos sociétés pourraient s’effondrer bien plus tôt que l’on croit.
Les dangers de l’optimisme et le déni de réalité du changement climatique
Mais cela paraît fou : comment des sociétés qui fonctionnent dans l’abondance, qui progressent chaque jour grâce à la technologie, pourraient-elles s’effondrer en moins de 25 ans juste à cause de quelques degrés en plus ? Comment pourrait-on ne pas trouver de solution ? Voilà les questions que l’optimisme nous pousse à nous poser, comme pour éviter de voir que la situation est critique et d’accepter les constats de la science. C’est une attitude que la psychologie sociale nomme le « biais d’optimisme » : un trop plein d’optimisme qui nous empêche de voir la réalité en face.
Par exemple, dans nos sociétés, où 40% des mariages finissent en divorce, les études montrent que plus de 75% des jeunes mariés estiment qu’ils ne divorceront jamais. Statistiquement, c’est hautement improbable, et même irréaliste. Le même constat peut-être fait au sujet de patients atteints de graves pathologies, qui ont systématiquement tendance à surestimer largement leurs capacités et leur espérance de vie. Quand les individus sont confrontés à une réalité négative, ils ont tendance à ignorer cette réalité. Ainsi, lorsque l’on demande à des individus s’ils estiment possible qu’ils développent un cancer, la plupart répondent que les probabilités sont très basses. Or aujourd’hui, la probabilité qu’une personne développe un cancer dans sa vie est de 30%. Lorsque l’on repose la question aux individus après leur avoir donné cette statistique, la plupart préfèrent l’ignorer et ne changent pas leur réponse (ou à peine). Ils ignorent inconsciemment les réalités qui sont trop négatives.
C’est une tendance biologique : le gyrus frontal inférieur droit (une partie de notre cortex frontal) qui permet à notre cerveau de comprendre et d’accepter les « mauvaises nouvelles » est moins développé que le gyrus frontal inférieur gauche, qui lui traite les « bonnes nouvelles ». Il est donc plus compliqué pour notre cerveau d’intégrer une mauvaise nouvelle qu’une bonne. Et plus l’on est « optimiste », moins cette partie de notre cerveau est efficiente, moins l’on intègre et l’on accepte les mauvaises nouvelles.
Bien sûr, à propos du changement climatique, ce biais d’optimisme existe. On sait très bien aujourd’hui que les conséquences d’un réchauffement de 2 degrés seront très graves. Pour autant, nous avons du mal à l’imaginer, nous avons du mal à envisager la réalité du problème.
Être optimiste sur le changement climatique nous empêche de prendre les bonnes décisions
Résultats ? Nous prenons presque systématiquement de mauvaises décisions car nous surestimons nos chances de réussir ou car nous sous-estimons la gravité de la situation. Par exemple une étude en psychologie sociale montre que les personnes très optimistes ont tendance à prendre des décisions irrationnelles sur le plan financier : elles épargnent trop peu, s’endettent souvent, dépensent plus qu’elles ne devraient. D’autres études ont montré qu’avoir une vision optimiste du futur a tendance à diminuer l’énergie des individus pour surmonter un défi. En d’autre terme : si l’on pense qu’une situation sera relativement bonne (ou pas si mal) dans le futur, il n’y a pas de raison de dépenser de l’énergie pour changer les choses. Une dernière étude publiée dans le Journal of Experimental Social Psychology concluait de son côté que les personnes optimistes étaient souvent moins motivées pour résoudre les problèmes ou les tâches à accomplir.
Dans son ouvrage « Rethinking positive thinking », Gabrielle Oettingen démontre qu’au final, être optimiste a tendance à empêcher les individus de mettre en oeuvre le changement. Ainsi, une personne en surpoids aura tendance à nier la nécessité de perdre quelques kilos si elle est optimiste, se disant que ce n’est pas si grave, ou qu’elle trouvera bien une solution… plus tard. Ou au pire, cette personne se dira qu’en faisant quelques changements minimes et peu contraignants elle perdra du poids. Et c’est précisément ce que font aujourd’hui les société mondiales face au défi du changement climatique. En niant la réalité du problème, ou en minimisant sa gravité, nous avons tendance à ne pas prendre les décisions qui pourraient permettre de résoudre le problème.
