Le mix électrique français, reposant principalement sur le nucléaire et l’hydraulique, est fortement dépendant de l’eau, ressource critique lors des étés caniculaires. Alors faut-il craindre des « blackouts » l’été dans les prochaines décennies ? Avec le réchauffement climatique, faut-il encore miser sur le nucléaire et l’hydraulique comme principales sources d’électricité ? Faisons le point. 1/2
L’été 2022 a été le deuxième le plus chaud jamais enregistré après celui de 2003 selon Météo France. Il a aussi été marqué par une pluviométrie déficitaire : juillet 2022 est le mois de juillet le plus sec sur la période 1959-2022 à l’échelle nationale.
Si cette situation a eu des impacts sur les populations, l’environnement, le tourisme ou encore l’agriculture (la quasi-totalité des départements métropolitains étaient soumis à des mesures de restriction de l’eau et de l’irrigation en août 2022), la production d’électricité a également été touchée.
Plusieurs réacteurs nucléaires d’EDF mais aussi des turbines de centrales hydroélectriques ont été contraints d’abaisser leur production, voire de s’interrompre momentanément. Cela soit par incapacité en raison d’un débit d’eau trop faible, soit pour respecter les contraintes auxquelles les centrales sont soumises concernant l’utilisation de l’eau et les températures de rejet, en particulier les centrales nucléaires.
Une situation problématique quand on sait que le mix électrique français est principalement composé de ces deux sources d’énergie. En 2021, selon Rte (Gestionnaire du réseau de transport d’électricité français) le nucléaire représentait près de 69% de la production d’électricité en France, suivi de l’hydraulique à hauteur de 12%.
Comment la sécheresse et la canicule impactent-elles la production électrique d’origine nucléaire et hydraulique ?
La question du manque d’eau
Les centrales nucléaires comme les barrages hydroélectriques ont besoin de beaucoup d’eau pour fonctionner.
Les barrages hydroélectriques
Les barrages hydroélectriques fonctionnent à partir de retenues d’eau. Cette eau est utilisée selon les besoins en électricité pour faire tourner une turbine en contrebas de la retenue d’eau, qui à son tour fait tourner un alternateur, qui produit un courant électrique. Plus le débit de l’eau et la hauteur de la chute sont importants, plus la puissance de la centrale est élevée.
Le déficit hydrologique aggravé par les fortes chaleurs conduit à un assèchement des cours d’eau et l’abaissement du niveau des réservoirs d’eau exploités pour la production électrique. Cela perturbe le fonctionnement des installations, et par conséquent la production d’électricité.
Les centrales nucléaires
En ce qui concerne les centrales nucléaires, elles nécessitent un apport permanent en eau froide pour assurer le refroidissement des installations et alimenter les différents circuits pour permettre la production d’électricité. Pour expliquer brièvement le fonctionnement, l’énergie de fission créée par la réaction nucléaire chauffe l’eau contenue dans un circuit primaire fermé. Cette énergie thermique est transmise au circuit secondaire. L’eau qui y est contenue se transforme en vapeur et entraine une turbine, reliée à un alternateur ce qui permet la production d’électricité. La vapeur d’eau s’échappe vers un condenseur, et c’est essentiellement là que l’eau prélevée dans les cours d’eau ou dans la mer intervient puisqu’elle permet de refroidir la vapeur afin qu’elle redevienne de l’eau. Ce circuit assurant le refroidissement est appelé circuit tertiaire.
La production d’électricité est l’usage qui prélève la plus grande quantité d’eau. Mais cela impacte peu la quantité de la ressource en eau. Il faut bien distinguer l’eau « prélevée » et l’eau « consommée » : 98% de l’eau prélevée par les centrales nucléaires est retournée à la source, donc seulement 2% est « consommée ».
Étant donné que la production d’électricité d’origine nucléaire est indissociable de la ressource en eau, les centrales sont construites au bord d’un cours d’eau, le plus possible au débit élevé. Car si le débit est trop faible, il est plus compliqué d’assurer le refroidissement des installations et produire de l’électricité.
L’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) a fixé, pour chaque centrale, des limites de prélèvements d’eau, éventuellement complétées par des seuils de débits minimums du cours d’eau pour y prélever de l’eau.
Approfondir : Production et consommation électrique en France en 2022 : quel bilan ?
La hausse de la température des eaux
Concernant les centrales nucléaires, un second problème se pose en période canicule ou de sécheresse : celle de la température de l’eau.
Les rejets thermiques dans l’eau des centrales nucléaires
On l’a dit, les centrales nucléaires prélèvent de l’eau dans les cours d’eau ou les milieux marins côtiers pour assurer leur bon fonctionnement, et permettre la production d’électricité, notamment avec le refroidissement du condenseur. Dans le processus, et particulièrement au contact du condenseur, l’eau se réchauffe par échange thermique. L’échauffement de l’eau constitue l’écart de température entre la sortie et l’entrée. Elle est ensuite restituée au cours d’eau ou à la mer (ou seulement partiellement selon le type d’installation, nous y reviendrons plus loin). Elle est donc susceptible de réchauffer ainsi à son tour les eaux dans lesquelles elle est déversée : on parle de pollution thermique.
