Quelle est la capacité des barrages hydroélectriques et des centrales nucléaires à produire de l’électricité lors des périodes de sécheresse et les canicules ? Ces installations sont-elles toutes concernées de la même manière ? Faisons le point. 2/2
Retrouver le premier article sur l’impact des sécheresses et des canicules sur la production électrique française : Sécheresse et canicule : quel impact sur la production électrique française ?
Des disparités de production selon les régions et le type d’installation
Les questions du débit des cours d’eau et de la température de l’eau ne concernent pas toutes les installations destinées à produire de l’électricité de la même manière. Leur sensibilité à ces variables météorologiques va dépendre notamment la localisation géographique, ou bien dans le cas des centrales nucléaires du type d’installation de refroidissement.
L’influence du lieu d’implantation des installations
Concernant le débit d’eau, d’abord, les centrales nucléaires situées au bord des rivières sont davantage susceptibles d’être impactées que celles en bord de mer. On peut penser à la centrale de Cattenom au bord de la Moselle. En juillet 2022, le débit de la rivière était inférieur à 18,5 m3/seconde, la limite réglementaire fixée. Par conséquent, la retenue d’eau de Mirgenbach qui se trouve à côté du site a été mise à contribution. Un problème que n’ont pas rencontré d’autres centrales, notamment celles situées en bord de mer comme Flamanville, qui puise l’eau dans la Manche.
Si l’utilisation de la retenue d’eau de Mirenbach par la centrale de Cattenom montre une certaine capacité de résiliation du réseau nucléaire français, il faut noter toutefois que ce type d’alternative peut mettre à mal d’autres activités : l’utilisation des ressources en eau de la retenue de Mirgenbach s’est accompagnée d’une restriction de l’accès du public à celle-ci.
Concernant les rejets d’eau chaude des centrales nucléaires, les conséquences ne sont, une fois encore, pas les mêmes selon la localisation. En bord de mer, le fort pouvoir de dilution du milieu marin permet de limiter l’incidence des rejets thermiques sur l’écosystème, à la différence des rejets dans des cours d’eau.
Dans un article pour Franceinfo, Jacques Percebois, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (CREDEN) estime qu’il faut privilégier le bord de mer pour les centrales de demain, là où elles sont moins vulnérables aux vagues de chaleur et aux sécheresses. Cependant, la crise climatique complexifie une équation qui n’est déjà pas simple à résoudre. Car en plus des difficultés à trouver des terres adéquates à l’énergie nucléaire, et à faire accepter la future centrale par la population, l’élévation du niveau des mers et l’érosion des côtes ajoutent de nouvelles variables à prendre en compte.
En février 2022, le président Emmanuel Macron a annoncé son intention de construire six réacteurs nucléaires EPR en France. Parmi eux, quatre sont proposés par EDF en bord de mer, à Penly (Seine-Maritime), près de Dieppe, et à Gravelines dans le Nord. Les deux derniers pourraient voir le jour sur les bords du Rhône. Un système de réfrigération de l’eau du circuit de refroidissement serait intégré, mais là encore il faudra trouver suffisamment de place sur les futurs sites d’implantation des EPR.
L’influence du type d’installation de refroidissement des centrales nucléaires
Il existe deux systèmes pour le circuit de refroidissement des centrales nucléaires, qui n’ont pas la même vulnérabilité face aux aléas climatiques.
La première option est celle du circuit ouvert. D’importantes quantités d’eau sont prélevées et retournées en quasi-totalité à la source. Dans ce cas, il n’y a pas de tour aéroréfrigérante. Parmi les 56 réacteurs nucléaires produisant de l’électricité actuellement en France, répartis entre 18 centrales nucléaires, 14 réacteurs sont en circuit ouvert en bord de mer, et 12 sont en circuit ouvert en bord de cours d’eau (données : Rapport Futurs énergétiques 2050, Rte, octobre 2021).
La seconde option est celle du circuit fermé. Ce type de refroidissement permet de diminuer de 20 fois les volumes d’eau utilisés, ce qui signifie moins de rejets thermiques dans l’eau. C’est donc un atout en cas de sécheresse ou de canicule. Le refroidissement s’effectue ici au moyen de tours aéroréfrigérantes, et une partie de l’eau est perdue dans l’atmosphère sous forme de vapeur. Trente réacteurs fonctionnant sur ce principe existent à ce jour en France.
On comprend donc que les réacteurs fonctionnant à circuit ouvert sont davantage impactés par les sécheresses et canicules.
Les « pertes » d’électricité liées aux canicules et sécheresses en quelques chiffres
Concrètement, quel est l’état des pertes en cas de sécheresse ou de canicule au niveau de la production d’électricité d’origine nucléaire et hydraulique ?
