AMTI : voilà un acronyme bien barbare pour une technique pleine de promesse. L' »Aquaculture MultiTrophique Intégrée”, de son petit nom, vise à convertir les défauts des élevages d’aquaculture intensifs en avantages décisifs. Cette nouvelle technique est étudiée à travers le monde, en Europe et en France : ses objectifs sont d’effacer la pollution issue des élevages et d’intensifier la production tout en la diversifiant. De quoi offrir au monde une aquaculture du XXIème siècle, écologique et à haut rendements.
L’AMTI : Une réponse aux problèmes actuels de l’aquaculture intensive
C’est un peu paradoxal : alors que l’aquaculture se développe partout dans le monde, elle a mauvaise presse en France. Les tonnages mondiaux produits en aquaculture ont depuis 2012 dépassé ceux de la pêche, la production étant fournie à 80% par l’Asie, dont la Chine produit elle même 90% du total de l’aquaculture asiatique. l’Europe produit environ 2% du restant…
Les raisons de cette mauvaise presse sont nombreuses : on peut citer les antibiotiques utilisés massivement dans certains élevages, particulièrement en Norvège. Ceux ci sont nécessaires pour soigner les poissons atteints par des maladies dues à l’importante concentration d’individus dans les bassins : leur impact sur la santé des consommateurs n’est plus à prouver, ce qui pousse les éleveurs à trouver d’autres techniques pour limiter les intrants, ces produits qu’on donne à l’animal pour préserver sa santé et sa croissance.
Les élevages intensifs de poissons sont également une véritable plaie pour l’environnement à travers leurs rejets dans le milieu. Les fèces des poissons sont riches en matières organiques qui peuvent être assimilées par les écosystèmes proches des cages en mer, mais pas si ceux-ci sont saturés. Il en va de même pour les phosphates ou l’ammonium qui peuvent être absorbés par les algues, conduisant à une explosion de vie primaire qui consommera tout l’oxygène de l’eau. La zone est alors considérée comme morte, car ne pouvant subvenir aux besoins des producteurs primaires, ce qui fait tout simplement s’écrouler la chaîne alimentaire locale.
Les problèmes actuels de l’aquaculture sont donc un frein au développement de celle-ci dans un contexte de protection de l’environnement, comme on le connaît en Europe ou aux Etats-Unis. Il a donc fallu réfléchir un peu plus et faire de ces inconvénients une chance : ce qui sera un déchet pour l’un sera de l’or pour l’autre ! l’AMTI venait de naître.
Le principe est très simple : il s’agit de faire cohabiter des espèces capables de se nourrir des déchets produits par les uns, tout en fournissant une plus value intéressante à l’éleveur, qui pourra ainsi diminuer la densité d’animaux. On passe donc d’une logique de mono-culture à une poly-culture, plus proche de l’écosystème d’origine des animaux élevés.
L’AMTI : améliorer écologiquement les rendements de l’aquaculture
La démarche peut sembler complètement logique : on passe d’un élevage « en batterie », intensif et polluant, à un élevage « complémentaire », moins intensif et le plus propre possible.
Finies les émissions de déchets organiques en grande quantité dans l’environnement : en utilisant des algues valorisables à proximité des cages en mer, elles absorberont les nutriments nécessaires à leur croissance, en provenance directe des fèces des poissons. De même pour d’autres coquillages filtreurs comme les moules ou les huîtres qui peuvent limiter le développement des poux de mer, véritable plaie dans les élevages.
L’amélioration immédiate de l’environnement proche des lieux d’élevage permet de limiter les maladies se développant au sein des fermes aquacoles ainsi que le stress des poissons, ce qui conduit à limiter les intrants (médicaments et antiparasitaires).
En Europe c’est le programme IDREEM qui déploie sur sept sites pilotes des combinaisons innovantes d’élevage : pétoncles, algues, saumons ou encore daurades, moules et huîtres. Le but est d’étudier la réduction des pollutions des fermes aquacoles et d’augmenter leur productivité en axant les recherches sur les espèces valorisables sur le commerce, afin de développer une filière durable et responsable.
Un exemple en France, à Molène dans le Finistère : l’idée est de recréer un écosystème complet dans lequel chaque espèce (huîtres, moules, ormeaux, pétoncles, algues…) joue son rôle. Les coquillages filtrent l’eau, l’azote de leurs déjections est ensuite utilisé par les algues dont se nourrissent les ormeaux et les poissons. On entre ainsi dans l’ère de l’aquaculture écologique intensive : on maximise le fonctionnement des écosystèmes pour valoriser leurs ressources.
Mais plus fort encore : imaginez une association entre un potager et une pisciculture, le potager se nourrissant des déchets azotés issus de l’élevage de poisson. C’est une idée totalement novatrice de l’INRA, déjà étudiée à la station expérimentale de Sizun, dans le Finistère : ici blettes et salades poussent directement sur l’eau issue des bassins de truites, riche en nutriments. Cette culture porte le nom d’aquaponie et permet de recycler l’eau des bassins de pisciculture en circuit fermée : l’eau polluée par les déjections des poissons est épurée par les plantes qui s’en nourrissent. Ceci facilitera le respect des normes drastiques de rejets en milieu naturel qui s’appliquent aux piscicultures terrestres.
L’AMTI : une voie d’avenir pour l’aquaculture européenne ?
Devant la féroce concurrence que représente l’Asie, en situation de quasi monopole sur le marché en forte croissance de l’aquaculture, l’Europe se devait de réagir dans un contexte de surpêche et d’épuisement de la ressource. En mobilisant la science et la technologie l’AMTI permettra d’offrir une aquaculture productive, respectant les milieux et économiquement viable. Pour cela la France est bien placée avec ses 23 espèces animales élevées, quand d’autres pays ont choisi de concentrer leurs efforts sur le seul saumon.
Il reste toutefois des obstacles bien ancrés : les aquacultures françaises sont majoritairement des mono cultures, avec une seule espèce. Le modèle de polyculture à la base de l’AMTI est donc à inventer, aussi bien au niveau des formations que des débouchés. Les cultures d’algues sont par exemple prometteuses, mais encore confidentielles à l’échelle de la France.
Plus encore que les considérations économiques, l’AMTI marque la prise de conscience qu’on ne sort pas une espèce de son écosystème d’origine sans conséquences : l’écologie n’est pas qu’une contrainte mais surtout l’avenir de la filière.
Si tous ces efforts portent leurs fruits il y a fort à parier que l’aquaculture du XXI ème siècle fasse rimer pisciculture, qualité du poisson et respect de l’environnement.