Réduire nos émissions de 40% d’ici à 2030 tout en garantissant la justice sociale. Le projet de loi “Climat et résilience” saura-t-il remplir cet objectif ?

Le 10 février, le projet de loi “portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets”, dit projet de loi “Climat et résilience”, a été présenté en Conseil des Ministres. Il sera, ensuite, débattu à l’Assemblée Nationale à partir de début mars. Inspiré des 149 propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, son objectif est de réduire de 40% les émissions de la France d’ici 2030 par rapport à 1990, dans un cadre de justice sociale. Le projet de loi est une des dernières chances pour la France de respecter ses engagements climatiques dans le cadre de l’Accord de Paris.

Présenté comme “ambitieux” par le gouvernement (on retrouve d’ailleurs ce mot dix fois dans le texte du projet), il a cependant reçu de nombreuses critiques de la part d’associations, de personnalités politiques et d’organisations de jeunesse mais aussi d’instances publiques. Le projet de loi “Climat et résilience” est-il alors à la hauteur de ses ambitions ? Analyse.

Que retenir du projet de loi “Climat et résilience” ? 

Le projet de loi “Climat et résilience” comporte 69 articles, divisés en 6 parties, sur le modèle des mesures proposées par la Convention Citoyenne sur le Climat. A la suite, nous résumons l’essentiel de ces parties. 

Consommer

Le projet de loi propose notamment d’interdire la publicité pour les énergies fossiles. C’est le ou la maire qui devra faire respecter cette interdiction. Il propose également de développer le vrac dans les grandes surfaces en lui consacrant 20% de la surface de vente. La consigne pour les emballages en verre sera autorisée. 

Voir aussi : Publicité et écologie : quels liens ?

Produire et travailler

Cette partie propose d’intégrer le sujet de la transition écologique parmi les attributions du comité social et économique pour responsabiliser les entreprises. Elle prévoit aussi une réforme du code minier pour permettre au gouvernement de refuser des permis miniers d’exploration ou d’exploitation pour des motifs environnementaux. Le développement local des énergies renouvelables est encouragé par l’autorisation d’installer des systèmes de production d’énergies renouvelables ou des toitures végétalisées sur les surfaces commerciales et les entrepôts de plus de 500 m2

Se déplacer

Le secteur des transports est la principale source d’émission de gaz à effet de serre en France. Cette partie vise à favoriser les transports en commun en développant les parkings relais, en mettant en place des zones de mobilité à faibles émissions dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants et en expérimentant des voies réservées aux véhicules propres. Le projet de loi propose également la suppression progressive, à l’horizon 2030, de l’avantage fiscal dont bénéficie le gazole consommé par les poids lourds du transport routier de marchandises. Concernant l’aviation, les liaisons intérieures pour lesquelles il existe une alternative bas carbone de moins de 2h30 seront supprimées (à l’exception des correspondances). La compensation carbone des émissions des vols intérieurs sera également rendue obligatoire pour les compagnies aériennes. 

Se loger

Cette partie prévoit d’encourager la rénovation énergétique des bâtiments tout en protégeant les ménages les plus pauvres en interdisant la location de passoires énergétiques, par exemple. Elle propose également l’interdiction des terrasses chauffées. Pour respecter l’objectif programmatique de réduction par deux du rythme d’artificialisation des sols sur les dix prochaines années par rapport à la décennie précédente, cette partie pose des contraintes pour ouvrir un nouvel espace à l’urbanisation et interdit la création de nouvelles surfaces commerciales qui entraîneraient une artificialisation des sols (avec une dérogation possible pour les surfaces inférieures à 10 000 m2). Le projet de loi se fixe également comme objectif de constituer un réseau d’aires protégées couvrant 30 % du territoire national. 

Se nourrir

Concernant la restauration collective, une expérimentation sur des menus végétariens quotidiens est prévue ainsi que l’obligation de comporter au moins 50 % de produits durables (dont 20 % de produits biologiques), d’ici 2022 pour le public et 2025 pour le privé. Le projet de loi définit une trajectoire de réduction des émissions de protoxyde d’azote et d’ammoniac du secteur agricole et envisage l’application d’une redevance en cas de non-respect. 

Renforcer la protection judiciaire de l’environnement 

Le texte prévoit un durcissement de la loi avec une peine maximale de 3 ans de prison et de 300 000 euros d’amende pour les comportements illicites qui exposent la faune, la flore ou la qualité de l’eau à un risque immédiat de dégradation grave et durable. Cette partie crée le délit d’écocide pour tout “comportement intentionnel ayant conduit à des atteintes graves et durables à l’environnement” qui sera sanctionné par des peines aggravées pouvant atteindre jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros d’amende. 
Pour en savoir plus : Écocide, crime d’écocide : définition d’un concept juridique d’importance

Le projet de loi “Climat et résilience” est-il efficace ?

Le projet de loi permet-il de remplir son objectif ?

L’objectif du projet de loi “Climat et résilience” est de réduire de 40% les émissions de la France d’ici 2030 par rapport à 1990, tout en garantissant la justice sociale.

