Peut-on à la fois sortir du nucléaire et lutter contre le réchauffement climatique ? C’est la question qui se pose aujourd’hui à la France dans son défi de transition énergétique.
Quand on parle de transition énergétique en France, la question tourne rapidement autour du nucléaire. D’un côté, certains affirment qu’il faut en sortir, plus ou moins rapidement, tandis que de l’autre, les défenseurs de l’atome prônent le maintient et même le développement de l’énergie nucléaire : une polémique qui n’en finit plus d’animer le débat public.
Pourtant, le sujet n’est pas si simple que ce que l’on pourrait croire. En réalité, la transition énergétique est une problématique complexe, et la question de la sortie du nucléaire pose en fait de nombreuses questions. Peut-on en sortir facilement ? Par quoi remplace-t-on le nucléaire ? Est-ce possible techniquement ? Comment cela va-t-il affecter le réseau et plus largement l’économie française ? Autant de questions qu’il faut analyser en profondeur si l’on veut résoudre l’équation du nucléaire français. Parmi ces questions, une est particulièrement importante compte tenu de l’actualité écologique : peut-on réellement, en France, sortir du nucléaire sans remettre en cause nos efforts de lutte contre réchauffement climatique ?
C’est le problème auquel a du faire face Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition Écologique, lorsqu’il annonçait en novembre 2017 le retard de la la baisse de la part du nucléaire dans le mix énergétique français. La cause de ce retard ? Un rapport de RTE (Réseau de Transport d’Électricité, qui gère le réseau électrique français) démontrant la difficulté de baisser la part du nucléaire sans augmenter en même temps nos émissions de gaz à effet de serre.
Alors, peut-on réellement sortir du nucléaire tout en continuant à lutter contre le réchauffement climatique ? Tentons de comprendre.
Remplacer le nucléaire par du renouvelable : c’est long
En France, 75% de la production d’énergie électrique provient du nucléaire, contre moins de 20% pour le renouvelable (12% pour l’hydraulique, 4% pour l’éolien, 1.6% pour le solaire et 1.6% pour les bio-énergies). Le reste, c’est du fioul, du gaz et du charbon. Sur le papier, la transition énergétique, c’est facile : on augmente la part des renouvelables et on baisse la part du reste (nucléaire, charbon, gaz, fioul…). Comme ça, on réduit notre dépendance à l’uranium et aux énergies fossiles, et on diminue nos émissions de CO2 (et ça tombe bien puisque c’est notre objectif principal dans le cadre de la COP21).
Sauf que dans les faits, ce n’est pas aussi simple que ça. D’abord parce que la construction d’infrastructures renouvelables prend du temps. Pour construire un parc éolien, il faut par exemple 6 à 9 mois de chantier. Mais avant ce chantier, il faut respecter les procédures administratives et techniques : on recherche un terrain, on analyse ses potentialités, on réalise une enquête publique où l’on demande l’avis des communes et des riverains (ce qui suscite parfois des oppositions et donc des retards), on constitue un dossier technique et administratif complet, on demande une autorisation administrative, puis un classement ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement) dont l’autorisation prend généralement 10 à 12 mois. Ensuite seulement peuvent commencer les travaux. Au total, toute cette procédure peut prendre au moins 3 ans en théorie, la moyenne en pratique étant de 7 ans. C’est la même chose pour le solaire : en 2010 par exemple, le préfet de Gironde a donné l’autorisation pour la construction de la Centrale Solaire de Cestas… qui n’a été lancée que le 1er décembre 2015.
Compenser la production électrique du nucléaire : oui, mais comment ? Et à quel coût CO2 ?
Le problème, c’est que si l’on ferme (rapidement) des centrales nucléaires comme c’était l’objectif initial de la Loi sur la Transition Énergétique, il faut bien compenser la baisse de la production énergétique que cela engendre. Or une centrale nucléaire produit beaucoup d’énergie et remplacer une telle quantité peut vite s’avérer très compliqué, en particulier si l’on ne compte que sur les énergies renouvelables. Par exemple, les 17 réacteurs les plus anciens de France (ceux qui devaient en théorie être fermés) ont produit en un an environ 85 tWh d’électricité. Sur la même période, l’ensemble des installations solaires et éoliennes de France ont produit environ 30 tWh d’électricité (un peu moins de 3 fois moins). En gros, cela veut dire que pour supprimer ces 17 réacteurs nucléaires français, il faudrait au minimum compenser en triplant la capacité de renouvelables installée sur le territoire. Mais en réalité, il faudrait probablement plus que ça, parce que les renouvelables sont intermittents, parce que les parcs actuels bénéficient déjà des conditions les plus favorables.
