De bonnes nouvelles, mais pas pour tout le monde : voilà comment on pourrait résumer le rapport sur les pollutions littorales réalisé par l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse et la Direction interrégionale du ministère de l’Écologie pour l’année 2015, rendu à l’occasion de la journée mondiale des océans. Si celui-ci note une amélioration continue de la qualité des eaux côtières depuis quelques années, il tire la sonnette d’alarme sur les impacts des pollutions « historiques » au PCB ou aux métaux lourds et leurs impacts sur les cétacés, ainsi que l’ampleur de la pollution aux micro-plastiques.
La Méditerranée regroupe tous les défis du monde maritime pour les années à venir : c’est une mer semi fermée, bordée par pas moins de 23 pays riverains avec des niveaux de développement complètements disparates, possédant une biodiversité importante tout en étant un véritable carrefour d’échanges commerciaux. Ces particularités rendent extrêmement complexe la gestion des pollutions, qu’elles soient chimiques ou biologiques. Ajoutez à ça une urbanisation galopante sur ses façades les plus développées et une forte pression touristique vous aurez une idée de l’importance de la surveillance de la qualité des eaux côtières.
La DCE (Directive Cadre sur l’Eau) a obligé les états membres de l’UE à effectuer un suivi de la qualité des eaux littorales : c’est dans ce cadre que le rapport de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse a été rendu public. La Directive Cadre Stratégie sur le Milieu Marin (DCSMM) va prendre le relais dès cette année pour le monitoring des masses d’eaux marines, toujours dans le but d’un « bon état écologique » à atteindre. Mais où en est la pollution en mer Méditerranée aujourd’hui ?
Pollution en Méditerranée : une qualité d’eau côtière dans les normes européennes…
Déjà, les bons points : en ce qui concerne les habitats des herbiers de Posidonie, cette herbe marine endémique de Méditerranée, l’Agence constate une amélioration générale voir une croissance pour les secteurs des calanques de Marseille et au large de Toulon. Ces herbiers sont une base importante pour les écosystèmes marins : ils servent de nourriture mais aussi d’abris aux alevins, souvent d’espèces commerciales, et hébergent une biodiversité riche à préserver. Ils sont ravagés par les mouillages sauvages des plaisanciers qui raclent les fonds avec leur ancre ainsi que par la compétition avec une espèce invasive, Caulerpa Taxifolia.
Dans les secteurs de Fos sur Mer et d’Antibes l’état des herbiers de Posidonie n’est pas bon, mais le récif corallien est paradoxalement préservé et même considéré comme l’un des plus riches du littoral.
De même la baisse de fréquentation des navires de haute plaisance depuis 2012 a permis de limiter les rejets d’hydrocarbures en mer ainsi que des eaux noires, issues de la vie à bord de ces navires. Néanmoins la fréquentation de ces yachts est repartie à la hausse cette année, sans que l’impact soit encore mesurable.
Enfin une bonne richesse en poissons adultes ainsi qu’en juvéniles est notée pour les secteurs du Sud-Ouest de la Corse, pour la Côte Bleue et des Embiez.
Ces bons résultats sont à mettre principalement au crédit des villes littorales qui ont modifié leurs pratiques en insistant sur les raccordements au réseau urbain de traitement des eaux domestiques. Les stations d’épuration sont correctement dimensionnées et ont limité leurs rejets dans l’environnement.
En revanche, concernant les pollutions chimiques et sans mauvais jeu de mot, les choses se corsent : même si les taux de Tributhyletain (TBT) et de Polychlorobiphényles (PCB) sont inférieurs aux limites européennes ils restent présents à des concentrations préoccupantes dans les masses d’eau, en particulier au large des ports.
… qui cache des pollutions historiques encore importantes.
Cette pollution chimique marque en particulier certaines zones : la rade de Marseille, la rade de Toulon et la Côte d’Azur et sa conurbation d’un seul tenant. Ici l’impact des ports et de l’urbanisation est direct : le TBE est extrêmement rémanent dans l’environnement (il met plusieurs dizaines d’années à se biodégrader en mer) et provient en grande majorité des peintures antifouling présentes sur les navires. Ce composé est interdit depuis 1982 pour les petits navires de plaisance et seulement depuis 2008 pour toutes les coques : c’est un puissant perturbateur endocrinien, modifiant le fonctionnement hormonal chez tous les individus contaminés. Il se bioaccumule plus vite qu’il ne se dégrade, ce qui impacte très fortement les cétacés de Méditerranée au sommet de la chaîne alimentaire locale, mais aussi toutes les ressources marines : huîtres, mollusques et poissons.
Une autre famille de polluant organique persistant se retrouve en très grande quantité dans les organismes des cétacés de Méditerranée : les PCB, issus la aussi des activités humaines (lubrifiants, huiles dans les condensateurs électriques) et responsables d’atteintes aux fonctions reproductives. Cette pollution est présente depuis de nombreuses années sur d’autres façades littorales (Baie de Seine notamment) et fait peser une menace sanitaire importante sur les ressources marines.
Un autre marqueur des activités agricoles humaines est le DDT : lui aussi présent dans des pesticides interdits depuis de nombreuses années, sa rémanence dans l’environnement est très importante et continue à faire des dégâts. Les taux de DDT peuvent atteindre des seuils vertigineux chez les rorquals, proches « de l’impact physiologique » selon les chercheurs.
La population de cétacés en Méditerranée est l’une des plus menacée au monde, à cause de cette pollution mais aussi des activités commerciales, sources de collisions et de nuisances sonores.
Pollution en Méditerranée : une très forte présence des micro-plastiques
Preuve que la préoccupation est récente, ce n’est que la seconde fois que des mesures de concentration en micro-plastique ont lieu, entre la Corse et le continent. Et là aussi, les nouvelles sont mauvaises.
La concentration moyenne de micro-plastiques en Méditerranée française est de 100 micro-particules à l’hectare, à l’exception notable d’un triangle Villefranche sur mer-Antibes-Corse ou l’on constate un taux 15 fois supérieur, de 1500 particules à l’hectare !
Issus de la fragmentation des déchets plastiques de plus grosses tailles ainsi que des particules présentes dans les cosmétiques, ces micro-plastiques polluent la totalité des océans de la planète et se glissent dans la chaîne alimentaire, jusque dans notre assiette. Cette forte concentration accompagne toutes les autres pollutions précédemment citées : les PCB ou TBT se fixent en effet sur ces micro-particules avant d’être ingérées et de se bio accumuler dans la chair des poissons ou des cétacés.
C’est l’une des premières campagnes océanographiques côtières qui s’intéresse à cette problématique et la seconde pour l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, après celle de 2012. Ceci marque une prise de conscience des pouvoirs publics sur l’impact de ces micro-plastiques pour la qualité des eaux côtières : cette pollution ne fait pas partie des indicateurs suivis dans le cadre de la DCSMM ou pour la DCE. Espérons que les diagnostics des Agences de l’eau fassent évoluer ce point !
Le rapport de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse relève donc une légère amélioration de la qualité des habitats marins comme les herbiers de Posidonie ainsi qu’une qualité d’eau satisfaisante sur le littoral. Mais les mesures des polluants historiques sont toujours préoccupantes et les micro-plastiques représentent une menace supplémentaire sur un écosystème riche et déjà sous pression, en particulier pour les cétacés.
L’accumulation des usages sur la Méditerranée représente bien un des défis majeurs qui attendent les océans au 21ème siècle : sur un espace limité comme la mer, les actions humaines ont des répercussions importantes qu’il va falloir apprendre à limiter pour notre propre bien.