Faire pousser la campagne… en ville : les phénomènes émergents de l’agriculture urbaine
Poulets et œufs à la dioxine, maladie de la vache folle, lait en poudre chinois, tartelettes IKEA… Entre épidémies et fraudes, ces dernières décennies ont été ponctuées de nombreux scandales alimentaires qui inquiètent de plus en plus la majorité des français. Nous nous posions déjà la question il y a quelques semaines sur comment engager et mettre en place des processus d’auto-production. Comment répondre à ces scandales ? Comment lutter contre la malbouffe et chasser les pesticides de nos assiettes ? À qui faire confiance ? Grâce à quels outils ? Comment apprivoiser le monde du vivant, la diversité humaine et végétale ? Comprendre ses cycles, le rythme des saisons, les richesses de la biodiversité ? Depuis plusieurs années, de nombreux citoyens revoient leurs habitudes de consommation, conscients de l’impact environnemental de leurs choix alimentaires et des enjeux qui se cachent derrière l’assiette.
Cela se traduit par différents phénomènes et tendances que l’on voit émerger dans les grandes agglomérations urbaines : jardins partagés, potagers collectifs, ventes directes des producteurs aux consommateurs (Amap), ruches sur les toits… Aujourd’hui, cette approche de l’alimentation investit la sphère du marketing et répond clairement à une nouvelle envie de consommer : de façon plus responsable, en respectant le rythme naturel des saisons et en sachant d’où viennent les produits achetés. L’appellation « local » s’est transformée en un réel argument de vente. Le magazine Marketing (septembre 2014) révèle qu’aux États-Unis, cette dimension marketing est en voie de prendre un nouveau sens et de pénétrer le monde des marques. Cette tendance devient une source d’inspiration qui permet de faire évoluer l’écosystème des marques, pour promouvoir auprès du client final une nouvelle philosophie alimentaire.
Ces marques bousculent le marketing (distributeurs, restaurateurs, traiteurs, ect) et rivalisent d’inventivité pour offrir une expérience innovante aux consommateurs à l’instar du prototype « Urban beehive », la ruche d’intérieur de la marque Philips : ce prototype élaboré en deux parties et posé dans le verre de la fenêtre permet aux abeilles de rentrer par l’extérieur, et d’être visibles depuis l’intérieur de la maison. Respectueuse du comportement naturel des abeilles, cette ruche futuriste permet également de libérer un peu de fumée à l’intérieur pour calmer les insectes, avant de récupérer quelques rayons et d’en extraire le miel. Une innovation qui contribue à préserver l’espèce puisque aujourd’hui les abeilles se plaisent en ville, loin des pesticides des campagnes… Aliment du futur ou coup marketing ?
Toujours dans l’esprit « du producteur au consommateur » : le restaurant New-Yorkais Bell Book and Candle qui propose à ses clients des « Menus rooftop ». Ce concept d’agriculture urbaine inclut dans sa cuisine les légumes cultivés sur son propre toit. Il propose par exemple des “Salades rooftop” et crée ainsi une nouvelle segmentation de l’offre. Après les plats végétariens, light ou sans gluten, voici l’ère des spécialités venues du toit. Il s’agit ici des techniques de la culture aéroponique, forme de culture hors-sol et l’un des fronts de recherche les plus récents et prometteurs dans le secteur agricole. En effet, les fonctions remplies par le sol (support et nutrition) sont assurées par des soutiens le plus souvent en matière plastique et par des vaporisations permanentes d’éléments nutritifs. La croissance, accélérée, se fait en intérieur, sans ajout de pesticides ou d’engrais non naturels. Les retours des clients sont extrêmement positifs et soulignent la qualité et le goût des produits. Aujourd’hui, plus besoin de vivre à la campagne ou de posséder un jardin pour avoir le plaisir de voir pousser des choses chez soi. On sait ce qu’on mange. Et surtout, on sait d’où cela vient.
Coup de projecteur sur Prêt à pousser, la startup qui monte
Un kit de culture simple et ludique pour des pleurotes à faire pousser chez soi en 15 jours chrono : c’est le pari fou que se sont lancés Jérome Devouge et Romain Behaghel, fondateurs de Prêt à pousser. Depuis qu’ils ont présenté le projet à l’automne dernier au Salon international de l’alimentation (Sial) à Paris, ils revendiquent 20 000 ventes en deux mois. Un projet qui tient ses promesses.
L’aventure commence en 2012 sur les bancs de l’ESSEC lorsque Jérôme et Romain se rencontrent. Leur première idée était de faire pousser des pleurotes sur du marc de café récupéré dans les bars parisiens. Ils installent donc leur atelier en région parisienne, à Montmagny, et commencent à produire les Bottes de Pleurotes. L’idée est révolutionnaire. Elle captive, séduit tout de suite. La presse s’emballe et les deux acolytes entament une tournée mondiale pour promouvoir leur projet, récompensé à plusieurs reprises. Le succès est au rendez-vous. C’était sans compter sur les pleurotes qui, internationalement connus, sont devenus capricieux… Certains n’aimaient pas le café et ont décidé de ne pas pointer le bout de leur nez. En 2014, ils trouvent une meilleure alternative : utiliser de la sciure de bois recyclée pour faire pousser les pleurotes… et les pleurotes ont adoré.
