Il y a 70 ans, le 2 décembre 1946, les pays pratiquants la chasse à la baleine se mettent d’accord pour signer l’une des premières conventions internationales relative à la bonne gestion de la biodiversité marine : la Commission Baleinière Internationale (CBI) était née. Les Etats signataires de la convention de Washington s’engagent à gérer durablement les populations de cétacés, décimés par un siècle de chasse intensive. Petit à petit la CBI a changé, passant du statut de « club des chasseurs » à celui de protecteur des populations mondiales de baleines, jusqu’à déclarer un moratoire, une pause, dans la chasse aux cétacés en 1986.
Depuis 1949, la CBI se réunit tous les ans pour examiner la gestion des populations de baleines : cette année ce fût en Slovénie jusqu’au 28 octobre, et ce fût une fois de plus l’occasion d’assister à une véritable bataille rangée entre tenant de la protection des cétacés et partisans d’une reprise de la chasse commerciale.
C’est l’occasion pour nous de jeter un oeil sur cette organisation très décriée mais pourtant vitale pour la protection des ressources de l’océan.
Un outil juridique imparfait mais nécessaire
Examiner 70 ans de fonctionnement de la CBI est à la fois passionnant… et terrifiant. C’est l’archétype du comportement égoïste des Etats en ce qui concerne l’environnement. Si la Convention de Washington (ayant donné naissance à la CBI) a été signée en 1946, c’est parce que les Etats membres se sont rendus compte qu’ils avaient quasi intégralement détruit la ressource en cétacés, et non dans le but de les protéger !
Les pêcheries des pays développés, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, n’étaient plus que l’ombre de leur grandeur passée depuis la seconde guerre mondiale et l’effondrement des stocks de baleines. Les Etats se sont donc rendus compte que, sans connaissances scientifiques et sans politique de quota, les grandes baleines allaient tout simplement disparaître des océans. Ils se sont donc mis d’accord pour limiter leurs prises ou stopper leur chasse à travers la CBI.
Mais devant les quotas de plus en plus réduits pris dans les années 50, 60 et 70, une étape supplémentaire devait être franchie : arrêter la chasse pendant un court moment, avant la disparition totale de la ressource. C’est ainsi que l’idée d’un moratoire international sur la chasse commerciale à la baleine a été vendu aux pays signataires : la pêche reprendra un jour, mais seulement quand la population de cétacés aura repris du poil de la bête. Ainsi fût décidé, par la majorité qualifiée des 3/4 des membres, un moratoire international sur la chasse commerciale à la baleine.
Si on peut souligner l’exploit (en temps de guerre froide, dans un monde encore préoccupé par la guerre nucléaire et pensant encore que les ressources océaniques étaient infinies), on se doit d’être honnête et de reconnaître que d’énormes erreurs ont été commises.
Tout d’abord, la recherche d’un consensus international en 1946 passa par fournir des concessions aux pays les moins enclins à signer la Convention. Symbole de ces concessions, le droit d’objection est un outil qui allait être la source de tous les problèmes dans les années post moratoire. En effet, chaque pays signataire dispose d’un droit d’objection, qui doit être exercé dans les 90 jours après une décision prise par la CBI : le pays qui l’exerce n’est tout simplement pas tenu de respecter la décision prise. Ainsi la Norvège, l’Islande et l’URSS ne sont pas tenus par le moratoire sur la chasse commerciale grâce à leurs objections. Sur son site internet, la CBI justifie l’existence de ce droit d’objection par la nécessité de rassembler sous de mêmes règles à la fois les pays chasseurs et les opposants à la chasse. Oui, mais voilà : les pays qui se sont soustraits au moratoire sont ceux qui chassaient avant 1986, les pays concernés ne chassant de toute façon plus ! Dès lors qu’elle est l’utilité du moratoire ?
Le moratoire ouvertement contourné, la CBI réagit (enfin)
A l’heure actuelle, il sert principalement à une chose : empêcher le Japon de reprendre la chasse commerciale au grand jour. En effet, ce pays tue tous les ans depuis 1986 300 cétacés par an sous couvert d’une chasse scientifique, afin soi disant d’étudier les espèces de grandes baleines. Cette permission est prévue dans le cadre du moratoire, mais n’est qu’un prétexte reconnu comme fallacieux par la Cour Internationale de Justice (CIJ) en 2014 en ce qui concerne le programme de chasse japonais dans l’Antarctique. Ce programme nommé JARPA couvre une revente de la chair de baleine et ne fournit pratiquement aucune donnée scientifique utile. L’hiver dernier, le Japon a donc légèrement modifié son programme officiel et est retourné chasser en Antarctique, au nez et à la barbe de la CIJ !
Devant cette arnaque manifeste, les Etats de la CBI ont cette année réagi. Le Japon devra dorénavant soumettre son programme de chasse scientifique à un comité scientifique indépendant, mais affilié à la CBI. « Ce vote est une réaction forte à la décision unilatérale du Japon de s’autoriser à pratiquer la chasse scientifique » a déclaré Matt Collins du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW). « Nous savons tous que la chasse scientifique est une mascarade et est en fait de la chasse commerciale » a ajouté le militant. Oui mais voilà, la CBI n’a pas le pouvoir d’interdire cette chasse « scientifique ». Alors à quoi servira ce comité d’évaluation ? Mystère.
En instaurant un contrôle de la chasse scientifique, la CBI entame une mue plus que nécessaire pour bien faire comprendre que le temps de la chasse à la baleine est finie. Cette chasse qui ne profite à personne (personne n’étant tributaire de la chaire de baleine pour sa survie) représente de plus un coût financier chaque année plus important pour le Japon qui continue pourtant à s’y accrocher pour des motifs culturels. Ceux-ci sont pourtant pris en compte par le moratoire, en autorisant la chasse aborigène avec quota mais le Japon n’a jamais réussi a faire reconnaître sa chasse comme étant une coutume ancestrale.
Le vote d’un nouveau sanctuaire baleinier en Atlantique Sud, reliant ceux de l’océan Indien et de l’Antarctique, aurait concrétisé cette mutation. La motion a pourtant été recalée pour la 3ème fois, la majorité des 3/4 n’ayant pas été atteinte. La CBI est donc bloquée, notamment à cause de la politique de « consolidation » (achat) de votes du Japon. Pour y répondre, l’Union Européenne et les pays opposés à la chasse encouragent les membres de l’UE à rejoindre la CBI. Il va falloir un sérieux effort diplomatique d’ici l’année prochaine si l’on veut garantir un avenir aux cétacés. Tourner la CBI vers l’étude et la protection des baleines en serait l’aboutissement ultime.