Les recherches tendent à démontrer un lien entre changement climatique et risques de conflits. Comment ? On vous explique.
Phénomènes météorologiques extrêmes, augmentation des inégalités, diminution des ressources… On le sait, le réchauffement climatique est tout autant problématique pour la planète que pour les hommes qui la peuplent.
Et s’il avait aussi un lien avec les conflits dans le monde ? Prenons de la hauteur pour analyser le réchauffement climatique dans sa dimension sociale et son potentiel lien dans l’augmentation des risques de conflits armés.
Le réchauffement climatique : création de tensions autour des ressources
L’augmentation de la température mondiale d’1°C depuis la Révolution industrielle a déjà bouleversé les écosystèmes. Certains affirment que le dérèglement du climat peut être un facteur d’augmentation du risque de conflits. Quels liens peut-on établir entre ces deux phénomènes ?
Diverses ressources sont menacées par le réchauffement climatique et ses conséquences, dont dépendent parfois des millions d’habitants.
Pour l’illustrer, prenons l’exemple lac Tchad au Nigeria. Il a perdu 90% de sa superficie et pourrait être complètement asséché d’ici 20 ans. Pourtant, cette réserve d’eau douce fait vivre plus de 30 millions d’Africains. Un problème notamment lié aux modifications météorologiques et à ses conséquences.
En effet, le dérèglement climatique engendre des phénomènes climatiques extrêmes. Au-delà des catastrophes naturelles plus nombreuses, les sécheresses sont plus sévères et les épisodes pluvieux varient, et peuvent être tantôt plus importants, tantôt moins importants, en fonction des régions et des périodes de l’année.
Au Sahel par exemple, la pluie annuelle actuellement observée reste inférieure de 10 à 15 % à ce qu’elle était lors des décennies de 1950 et 1960. Les récoltes deviennent aléatoires car soumises aux aléas météorologiques, leur productivité décroît.
Ce manque de ressources alimentaires conduit alors à des tensions et des inégalités sociales entre ceux qui ont les moyens de s’acheter à manger et ceux qui ne peuvent pas. Dans l’histoire, le manque de nourriture a parfois même conduit jusqu’à des « émeutes de la faim ».
Toutefois il faut rester prudent dans l’interprétation des faits et veiller à ne pas établir de relation causale trop hâtive entre climat et risques de conflits.
Le dérèglement climatique, un facteur de conflits parmi d’autres : l’exemple du conflit syrien
Le déclenchement d’un conflit est le fruit d’interactions entre facteurs multiples comme le développement socio-économique ou encore la stabilité politique d’un pays. Le changement climatique n’est pas forcément le facteur unique le plus déterminant dans la survenue d’un conflit armé.
On a beaucoup analysé les liens complexes qui unissent sécheresse, migration et conflit en Syrie, par exemple. L’immense sécheresse qui a touché le pays, probablement due en partie aux conséquences du changement climatique a engendré de très mauvaises récoltes notamment pour les cultures gourmandes en eau.
A partir de là, certains font le lien entre le manque de précipitations qui aurait conduit à un exode rural et enfin au soulèvement de 2011 ayant dégénéré en guerre civile.
Les aléas climatiques, source de migration et de tensions ?
Néanmoins, ce n’est pas parce qu’une corrélation existe entre la baisse des précipitations et le déplacement des populations qu’il s’agit d’une preuve suffisante prouvant un lien simple de cause à effet. L’aléa climatique peut n’être qu’un élément ayant participé au déclenchement du conflit, par exemple.
Dans ce cas précis, on note ainsi que le Kurdistan irakien, qui a connu le même épisode de sécheresse que la Syrie, n’a pas connu de phénomène de migration massif notamment car les cultures étaient moins gourmandes en eau.
Il s’agit donc plutôt de se pencher sur la vulnérabilité d’une communauté face aux aléas climatiques et d’observer si elle est préparée à ce type de situation extrême. Dans certains cas, si les communautés ne sont pas préparées, le climat peut participer au déclenchement de conflits armés, mais pas toujours.