Comment est née cette idée ? Une découverte saugrenue dans les locaux de leur école « On a découvert des champignons qui poussaient dans les préaux de l’ESSEC. Le soir, on cherchait sur le web pour comprendre comment ils pouvaient pousser si facilement » confie Romain. « Quelques semaines plus tard, on a vu un barman jeter du marc de café à la poubelle. L’équation était trouvée : recycler le marc de café, si abondant à Paris, pour produire de savoureux champignons et créer des emplois ! » La commercialisation des Bottes de Pleurotes a débuté cette année sur leur site internet et en magasins (jardineries Truffaut, enseignes bio L’Eau-Vive, Intermarché, etc.). Cela représente le début d’une belle aventure pour ces deux diplômés. D’autres produits suivront avec plaisir, simplicité et innovation comme maîtres-mots.
Comment ça marche ?
Le kit Prêt-à-pousser se veut le plus facile d’utilisation possible : il suffit d’arroser une fois par jour pendant 7 à 10 jours pour obtenir une botte de pleurotes d’environ 300 grammes, soit de quoi cuisiner un plat pour 4 personnes. Frais, 100% naturel et biologique : l’utilisateur va pouvoir cultiver ses propres champignons et pourra cuisiner entre deux et quatre récoltes pour 19 euros. Innovant, le premier kit de Prêt à Pousser offre aux gastronomes la possibilité de savourer des pleurotes frais, de qualité et en toute saison.
Utilisées dans la maison, les bottes de pleurotes constituent un véritable objet et moment de partage, tant durant la pousse que dans l’assiette. Étonnant, gourmand et ludique, il permet de savourer un aliment simple à cuisiner et que l’on aura plaisir à voir pousser chez soi. Chaque kit se compose d’un sachet contenant un mélange de graines de champignons et de marc de café recyclé ainsi que d’un spray pour l’arrosage quotidien. On peut cultiver plusieurs variétés – toutes 100% naturelles, sans colorant ou OGM, et certifié bio par l’organisme NL-BIO-01 – comme des pleurotes gris, roses ou jaunes. Riches en protéines, en fibres, en glucides, en vitamines et en minéraux, ce sont une très bonne source de vitamines B et de cuivre, avec une bonne teneur en phosphore, en potassium, en fer et en zinc tout en ayant très peu de lipides.
Quelles valeurs, quels objectifs ?
- Autonomie, expérimentation : (ré)inventer, utiliser, donner des outils qui permettent une plus grande autonomie, tant d’un point de vue écologique que dans une dimension humaine, d’implication de l’Homme dans son espace de vie.
- Une dimension ludique : l’habitant peut et doit intervenir sur la construction son milieu, ramener de l’étonnement dans la cuisine, assister à la pousse, consommer son produit à domicile.
- Valoriser un produit : du marc de café en champignons.
- Écologie pratique, économie de moyen : utiliser les ressources locales qu’offre la ville, recycler.
- Ni gadget, ni jardinage : l’objectif est de monter un vrai projet d’agriculture urbaine, viable économiquement, « faire prendre conscience qu’il y a plein de ressources autour de nous, dans une logique d’économie circulaire et de recyclage des déchets ».
Un processus innovant pour un produit durable
Prêt à Pousser collecte le marc de café auprès de cafetiers partenaires à Paris, puis l’achemine dans un atelier pour la production des kits. Après utilisation du kit, chacun participe au projet d’économie circulaire. En effet, le mélange de marc de café est un excellent engrais naturel pour un jardin ou une jardinière : le recycler pour faire pousser des pleurotes, c’est transformer un déchet disponible localement en ressource alimentaire. Les champignons doublent de volume quasi-quotidiennement dès les premières pousses. En 15 jours, une volée de pleurotes tous frais sont prêts à sauter dans une poêle, c’est la possibilité de voir évoluer la nature en direct.
Prêt à Pousser vit des ventes B to C des kits à champignons dont ils ont étoffé la gamme en septembre dernier en lançant les pleurotes roses et jaunes. 100% naturels et toujours aussi délicieux, cela leur permet de toucher une nouvelle clientèle. Même si le web représente encore l’essentiel de leurs ventes, la startup entre progressivement en distribution pour élargir son marché et commence l’export en Europe et en Asie pour devenir la référence du prêt à pousser simple, ludique et gourmand. L’entreprise s’est d’ores et déjà fixée des objectifs à court-terme, ainsi qu’à plus longue échéance. « Tout d’abord, nous voulons sécuriser la production et répondre à la demande, avant de s’exporter dans les pays limitrophes », dévoile Romain Behaghel. Et à moyen terme, les entrepreneurs vont tenter d’élargir la gamme, en proposant des aromates, des petits légumes, et des fleurs – comme le muguet, qui poussera pile pour le premier mai. L’objectif est donc clair : devenir le leader de la pousse à domicile et « vrai concepteur de produits innovants ».
Dans le marché porteur qu’est celui du home-made, la force d’innovation devrait justement permettre à Prêt à pousser de se différencier des concurrents et d’apporter une réelle valeur ajoutée à ses produits. Surprendre nos papilles. Ici la formule dépasse l’argument marketing et s’impose comme un réel gage de qualité. Futur bonheur des chefs étoilés ?
Le saviez-vous ?
- Les champignons sont génétiquement plus proches des hommes que des plantes, fruits et légumes.
- Le plus grand organisme vivant est un champignon de 2400 ans qui couvre environ 9 kilomètres carrés.
- La cueillette de champignons est l’élément le plus aléatoire et le plus mystérieux de la gastronomie.