Le gouvernement a confié l’étude d’impact du projet de loi à un cabinet privé, le Boston Consulting Group. Une étude d’impact est un document, à destination de l’autorité compétente concernant l’autorisation du projet (ici le Parlement) et le grand public, qui quantifie et décrit l’impact qu’aura un projet sur l’environnement. Dans la sienne, le Boston Consulting Group conclut que le projet de loi “Climat et résilience”  “contribue à sécuriser l’atteinte d’entre la moitié et les deux tiers du chemin à parcourir entre les émissions en 2019 et la cible en 2030, soit une réduction de 112 Mt éq CO2/an ». Le cabinet relève également les impacts bénéfiques que le projet de loi aura sur l’environnement (préservation des écosystèmes), sur la santé (réduction de la pollution) et sur l’emploi (l’économie bas carbone va créer plusieurs centaines de milliers d’emplois non délocalisables d’ici 2030). 

Cet optimisme n’est pas partagé par tout le monde : de nombreuses associations et personnalités politiques ont vivement critiqué le manque d’ambition du texte comme dans cette tribune signée par une trentaine d’organisations de jeunesse qui appellent le gouvernement à faire preuve “d’audace”. Des critiques que partagent plusieurs instances publiques qui ont été saisies pour donner leur avis sur le projet de loi. Le Haut Conseil pour le climat a, par exemple, déclaré que “ces mesures constitueraient donc une part importante de l’effort à engager mais ne permettraient pas à la France de rattraper son retard dans la transition bas-carbone.” Il déplore des délais de mise en œuvre trop longs et des périmètres d’applications restreints.

Le Conseil National de la Transition Écologique, lui, soutient l’objectif de décarbonation de l’économie et l’importance donnée à l’éducation. Mais il s’inquiète de la baisse insuffisante des gaz à effet de serre induite par cette loi. Il demande, également, plus de précisions sur les moyens humains et financiers alloués au respect de la loi et regrette le peu de mesures prises pour lutter contre les inégalités. Même son de cloche au Conseil Économique Social et Environnemental qui a conclu que  “les nombreuses mesures du projet de loi, en général pertinentes, restent souvent limitées, différées, ou soumises à des conditions telles que leur mise en œuvre à terme rapproché est incertaine”. Le Conseil d’État, quant à lui, déplore une étude d’impact souvent superficielle. 

Le projet de loi est-il fidèle aux propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat ? 

En juin 2020, Emmanuel Macron s’était engagé à reprendre “sans filtre” les propositions de la Convention Citoyenne dans une future loi climat. Voyons ce qu’il en est aujourd’hui. 

Sur la plateforme Sans filtre, les 150 citoyens de la Convention Citoyenne font le suivi de l’application de leurs mesures. Pour l’instant, dix d’entre elles ont déjà été rejetées et quinze sont en danger tandis que seulement dix mesures ont été appliquées ou partiellement appliquées. 

Parmi les mesures en danger, citons celle d’ “organiser progressivement la fin du trafic aérien sur les vols intérieurs d’ici 2025, uniquement sur les lignes où il existe une alternative bas carbone satisfaisante en prix et en temps (sur un trajet de moins de 4h)”. Dans le projet de loi climat, ces 4 heures ont été remplacées par 2h30. Un détail qui a son importance puisque sur les 108 vols intérieurs que compte la France, 22 connexions seraient concernées par un critère de 4h contre seulement 5 par un critère de 2h30. 

Autre exemple : parmi les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, on retrouvait celle d’ « adopter une loi qui pénalise le crime d’écocide dans le cadre des 9 limites planétaires”. Le projet de loi “Climat et résilience” remplace le crime d’écocide par un “délit d’écocide”. Une différence de taille puisque le délit est une infraction moins grave que le crime, les sanctions encourues et le délai de prescription sont donc moindres. La disparition de la notion de négligence dans l’article a également vivement inquiété les associations. Le caractère intentionnel d’une dégradation de l’environnement est, en effet, très difficile à prouver.  

Le projet de loi “Climat et résilience” est-il à la hauteur finalement ?

Même si le projet de loi “Climat et résilience” est un pas dans la bonne direction, il est encore insuffisant au regard des objectifs de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Une réduction d’autant plus urgente que le rehaussement de l’objectif européen de -40% à -55% en 2030 par rapport à 1990 pourrait demander à la France des efforts supplémentaires. 

Comment expliquer que les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat aient ainsi été édulcorées ? Trouver un équilibre entre nécessités écologiques et réalités politiques est difficile, d’autant plus lorsqu’un gouvernement est soumis à la pression des lobbies. Les lobbies de l’aviation, de l’automobile, de l’agrochimie et de la publicité ont été particulièrement actifs. Dès juin 2020, ils ont multiplié les forums et les rencontres avec les parlementaires comme ces “Rencontres pour l’accélération écologique” où se réunissaient des représentants de Coénove (gaz vert), de BASF (chimie) ou de la FNSEA avec des députés. Relayé par certains médias, ce lobbying a mené au détricotage des mesures de la Convention Citoyenne et à un projet de loi moins ambitieux que ce qui était attendu.

Le projet de loi s’apprête à passer en délibération à l’Assemblée. Il reste à espérer que les parlementaires, encouragés par la société civile et les avis rendus par les instances publiques, sauront lui redonner les moyens de remplir les objectifs climatiques de la France.

Photo par Eddie Junior sur Unsplash

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