Les flux migratoires génèrent-ils des conflits ?
C’est la même logique concernant le lien entre climat, migration et conflit. La croissance démographique d’une ville liée aux flux migratoires ne génère pas nécessairement de conflit violent, et peut même contribuer au développement socio-économique dans certains cas.
En revanche, si les peuples sont en concurrence pour l’obtention de ressources et services nécessaires à leur survie, alors des conflits peuvent éclater.
Cela dépend des politiques d’intégration mises en place, des capacités d’accueil de la ville, de la durée du phénomène, du niveau de stabilité politico-sociale essentiellement.
Les conflits, fruits d’interactions entre des facteurs multiples
Le développement socio-économique ou encore la stabilité politique d’un pays, sa résilience ou sa capacité d’adaptation face à des chocs exogènes sont bien souvent des facteurs déterminants dans le déclenchement d’un conflit armé.
À ce titre, le changement climatique peut avoir un rôle dans le déclenchement d’un conflit en révélant des fragilités existantes. Ce n’est alors pas le facteur déterminant, mais en quelque sorte « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Dans tous les cas, le réchauffement climatique et son lien avec les conflits doivent être appréhendés dans une logique globale.
Pour reprendre le cas de la sécheresse en Syrie : les difficultés climatiques ont engendré des difficultés économiques pour un grand nombre d’habitants qui se sont ajoutées à une baisse des subventions et des salaires pour les agriculteurs par le gouvernement. L’inévitable hausse de la défiance envers le gouvernement a eu un impact significatif dans le déclenchement de la guerre civile. Et pour bien analyser la complexité du conflit syrien, il faudrait encore ajouter à ces paramètres les questions sociales, culturelles et religieuses.
L’augmentation du risque de conflits armés lié à l’intensification du dérèglement climatique
Malgré cette complexité, un grand nombre d’experts semblent aujourd’hui s’accorder sur le fait que le climat augmente déjà le risque de conflits armés.
Une publiée dans le journal Nature, réunissant 11 experts dans des domaines variés comme l’économie, les sciences politiques, la géographie ou encore les sciences environnementales, a conclu que le changement climatique a influencé entre 3 et 20% des risques de conflits armés au cours du siècle dernier. Ils soulignent également que son intensification augmentera le risque de conflits.
Dans un scénario de réchauffement climatique de 4 degrés, les chercheurs estiment que l’influence du climat sur les risques de conflits serait multipliée par 5.
Même en parvenant à respecter les accords de Paris sur le climat et limiter l’augmentation de la température mondiale en-dessous de 2°C, l’influence du climat sur les conflits ferait plus que doubler.
On imagine alors l’ensemble des répercussions de ce risque d’augmentation des conflits en termes de sécurité ou d’impact sur l’économie. Selon les chercheurs, il va falloir mieux anticiper ces chocs via une stabilisation socio-économique des pays les plus fragiles. Il s’agit notamment d’améliorer la diversification économique, ou de renforcer la sécurité alimentaire via de meilleures capacités de stockage des récoltes par exemple.
Appréhender les conflits armés et le réchauffement climatique ensemble pour apporter une réponse plus efficace
Si le rôle que joue le dérèglement climatique dans la survenue de conflits est complexe et variable, la recherche scientifique sur le sujet montre que son influence est réelle, et qu’elle devrait s’accroître.
La situation économique, politique, sociale peut être aggravée par les évolutions climatiques, d’où la nécessité d’inclure le facteur climat dans l’analyse géopolitique.
« Évaluer le rôle du changement climatique et ses impacts sur la sécurité est important, non seulement pour comprendre le coût de nos émissions continues de gaz à effet de serre, mais aussi pour prioriser nos réponses, qui pourraient inclure l’aide et la coopération » estime Katherine Mach, directrice du Stanford Environment Assessment Facility et auteur principal de l’étude de la revue Nature. .
Par exemple, les opérations de maintien de la paix, de médiation des conflits et d’aide post-conflit pourraient à l’avenir intégrer le climat dans leurs stratégies de réduction des risques.
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