Allongement du congé paternité : y aura-t-il des incidences sur l’égalité hommes/femmes ?
Au premier juillet 2021, la durée du congé paternité sera allongée à 25 jours au lieu de 11 actuellement, dont 4 jours obligatoires.
Le congé est ouvert sans condition d’ancienneté au père de l’enfant qui doit être salarié, quel que soit le type de contrat du travail (CDI, CDD ou contrat temporaire).
Un décret paru au Journal officiel le 12 mai en précise les contours. Le congé comporte deux périodes :
- une période obligatoire de 4 jours qui doit être prise immédiatement après le congé de naissance de 3 jours (cette période peut être allongée en cas d’hospitalisation immédiate de l’enfant après la naissance). Les jeunes papas doivent donc cesser de travailler pendant minimum 7 jours à partir du 1er juillet ;
- une période de 21 jours (ou 28 jours en cas de naissances mutliples), qui doit être prise dans un délai de 6 mois suivant la naissance de l’enfant, et fractionnable en deux périodes d’une durée minimale de cinq jours chacune.
Son indemnisation est possible dans les mêmes conditions que celles prévues pour le congé maternité par le code de la sécurité sociale.
Quelles conséquences cette mesure va-t-elle entrainer ?
Davantage de temps pour les pères afin s’adapter à cette nouvelle situation et créer du lien avec le bébé
La France rejoint enfin ses voisins européens sur le terrain du congé paternité. 16 semaines de congés 100% rémunérés pour l’Espagne, 1 mois obligatoire au Portugal, et des congés rémunérés qui se comptent en mois dans les pays nordiques, la France rattrape enfin son retard.
Grâce à cet allongement, les pères vont pouvoir mieux s’adapter à l’arrivée du bébé et trouver un nouvel équilibre de vie. Ce délai leur permet de prendre pleinement conscience de leur nouvelle condition. C’est aussi l’occasion pour eux de nouer des liens avec le nouveau-né, de permettre au père et à son enfant de se connaitre et se faire confiance.
Augmentation du nombre de pères qui prennent ce congé paternité
Le congé paternité connait un succès depuis sa création en 2002, même si le taux de recours varie selon les statuts et catégories professionnelles.
D’après ce rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), en France, 7 pères éligibles sur 10 ont prennent leur congé paternité. Mais les taux de recours sont très inégaux selon le statut des bénéficiaires potentiels. S’il est de 80% pour les personnes en CDI ou même de 88% pour les fonctionnaires, seuls 48% des pères en CDD prennent ce congé.
Or, dorénavant, une partie de la durée du nouveau congé paternité devient obligatoire, d’une durée de 4 jours, adossée au congé de naissance de 3 jours qui devient lui aussi obligatoire. Ainsi, tous les jeunes papas salariés devront s’arrêter de travailler pour 7 jours minimum.
Prendre soin de la santé physique et mentale des mères
L’allongement de ce délai était aussi une revendication de la part de nombreuses femmes. Et pour cause : il permet aux jeunes mamans de se reposer à la fois physiquement et psychologiquement, tout en étant soutenues par le père.
Suite à l’accouchement, la femme traverse une période de bouleversements physiques et anatomiques liés à la perte brutale des repères de la grossesse, mais également pshychiques et familiaux, dans cette relation mère-enfant naissante. Cette période appelée post-partum dure plusieurs semaines et nécessite un suivi et une attention particulière car elle peut être la source de douleurs. La présence du second parent aide à les détecter et les prendre en charge.
Et puis les mamans ont besoin de se remettre de la fatigue causée par la grossesse et l’accouchement. Une situation qui leur permet difficilement de gérer seules un nourrisson. D’autant plus dans le cas d’une césarienne où il est recommandé de ne pas porter de charges lourdes. Pas évident avec un bébé de 3 kg…
Peu d’effets en matière d’équilibre des tâches
Si dans un premier temps la présence du père permet de réduire la charge maternelle, ce n’est pas toujours le cas dans la durée.
Les femmes sont en effet celles qui effectuent l’essentiel des tâches domestiques et familiales, avec une situation qui n’évolue que très lentement. Selon cette étude de l’INSEE datant de 2010, 64% des heures de travail domestique étaient prises en charge par la gent féminine, contre 69% il y a 25 ans. Concernant le travail parental, c’est 71% contre 80% il y a 25 ans. Au total, la part du temps consacré au travail domestique et parental pris en charge par les femmes a donc très peu diminué, passant de 71% en 1986 à 66% en 2011. On peut donc supposer que ces chiffres restent encore plus ou moins valables en 2021.
Et l’allongement du congé paternité ne devrait pas avoir un grand effet sur ces données… En effet, les congés maternité et paternité sont pris au même moment. Les jeunes parents apprennent à s’occuper de leur petit ensemble. Mais l’enjeu se trouve aussi une fois ces congés écoulés. Les chiffres montrent que ce sont essentiellement les femmes qui exercent le travail parental. Or, il est important que les pères se retrouvent seuls avec la gestion des tâches :
« Si on veut avoir une politique très transformative du point de vue de l’équilibre des tâches, beaucoup de travaux ont montré qu’il est préférable que le père se retrouve seul à un moment avec la gestion de la famille et tout ce qui va avec« , selon Hélène Périvier, économiste à l’OFCE Sciences Po, directrice du programme PRESAGE Programme de Recherche et d’Enseignement des SAvoirs sur le Genre
Peu d’effets en matière d’égalité professionnelle
Aujourd’hui, c’est essentiellement les mères qui prennent un congé parental pour s’occuper de la vie familiale, ou du moins qui réduisent leur activité. D’une durée de 1 an, prolongeable 2 fois, le congé parental permet à tout salarié justifiant d’au moins 1 an d’ancienneté dans l’entreprise, de suspendre ou réduire son activité professionnelle afin de s’occuper de l’éducation de son enfant de moins de 3 ans.
D’après cette étude de l’INSEE, après une naissance, un homme sur neuf réduit ou cesse temporairement son activité contre une femme sur deux. Cela s’explique en partie par la moins bonne rémunération des femmes par rapport à leurs collègues masculins, qui sont alors plus incitées à prendre ce congé.
Ce sont plus souvent les femmes qui ajustent leur carrière lorsqu’elles ont des enfants et assurent le travail parental, ce qui n’est pas sans effet sur leur réputation sur leur marché du travail : les discriminations à l’embauche liées à l’âge et au sexe sont encore courantes. Il faut que ce risque lié à la parentalité (moins d’investissement, absences plus nombreuses, etc), soit porté de façon équilibrée par les pères et par les mères sur le marché du travail.
« La mesure telle qu’elle est annoncée va avoir très peu d’effets en matière d’égalité professionnelle. Pour avoir un véritable effet sur le marché du travail, il faut encore une fois repenser l’accueil des jeunes enfants jusqu’à leur scolarisation. Donc, après le congé maternité-paternité, il reste encore deux ans et demi avant la scolarisation des enfants qui sont encore très insuffisamment pris en compte. Il y a encore un vrai chantier à ouvrir« , selon Hélène Périvier
L’allongement du congé paternité va donc permettre aux pères de s’investir davantage dans la vie de famille dès les premières semaines du nouveau-né. Une mesure qui intervient tardivement pour la France mais qui ouvre la voie à une série de nouvelles dispositions pour tendre vers une meilleure égalité entre les hommes et les femmes, dans et hors de l’entreprise.
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