La question qui se pose est donc la suivante : si l’on ferme 17 réacteurs d’ici 2025 (ou 2030) comment fait on pour multiplier par 3 la production renouvelable en seulement 7 à 12 ans, sachant que la construction d’un seul parc solaire ou éolien peut prendre plus de 5 à 7 ans ? Au niveau des délais, cela semble totalement impossible. D’où la conclusion du rapport de RTE : si l’on ferme brutalement les centrales, il faudra maintenir des centrales à charbon et construire de nombreuses centrales au gaz pour compenser. Or le charbon et le gaz sont contraires à nos objectifs de réduction des émissions de CO2 et à nos objectifs de lutte contre le réchauffement climatique. Bref : si l’on ferme beaucoup de centrales nucléaires, on augmente nos émissions de CO2 à court terme, à moins d’accepter de produire (et donc de consommer) moins d’électricité. La vraie solution serait d’ailleurs sans doute ici : réduire drastiquement nos besoins en énergie. Sauf que dans un contexte de croissance économique et de transition vers le tout électrique (de la voiture aux chaudières en passant par les smartphones) consommer beaucoup moins d’électricité est objectivement très compliqué. En tout état de cause, notre consommation va plus probablement augmenter, ce qui n’aura pour effet que d’augmenter nos besoins en production électrique (qu’elle soit d’origine nucléaire ou renouvelable).
Privilégier les énergies renouvelables ou les énergies non carbonées ?
Et puis, une autre question se pose : le nucléaire est une énergie faiblement carbonée (voir notre article : Le nucléaire est-il vraiment écologique ?). Cela veut dire qu’elle émet peu de CO2 par kWh d’électricité produite. De la même manière, on pense généralement que les énergies renouvelables sont faiblement carbonées. Et c’est en partie vrai, bien sûr, mais pas forcément autant que l’on pourrait croire. Selon les données du GIEC, le solaire par exemple émet plus de CO2 par kWh d’énergie produite que le nucléaire car pour construire un panneau solaire, il faut extraire des ressources, les transporter, les assembler, tout ça avec de l’essence ou de l’électricité qui émet du CO2. Seuls l’éolien et l’hydraulique (les barrages) sont compétitifs en termes d’émissions de CO2 par rapport au nucléaire.
Et puis concernant les renouvelables, même si l’on parvenait à en construire suffisamment pour compenser la production nucléaire arrêtée, d’autres questions se poseraient : le prix de ces énergies, la question de leur stockage pour compenser l’intermittence (et le coût de ce stockage, ainsi que son impact environnemental, notamment l’impact environnemental des batteries au lithium).
Au final, on voit que la question de la transition énergétique et de la sortie du nucléaire est plus complexe qu’on ne peut le penser. D’un côté, vouloir sortir du nucléaire (ou du moins en réduire la part dès que possible) est un objectif important : d’abord pour des questions de sécurité, puis pour permettre de ne plus dépendre d’un approvisionnement en uranium qui n’est pas renouvelable ni recyclable. Mais d’un autre côté, fermer des centrales à court terme est probablement antinomique avec nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de lutte contre le changement climatique. Il faut donc faire un choix et savoir ce qui est le plus pressé.
Faut-il privilégier la sortie du nucléaire ou la lutte contre le réchauffement climatique
Or d’après les climatologues, si nous n’inversons pas la courbe de nos émissions de CO2 avant 2020, la situation climatique risque de devenir catastrophique. À l’heure actuelle, le changement climatique et la pollution de l’air liée au charbon font plus de dégât chaque année que tous les accidents nucléaires de l’histoire réunis. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas sortir du nucléaire, bien sûr, ni d’ailleurs qu’il faut chercher à prolonger volontairement l’exploitation de centrales non efficientes. Mais peut être qu’envisager une sortie plus progressive est une idée plus intelligente si l’on veut pouvoir tenir nos objectifs de protection du climat. D’autant que l’argument classique consistant à dire que maintenir le nucléaire retarde le développement des renouvelables est plutôt faux : sur les 8 milliards de charges de financement de l’énergie de l’Etat, environ 65% sont dédiés entièrement au soutien des renouvelables selon la Commission de Régulation de l’Énergie. Pour le reste, ce sont des acteurs différents qui financent ces projets : ils ne sont donc pas en concurrence, ils ne se substituent pas l’un à l’autre, ils s’ajoutent.
La décision de Nicolas Hulot en 2017 relève donc ici d’un principe de réalité : s’il est impossible à court terme de réduire la part du nucléaire sans augmenter nos émissions de CO2 (et si l’on considère que le réchauffement climatique est la priorité), alors il paraît utile au moins pour un temps (le temps d’avoir construit assez d’installations renouvelables et mis en place de meilleurs mécanismes de lutte contre le réchauffement climatique) de la retarder.
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