Comme évoqué précédemment, la production d’hydroélectricité dépend essentiellement du niveau de remplissage des stocks, donc fortement déterminée par les précipitations (neige et pluie) ainsi que les températures (et leur influence sur la chute des neiges et l’évaporation des lacs). Or, lors de l’été 2022, les faibles niveaux d’enneigement en sortie d’hiver et les faibles précipitations dans un contexte de sécheresse généralisée ont en effet fortement limité les apports en eau durant l’année.
Au cours des huit premiers mois de l’année, la production hydraulique n’a été que de 33 TWh, en retrait de plus de 10 TWh par rapport aux années précédentes, d’après les données de Rte, alors même que la capacité du parc hydraulique est stable depuis plusieurs années. Ce phénomène se perçoit également sur les pays du sud de l’Europe comme l’Espagne, l’Italie, et le Portugal. La production en 2022 des centrales hydroélectriques françaises n’ont produit que 49,6 TWh, soit 11% de la production métropolitaine. Ce sont des niveaux atteints seulement deux fois lors des quinze dernières années (en 2011 et 2017). À titre de comparaison, la production était de 63 TWh en 2021.
En ce qui concerne le parc nucléaire, les indisponibilités dues aux raisons climatiques sont finalement faibles au regard des autres causes. Elles s’élèvent en moyenne à 1,4 TWh par an, soit moins de 0,4 % de la production nucléaire annuelle selon cette autre étude. En revanche, les arrêts ou ralentissements de production liés à des canicules ou sécheresses peuvent être ponctuellement conséquents.
En juillet 2019 avec la canicule, 6 GW, soit 10% de la puissance installée, était indisponible, alors même que les pertes se concentraient sur seulement quelques centrales, celles de Chooz, de Saint Alban et du Bugey. Les deux dernières sont plus sensibles aux sécheresses et canicules car sont situées en bord de rivière et sans tours aéroréfrigérantes (la situation concerne seulement deux des quatre réacteurs du Bugey). La centrale de Chooz quant à elle fait l’objet d’un accord spécifique entre la France et la Belgique sur le partage de l’eau, ce qui limite ses capacités de prélèvement.
En réalité, une large partie des « pertes » d’énergie sont imputables aux réacteurs à l’arrêt (pour maintenance, réparation, etc.). Sur ce point, cet été 2022 a été particulier. Au 24 mai, 27 des 56 réacteurs nucléaires français étaient effectivement à l’arrêt, selon EDF, soit près de la moitié. Pour 12 d’entre eux, il s’agissait d’un arrêt inattendu à cause d’un problème de corrosion. Les problèmes de sûreté viennent donc aussi impacter la production.
Mais alors dans le contexte énergétique délicat que nous connaissons et face à l’accroissement du risque d’indisponibilité lors de canicules ou de sécheresses en raison de dérèglement climatique, comment envisager le futur de la production électrique en France ?
Y a-t-il un risque réel pour la production électrique en France ?
À l’horizon 2050, Rte estime que la production d’hydroélectricité annuelle moyenne sera globalement similaire à celle observée aujourd’hui (une soixantaine de térawattheures), et ce, quelles que soient les trajectoires climatiques considérées, et en tenant compte d’une hausse très légère de la capacité installée.
Une estimation qu’il faut néanmoins prendre avec précaution car les estimations sur l’évolution du débit réel des cours d’eau sont incertaines. De plus, les débits effectifs des rivières pourraient aussi être modifiés par l’évolution des usages de l’eau. Les effets du réchauffement climatique sur l’humidité des sols ou encore l’évolution des pratiques agricoles seraient par exemple susceptibles d’accroître le recours à l’irrigation et d’avoir une incidence sur les volumes d’eau disponibles pour la production hydroélectrique.
Il faut également noter que la modification du cycle hydrologique va avoir des conséquences sur la répartition de la production au cours de l’année, avec des variations saisonnières importantes entre l’hiver et l’été.
Approfondir sur les risques liés au cycle de l’eau : En 2022, le cycle global de l’eau profondément perturbé
En ce qui concerne le nucléaire, Rte estime que les centrales situées en bord de mer sont à l’abri des problèmes de canicule et de sécheresse, quel que soit le scénario choisi, en ce qui concerne leur capacité à produire. Le réchauffement climatique ne devrait pas induire de dépassement des seuils environnementaux pouvant conduire à des arrêts.
En revanche, pour les sites en bord de cours d’eau, à réglementation inchangée et sans adaptation des installations existantes, le risque d’indisponibilité pourrait augmenter d’un facteur deux à trois. La grande majorité des pertes sont situées sur les mêmes centrales qu’aujourd’hui, à savoir Chooz, Bugey et Saint-Alban, toujours en rapport avec les problématiques de débit ou de rejets d’eau chaude.
