Une étude de l’Institut Français des Systèmes Complexes Paris Île-de-France a tenté de comprendre et de mesurer les formes prises par la désinformation climatique sur Twitter. Leurs recherches montrent que le phénomène s’intensifie en prenant des formes nouvelles, et particulièrement inquiétantes.
Les réseaux sociaux, et Twitter en particulier, sont des lieux d’intenses débats de société. Sur ces lieux d’expression en ligne, ce sont des milliers de personnes, d’opinions, de groupes sociaux et de courants de pensée qui débattent, échangent, transmettent des informations, pas toujours exactes d’ailleurs.
Évidemment, les enjeux du réchauffement et des changements climatiques ne font pas exception et font régulièrement débat sur Twitter. Sauf que les données montrent que de plus en plus de voix s’exprimant sur les sujets climatiques sur le réseau social pratiquent la désinformation et diffusent des fake news. L’institut Français des Systèmes Complexes Paris Île-de-France a mené durant deux ans une analyse des données publiées sur la twittosphère française et internationale au sujet du climat, et montre que les climatosceptiques prennent de plus en plus de place sur Twitter, et que leurs discours prennent des formes de plus en plus perverses.
30% des comptes Twitter s’exprimant sur le climat pratiquent la désinformation
L’Institut a mené cette étude dans le cadre d’un projet intitulé “Climatoscope”, qui s’appuie sur les méthodes d’analyse big data pour étudier les échanges publiés sur Twitter à propos du changement climatique. Durant les dernières années, ce sont près de 400 millions de tweets qui ont été analysés et décortiqués afin de comprendre qui sont les comptes qui publient sur les sujets climatiques, quels sont les contenus de leurs discours, et les liens ou oppositions que ces comptes entretiennent entre eux. Alors, que retenir de cet immense travail d’analyse ?
D’abord, que la proportion des comptes diffusant des fausses informations sur le climat est extrêmement élevée. Au niveau mondial, 30% des comptes s’exprimant régulièrement sur le climat seraient ainsi des climatosceptiques ou climato-dénialistes, c’est-à-dire qu’ils publient des contenus niant les conclusions des études scientifiques sérieuses sur le climat et en particulier celles du GIEC. Ils nient par exemple que le réchauffement climatique soit réel, ou instillent le doutent sur l’origine du changement climatique.
En France, les publications climatosceptiques se sont multipliées ces derniers mois, notamment à partir du printemps et de l’été 2022 et des nombreuses crises climatiques et énergétiques qui ont frappé le pays. La communauté climato-dénialiste a ainsi pratiquement triplé entre le mois de mars 2022 et la fin d’année 2022.
Communautés climato-sceptiques : bots, alt-right et astroturfing
Mais l’étude ne se contente pas de quantifier le volume de comptes ou de tweets des communautés climato-sceptiques. Elle analyse aussi la manière dont se comportent ces communautés, la façon dont-elles publient leur message, et les liens sous-jacents qui peuvent exister entre ces communautés et d’autres groupes actifs sur les réseaux sociaux.
Premier constat : les bots sont surreprésentés dans les communautés climato-sceptiques. Il existe évidemment des bots, des comptes ayant des comportements suspects dans toutes les communautés sur les réseaux sociaux, mais parmi les climato-sceptiques, la proportion de ces comptes est trois fois supérieure à celle des autres communautés comme celles des scientifiques du climat. Les comptes « inauthentiques », c’est-à-dire ceux qui adoptent des comportements suspects (temporalité et typologie des publications illogiques, par exemple) sont également plus nombreux parmi les climatosceptiques.
Lorsque l’on analyse les liens que ces comptes (bots, faux comptes mais aussi vrais comptes) entretiennent avec les autres communautés sur Twitter, on voit qu’il existe des relations étroites entre les climatosceptiques et certains groupes politiques. En France, par exemple, les comptes climatosceptiques sont très liés aux mouvements politiques marginaux de l’extrême droite (Reconquête, UPR…) et à des groupes alimentant des discours complotistes.
On observe ainsi que les groupes climatosceptiques publient également de nombreux contenus anti-vaccins, ou relaient les discours de propagande russes depuis le début de la guerre en Ukraine. Ces corrélations incitent les chercheurs à dire qu’il s’agit « très probablement d’astroturfing (c’est-à-dire de stratégies consistant à faire croire en l’adhésion d’une foule à une cause par la création d’une foule factice, NDLR) en provenance du Kremlin ». Les données montrent d’ailleurs qu’en France, les comptes climatosceptiques les plus actifs sont liés à des groupes étrangers (anglo-saxons, russes, souvent liées aux industriels des énergies fossiles) dont ils reprennent les arguments et partagent les contenus.
Des discours toxiques et violents et déstabilisants
Les données montrent également que les discours climato-sceptiques s’amplifient régulièrement à l’occasion d’événements politiques ou sociaux majeurs. Par exemple, aux Etats-Unis, on constate une hausse des discours climatosceptiques à l’occasion des élections présidentielles, probablement dans l’optique de déstabiliser les discours du candidat démocrate sur ce sujet. En France, la multiplication des crises climatiques au printemps et à l’été 2022, ainsi que la COP27, où les major pétrolières et leur greenwashing étaient surreprésentées ont été l’occasion d’une hausse significative des publications de fausses informations sur les sujets climatiques. Ces fake news sont également publiées en réponse aux publications des rapports du GIEC. On peut donc supposer qu’une bonne partie de ces comptes et de ces contenus sont publiés de manière à décrédibiliser, déstabiliser les institutions ou les groupes portant de vrais messages sur la transition climatique.
Dans leurs formes, les discours climatosceptiques qui se développent sur Twitter sont également plus violents que ceux des autres groupes sociaux. Ces comptes publient plus de trois fois plus de contenus « toxiques » que les autres : des obscénités, des insultes, des menaces, des attaques sur le genre ou la religion, etc… Les publications climato-dénialistes utilisent la technique des 5D pour déconstruire les arguments adverses : discrédit des personnes visées, déformation de leurs propos, distraction (en détournant l’attention du problème climatique pour d’autres enjeux), dissuasion (menaces) et doute (en instaurant le doute sur les données climatiques). Leur discours est donc souvent violent car il attaque personnellement ceux qui portent les messages pro-climat : scientifiques du climat, militants, etc.
En bref, l’étude montre clairement que les discours climatosceptiques se multiplient sur Twitter, souvent sous l’influence de groupes d’intérêts et de mouvements politiques dangereux. Ces discours, de plus en plus violents ont de nombreuses porosités avec d’autres discours complotistes et rassemblent des communautés hétérogènes de contestation. Et malheureusement, le réseau social est de moins en moins actif pour réguler et modérer ces fausses informations et ces faux comptes, notamment depuis le rachat du réseau social par le milliardaire Elon Musk, qui a drastiquement réduit les moyens alloués à la modération sur Twitter.
Face à ce développement inquiétant, il est donc plus que jamais nécessaire d’être vigilant dans notre consommation d’information sur les réseaux sociaux, de croiser les informations, et de donner la parole à ceux qui disposent d’une véritable expertise sur ces sujets.
Photo de Akshar Dave sur Unsplash