Aujourd’hui, comme nous n’avons pas pris la mesure de la gravité du problème, nous nous focalisons sur des changements « à la marge » : réduire et trier ses déchets, réduire de quelques % les émissions de CO2 des véhicules, réduire « un peu » sa consommation d’énergie en éteignant le mode veille de sa télévision. Certes, tous ces gestes sont utiles, et mis bout à bout, ils peuvent avoir un impact sur la gravité du réchauffement climatique. Mais au final les vrais gestes qui nous permettraient de réduire vraiment nos émissions de CO2 (réduire drastiquement notre dépendance au transport individuel, réduire de façon importante notre consommation d’énergie de manière à pouvoir se contenter d’énergies renouvelables, réduire notre production industrielle et notre consommation de ressources) sont oubliés.
En matière de politique internationale, c’est la même chose : la COP21, la COP22 et tous les traités internationaux ont beau être des progrès significatifs, ils ont jusque là échoué à mettre en place les décisions les plus importantes et les plus cruciales dans la lutte contre le changement climatique. Une équipe d’experts de la géopolitique et du droit international publiait d’ailleurs en 2010 un « Plaidoyer pour le pessimisme à propos des traités internationaux sur le climat », où elle développait l’idée que seuls des traités internationaux peu contraignants et/ou peu efficaces pourraient être signés par les gouvernements mondiaux. D’une manière générale, il semble que les changements vraiment efficaces ne parviennent jamais à obtenir un consensus, car d’une part, on n’a pas pris conscience que ces mesures sont urgentes, et d’autre part, parce que ce sont des mesures que l’on perçoit comme trop difficiles à mettre en oeuvre.
Changement climatique : être optimiste ou pessimiste ? Quelle solution ?
Et en effet, à titre individuel, il est aujourd’hui quasiment impossible de se passer de sa voiture par exemple, alors qu’en France, le transport individuel représente près d’un quart des émissions de CO2 et que c’est certainement la manière la plus efficace de réduire notre empreinte carbone. Comment aller travailler sans voiture ? Comment faire ses courses ? Comment gérer sa vie de famille et aller chercher ses enfants à l’école sans voiture ? Et surtout, si l’on ne perçoit pas la gravité et l’urgence de la situation, pourquoi tenter de le faire, pourquoi se contraindre autant et remettre en cause son mode de vie ?
Si l’on vous disait aujourd’hui que vous allez mourrir dans 6 mois si vous n’arrêtez pas de prendre votre voiture et de consommer du pétrole tout de suite, il est probable que vous le feriez sur l’instant. Et à l’échelle de leur histoire, c’est exactement le dilemme devant lequel sont placées les civilisations humaines. Changer son mode de vie, ou disparaître. L’optimisme trop fort que nous avons à propos de notre futur, la confiance que nous plaçons dans notre capacité à trouver une solution facile au changement climatique nous empêche de voir ce dilemme. Cette dissonance cognitive, c’est la raison pour laquelle être optimiste à propos du changement climatique n’est sans doute pas la solution.
Alors faut-il être pessimiste ? Sans doute un peu, notamment sur ce qui nous menace. Parce que si l’on est pas clair sur les risques que le changement climatique et la crise écologique font peser sur nous, si on ne les répète pas (au risque d’être démoralisant), on aura toujours tendance à oublier le danger. Mais pas complètement pessimiste pour autant : le pessimisme lui aussi nous empêche d’agir, par désespoir. Les pessimistes diront « parce qu’il est trop tard, rien ne sert d’agir ». Alors il faudrait être réaliste ? Nécessairement, car ce n’est qu’en se confrontant à la réalité que l’on peut la changer. Mais il faut surtout être capable d’être pessimiste et optimiste au bon moment. Car il est là le paradoxe de l’optimisme : à force d’être (trop) optimiste sur la gravité du changement climatique, nous avons oublié d’être optimistes sur nos capacités à changer radicalement notre mode de vie pour inverser la donne. Nous faisons des changements à la marge car nous ne pensons pas qu’il est possible de vivre (et de bien-vivre) sans le confort que nous a apporté le pétrole et ses avatars. C’est pourtant là qu’il faut être optimiste : c’est un changement difficile, qui nécessitera des efforts radicaux et une refonte globale de notre système économique et social (contre les intérêts économiques et institutionnels de nombreux acteurs actuels), mais c’est un changement possible. C’est surtout un changement nécessaire et indispensable.
Alors sur le changement climatique, soyons pessimistes. Préparons nous au pire, car il arrivera nous dit Edward Murphy. Mais sur notre capacité à changer, soyons optimistes : nous pouvons envisager un modèle différent, un modèle écologique et responsable, en nous focalisant sur les vrais problèmes et les vraies solutions.