La perte de production moyenne d’origine nucléaire, en tenant compte de la fermeture de certains réacteurs et de l’ouverture de nouveaux, est évaluée à 1-2 TWh/an, avec un maximum à 10 TWh sur une année très défavorable (environ 3% de la production annuelle).
Pour clairement comprendre si nous pouvons manquer d’électricité, il faut regarder là où se situent les pics de consommation. Le changement climatique, en affectant le niveau des températures, va nécessairement avoir un effet sur la consommation, baissier pour le chauffage en hiver et haussier si rien n’est fait en été avec les climatisations.
À l’échelle annuelle, Rte estime que la consommation cumulée de la climatisation et du chauffage sera globalement équivalente en 2050 à celle que l’on connait aujourd’hui. En revanche, elle sera répartie différemment. D’un côté, on aura des pointes de consommation en été, en raison de la croissance du parc de climatiseurs et de l’augmentation des températures ; de l’autre côté on assistera à une baisse de la consommation en hiver, du fait d’équipements et de bâtiments moins énergivores, et de vagues de froid moins intenses et moins fréquentes.
Selon Rte, le risque d’indisponibilité simultanée maximum concernant le nucléaire (ayant une chance sur dix de se produire sur un an) se situe entre 6 GW (12% de la puissance installée) et 8,5 GW (16% de la puissance installée) selon la trajectoire considérée. Ces pertes de puissance disponibles ne sont pas négligeables.
Et puis, il ne faut pas relativiser l’impact des effets cumulatifs. Par exemple, si ces périodes d’indisponibilité se cumulent à une situation sans vent empêchant la production d’électricité via l’éolien, ou sans soleil pour le photovoltaïque, le réseau électrique sera alors en souffrance. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en 2050, Rte précise que les configurations les plus à risque pour le système électrique correspondent à des situations de manque de vent conjugué à une température froide, en particulier sur l’ensemble de l’Europe, du fait de la part que devrait prendre l’éolien. D’où la nécessité de rechercher des solutions.
Penser solutions : comment s’adapter au changement climatique ?
Si les aléas météorologiques ont toujours existé, les effets du réchauffement climatique créent une plus grande incertitude. Les épisodes de canicule et de sécheresse vont vraisemblablement se multiplier dans les années à venir, avec les conséquences que l’on connait, et potentiellement entraîner une plus grande tension sur la ressource en eau et son partage entre les différents usages.
L’enjeu est donc d’assurer l’approvisionnement en électricité du pays tout en limitant les risques sur l’environnement et la santé humaine, et en n’accaparant pas la ressource en eau de sorte que d’autres usages puissent en être fait.
Cet enjeu s’inscrit dans la logique d’l’article 210-1 du Code de l’environnement stipulant que « l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général ».
D’autant plus que dans le futur, la consommation d’énergie va baisser mais celle d’électricité va augmenter pour se substituer aux énergies fossiles selon Rte. Il semble essentiel de discuter collectivement de comment se procurer cette électricité demain, en tenant compte du dérèglement climatique et des menaces qui pèsent sur la biodiversité.
Pour cela, les maitres mots sont l’anticipation et l’adaptation.
L’anticipation d’abord, en essayant de mieux modéliser les effets du climat sur la disponibilité du nucléaire et de l’hydraulique. Par exemple, les débits modélisés par Rte sont des débits naturels, c’est-à-dire ne tenant pas compte de l’utilisation de l’eau par les différentes activités humaines. Ils peuvent différer des débits mesurés, qui sont influencés par l’utilisation de l’eau en amont (barrages hydroélectriques, aménagements, prélèvements agricoles…). La construction de modèles au plus proche de la réalité nécessite des données précises.
L’adaptation ensuite, en recherchant des solutions techniques, voire technologiques. Par exemple, EDF a engagé en 2008 le projet « Grands Chauds ». Il décline entre autres les adaptations nécessaires pour la sûreté et la disponibilité des centrales nucléaires (modification de matériel, ajout de climatiseurs…).
On peut aussi noter des évolutions législatives en la matière. En particulier, l’article 4.1.7 de l’arrêté du 7 février 2012 stipule que les nouveaux réacteurs nucléaires doivent fonctionner en circuit fermé lorsqu’ils sont situés au bord d’une rivière ou d’un fleuve, sauf dérogation (accordée après évaluation des impacts sur le milieu, notamment les impacts thermiques).
Finalement, les épisodes de canicule et de sécheresse posent des problématiques réelles à la production nucléaire et hydraulique. Pour autant, il s’agit de phénomènes saisonniers dont l’impact reste limité tant qu’il n’y a pas de dysfonctionnements majeurs cumulés sur la production électrique.
Par Piero d’Houin dit Inocybe, Wikipedia.