dLa mer Morte cristallise tous les problèmes géopolitiques du Moyen Orient : une rareté de la ressource en eau, des besoins importants pour l’agriculture et l’eau potable, une manne touristique fragile et une écologie qui passe bien souvent au dernier rang des préoccupations.
Ainsi la Mer Morte est en passe de… Mourir. Son assèchement n’est qu’une question d’années tant les prélèvements se font importants dans sa principale source d’alimentation, le fleuve Jourdain. Pour empêcher ce funeste destin, la Jordanie et Israël ont décidé de réagir en annonçant la construction d’un gigantesque pipeline de 180 Km de long reliant la Mer Rouge à la Mer Morte. Ce canal souterrain sera accompagné par la plus grande usine de désalinisation d’eau de mer. L’objectif ? Ni plus ni moins que résoudre la pénurie d’eau potable de la région et sauver le trésor culturel qu’est la mer Morte.
La mer Morte, un enjeu avant tout économique
Si Israël et la Jordanie ont décidé de mettre de côté leurs rancœurs c’est bien parce que l’enjeu économique est primordial pour la région. L’eau du Jourdain, qui alimente la mer morte, est prélevée à 95% par les pays riverains pour l’agriculture tandis que le tourisme représente une part toujours plus importante de l’économie du Royaume de Jordanie. A 429 mètres au-dessous du niveau des mers, la mer la plus basse du monde est en train de s’assécher, en menaçant le tourisme balnéaire et patrimonial.
Le site traditionnel du baptême du Christ dans le Jourdain, les grottes de Qumran où furent découverts les manuscrits de la mer Morte, et l’attraction de la mer en elle même drainent des millions de touristes tous les ans pour les pays riverains, dont les eaux très salées sont réputées en balnéothérapie. Son exceptionnel taux de salinité, 247 grammes par litre contre seulement 9 pour la méditerranée en fait une attraction recherchée… Mais en danger.
L’activité d’extraction de minéraux par évaporation est aussi responsable de l’assèchement de la mer Morte. Chaque année, 600.000 tonnes de sel y sont extraites et sont utilisées dans l’industrie agroalimentaire ou cosmétique.
La Jordanie est a présent le second pays le plus pauvre en eau. Entre une mauvaise gestion de la ressource, due à une fraude importante au compteur ainsi qu’un prix du m3 insuffisant, le royaume hachémite a désespérément besoin de cette ressource vitale pour sa population, qui augmente brutalement depuis quatre ans sous l’afflux d’un million et demi de réfugié en provenance de Syrie.
Il y a donc urgence : si la mer disparaît comme il est prévu dans 30 ans, c’est la population et toute l’économie de la région qui va en pâtir, ce qui renforcera les tensions géopolitiques déjà existantes.
Le « canal de la paix » pour sauver la Mer Morte
C’est une idée vieille de 50 ans qui commence enfin à se concrétiser : le 28 Novembre la Jordanie a annoncé avoir choisi les cinq consortiums internationaux (France, Japon, Chine, Singapour, Canada) regroupant près de 20 entreprises pour lancer les travaux à partir de 2018.
Cette première phase prévoit la construction d’un pipeline de 180 Km pour relier la mer Rouge à la mer Morte, ainsi qu’une usine de dessalement pour apporter de l’eau douce à toute la région. Financé en partie par la Banque Mondiale et des pays donateurs, le projet a véritablement été lancé par les accords de coopération de 2013 entre Israël, la Jordanie et la Cisjordanie occupée, ce qui lui vaut le surnom de « canal de la paix ».
Les chiffres sont pharaoniques : l’usine doit pouvoir traiter à terme 85 millions de m3 par an, ce qui en ferait la plus importante au monde, tandis que 300 millions de m3 d’eau seraient déversés dans le pipeline à partir du captage en mer Rouge.
Cette première phase est estimée à un milliard de dollars, tandis que la totalité du projet se monterait à terme à 10 milliards de dollars !
Cette gigantesque entreprise est censée sauver la mer Morte de sa lente agonie, qui voit son niveau baisser d’un mètre par an depuis 1970. Mais les ONG locales s’inquiètent de l’impact du déversement brutal d’une telle quantité d’eau de mer, qui pourrait entraîner le développement d’algues rouges et de cristaux de gypse. Dans son étude de faisabilité, la banque Mondiale a elle même reconnu un risque écologique, toutefois maîtrisable.
De même, l’usine de dessalement ne satisfait pas les associations qui pointent son manque d’ambition et ses immenses besoins d’énergie. Friends of the Earth Middle East (FOEME) dénonce également un prix de l’eau inabordable pour les populations locales : pour ces ONG une réforme en profondeur du système de distribution d’eau est nécessaire pour faire des économies.
Sauver la mer Morte permettra aussi à Israël d’y trouver son compte en évitant une renégociation des accords de partage des eaux du Jourdain, qui sont très favorables à son agriculture. Le canal devrait permettre aux agriculteurs locaux de pouvoir puiser dans le fleuve sans s’inquiéter d’impacter la mer Morte.
Le « canal de la mer Rouge à la mer Morte », son nom officiel, devra donc permettre de stabiliser la région en évitant une de ces fameuses « guerre de l’eau » que l’on nous promet régulièrement. Sécurisation de l’approvisionnement en eau potable, sauvetage des activités touristiques et économiques de la mer Morte, pacification des relations dans cette région trop souvent explosive : à première vue, que des avantages. Mais vu l’ampleur pharaonique des travaux envisagés et leur côté totalement novateur, ce brillant succès diplomatique pourrait très bien se transformer en désastre écologique si seuls les intérêts économiques continuent de primer.