Selon certains paramètres, l’eau sera plus ou moins réchauffée. Si l’on est en situation d’étiage, c’est-à-dire le niveau le plus bas d’un cours d’eau, l’eau plus chaude que le cours d’eau sera moins diluée et donc son pouvoir de réchauffement est plus important. L’autre paramètre à noter est celui de la température initiale de l’eau. En période de canicule, la température des cours d’eau a déjà tendance à être relativement élevée par rapport à leur température habituelle. L’impact de rejets thermiques dans le milieu est donc plus élevé. Mais justement, en quoi l’élévation de la température des milieux aquatiques est-elle problématique ?
Rejets thermiques : des conséquences sur les milieux aquatiques
La pollution thermique est par définition une pollution diffuse qui peut avoir des effets locaux importants sur les écosystèmes aquatiques.
Tout d’abord, la température des cours d’eau est un des principaux facteurs qui agit sur la dynamique des organismes vivants aquatiques. En effet, la plupart des organismes vivants aquatiques dépendent de la température du milieu aquatique pour leurs fonctions vitales (reproduction, croissance, physiologie…).
De plus, la température contrôle de nombreux paramètres et notamment la quantité d’oxygène présente dans l’eau. En effet, plus la température de l’eau est élevée, moins elle contient d’oxygène, car ce dernier se dissout moins facilement. Or, l’augmentation de la température de l’eau modifie le métabolisme des animaux aquatiques qui ont besoin de plus d’oxygène. La situation est aggravée dans les eaux chargées en matières organiques : les bactéries aérobies qui s’en nourrissent prolifèrent, et par définition consomment davantage d’oxygène.
En conséquence, en fonction des modalités de la pollution thermique (degré de variation de la température, vitesse de la modification, quantité de matières organiques dans le milieu…), on peut assister à une asphyxie du milieu aquatique et une chute de la population de certaines espèces, notamment de poissons.
Donc en plus du contrôle direct qu’exerce la température sur les organismes aquatiques, elle exerce un contrôle indirect via la modification des paramètres physico chimiques. La température est donc un facteur essentiel du fonctionnement des écosystèmes aquatiques.
Ainsi, pour ne pas trop réchauffer les milieux environnants et protéger la biodiversité aquatique, chaque centrale a ses propres limites réglementaires de température de rejet de l’eau à ne pas dépasser, contrôlées par l’ASN. Techniquement, les centrales pourraient utiliser l’eau plus chaude des cours d’eau pour fonctionner, mais c’est la réglementation qui fixe des limites.
Une réglementation qui peut d’ailleurs évoluer selon la saison, ou en fonction des circonstances. Prenons l’exemple de la centrale de Flamanville, qui puise l’eau dans la Manche. D’après la décision n° 2018-DC-0639 de l’ASN, la température de l’eau de mer, à la sortie des galeries de rejet, doit être inférieure à 30 °C de novembre à mai, et inférieure à 35 °C de juin à octobre. Et l’ASN précise bien « hors situations d’exploitation particulières ». Cela signifie que l’autorité peut autoriser EDF à dépasser temporairement les températures maximales de rejet de l’eau, moyennant une surveillance renforcée de l’environnement.
Concrètement, plusieurs cas de figure sont possibles :
- La température des rejets reste conforme aux limites fixées, la centrale peut donc continuer de fonctionner normalement ;
- La centrale peut continuer de fonctionner mais à puissance réduite pour limiter ses rejets ;
- L’octroi de dérogations, dans une durée limitée, à certaines centrales nucléaires pour poursuivre le rejet des eaux de refroidissement et maintenir une certaine production d’électricité. Cinq centrales nucléaires ont ainsi fait l’objet de dérogations cet été ;
- L’arrêt forcé du fonctionnement de certains réacteurs.
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Des projections climatiques futures qui inquiètent
Le rapport Explore 70 établi par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) anticipe une baisse du débit moyen annuel des cours d’eau dans toute la métropole de l’ordre de 10% à 40% à l’horizon 2050, voire jusqu’à 60% dans certaines régions. Les projections inquiétantes du rapport rappellent la dépendance de notre mix électrique actuel à l’eau.
Actuellement, tous usages confondus, on prélèverait 10 % environ de la quantité d’eau du Rhône. Dans la seconde moitié de ce siècle, sous l’hypothèse d’une baisse de 30 % du débit du fleuve, de tels niveaux de prélèvements ne seront plus soutenables. Se poseront alors des questions délicates comme celle du refroidissement des centrales nucléaires situées le long du fleuve, y compris en dehors de la période estivale stricto sensu, ou bien comme celle du rationnement des prélèvements agricoles.
Rapport d’information du Sénat « Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée »
Quant à la température, le GIEC prévoit une élévation de la température moyenne pour les cours d’eau en France autour de +2°C, dès 2050, ainsi qu’une élévation des températures moyennes comprise entre +1,5°C et +5°C.
Il est donc légitime de s’interroger sur la compatibilité de notre mix électrique avec les conditions climatiques futures. Pour cela, maintenant que nous avons vu que la sécheresse et la canicule ralentissent la production d’électricité en France, il faut se pencher sur les chiffres. Cela nous permettra de déterminer dans quelle mesure ce type de phénomène fait courir un risque sur la production électrique française, à la fois aujourd’hui et dans le futur.
La seconde partie dans cet article : Sécheresse et canicule : une menace pour la production électrique en France ?
Photo par Frédéric Paulussen pour Unsplash