Les changements climatiques, la surpêche et la pollution des océans ne sont pas seulement des problèmes à résoudre : ils sont la base de nombreux dérèglements dans les écosystèmes marins, engendrant une véritable pyramide de problèmes. L’un d’entre eux est le développement d’espèces invasives qui se reproduisent très vite et impactent la pêche, le tourisme ou les activités humaines en général. On peut y compter les très connues méduses mais aussi les rascasses volantes ou les crépidules : pour lutter contre ces envahisseurs il semblerait que la solution la plus responsable passe… par notre assiette !
Définition : une espèce invasive, c’est quoi ?
Une espèce devient invasive quand elle est introduite (volontairement ou non) dans une aire géographique ou un milieu qui n’est pas le sien. Privée de sa régulation naturelle, sous forme de prédateurs ou de maladies, celle-ci va proliférer et impacter la biodiversité du milieu qui l’accueille. Tous les milieux sont concernés, de la forêt aux villes en passant par les fleuves, les montagnes… et les océans. Et ces impacts peuvent aller très loin ! L’ONU et l’IUCN considèrent que c’est une des causes majeures de l’érosion actuelle de la biodiversité, au même titre que la fragmentation des habitats ou la surpêche pour les océans. C’est cette plaie que l’ONU propose depuis 2013 de transformer en opportunité pour l’al35599637.jpgimentation humaine… En particulier avec les méduses !
La méduse : bientôt dans notre assiette
Dans ce cas précis, la recommandation de la FAO s’appuie sur le développement anarchique des méduses dans tous les océans du monde : en sont responsable la surpêche des prédateurs (thons, tortues, requins) ainsi que le réchauffement global des océans. C’est un cercle vicieux puisque les jeunes méduses vont se nourrir des alevins et des juvéniles, impactant ainsi les stocks halieutiques (les stocks de poissons et d’espèces marines). Les méduses les plus grosses détruisent les filets de pêche ou bouchent les circuits des centrales nucléaires littorales. Les mers les plus concernées seraient la Méditerranée et la Mer Noire, qui a vu l’introduction d’une espèce, Mnemiopsis leidyi, ayant mis à genoux les pêcheries artisanales. La globalisation des échanges est pour beaucoup dans l’apparition de nouvelles espèces dans des zones géographiques pourtant éloignées de leurs habitudes : transportées par l’eau des ballasts des navires de commerce, les polypes une fois relâchés sont prêts à envahir leur nouvel environnement.
La proposition de la FAO concernant le cas de la méduse a beaucoup fait rire en occident mais est passée complètement inaperçue en Asie. Pourquoi ? Parce que les méduses sont déjà un met de choix en Chine, au Vietnam ou au Japon : elles sont plébiscitées pour leurs qualités nutritionnelles (riches en protéines) et leur texture mi fondante mi croquante. Les pays asiatiques accordent en effet plus d’importance qu’en Occident à la texture, comme nous pourrions en accorder au salé ou au sucré. La méduse n’a aucun goût ou odeur, ce qui permet de l’accommoder dans beaucoup de plats. La Chine en collecte 50 000 tonnes par an !
Avant de vous précipiter sur les plages pour vous tailler un steak dans l’un de ces cnidaires, certaines précautions sont à prendre : toutes les méduses ne sont pas comestibles, et aucune de celles s’échouant sur nos plages européennes n’est bonne pour la consommation. Si vous souhaitez découvrir la saveur de la méduse le plus simple est de vous rendre dans une épicerie asiatique : certains restaurants en servent à Paris, je vous conseille donc la lecture de cet excellent article pour trouver les meilleures adresses.
Manger des rascasses volantes ?
Quel joli nom pour une véritable plaie écologique ! Pterois Volitans est un très bel exemple de rascasse, mais aussi d’une catastrophe en plein développement. Elle concerne maintenant toute la ceinture tropicale mais particulièrement les Caraïbes, où elle a gagné son surnom de Poisson Lion.
A l’origine, une catastrophe naturelle : l’ouragan Andrews brise en 1992 un aquarium en Floride et déverse 6 individus dans l’océan. Oui, 6 individus seulement… Qui sont maintenant des millions. Originaire de l’Océan Indien, cette espèce n’a pas de prédateur capable de passer outre ses défenses : des rayons épineux sécrétant un venin neurotoxique sur ses nageoires dorsales et pelviennes. Capable de pondre 30 000 œufs tous les 4 jours pendant 10 ans, elle est parfaitement taillée pour envahir les eaux Caribéennes, en se nourrissant de toute proie inférieure à 15 cm et remontant jusqu’au large de New-York. Sur un seul massif corallien, elle peut être responsable de la baisse de 79% des stocks de juvéniles. Quand on connaît l’importance des récifs (déjà soumis à des contraintes importantes) pour le développement touristique et pour la pêche locale, on ne peut que s’inquiéter d’une menace aussi pressante.
Son impact sur la pêche est donc extrêmement important, tout comme son poids sanitaire sur des régions aussi touristiques que les Antilles. Heureusement, sa qualité gustative est remarquable ! Là aussi l’estomac humain semble être un bon outil pour gérer ces populations invasives : en prenant la précaution de couper les nageoires contenant les rayons venimeux, on obtient une chair fine, tendre et goûteuse.
La Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal) de Guadeloupe a élaboré une stratégie de contrôle des populations basée sur le soutien à toutes les initiatives pour réduire les populations de cet envahissant carnivore. Mais le montage d’une filière industrielle prendra du temps, tout comme éduquer la méfiance culturelle des pêcheurs contre cet envahisseur. C’est donc pour le moment une ressource pour la pêche artisanale et la chasse sous-marine.
Les crépidules
Incroyable mais vrai : le premier coquillage européen en terme de tonnage disponible est quasiment inconnu du grand public !
La crépidule, que l’on appelle aussi plus poétiquement le « Berlingot des Mers » est un envahisseur discret : son invasion du continent européen s’est fait en deux vagues, d’abord les eaux anglaises au XIXème siècle avec des huîtres rapportées d’Amérique du Nord, puis la traversée de la Manche collées aux coques des barges de débarquement en Juin 1944. La Normandie et la Bretagne Nord sont donc les régions les plus densément peuplées du continent Européen, avec près de 250 000 tonnes pour la seule baie de Cancale !
Le principal problème de ce mollusque filtreur est la compétition avec les espèces élevées, les huîtres et les moules. Privée de ses prédateurs et baignée par nos eaux chaudes la crépidule croit au rythme de 10% par an, appauvrissant les eaux côtières précieuses pour les activités humaines.
Devant l’urgence de la situation l’entreprise ALD (Atlantic Limpet Developement) a mis en place une exploitation des gisements de la baie de Cancale pour la consommation humaine. Le procédé s’appuie sur une extraction à froid du mollusque de sa coquille, permettant de conserver les qualités gustatives du coquillage. Car des qualités, il en a cet envahisseur ! Une chair au goût iodé, une saveur proche de la noisette : certains grands chefs s’en sont déjà emparé pour produire de nouvelles recettes. La coquille est elle aussi utilisée comme amendement aux sols acides, étant très riche en carbonates de calcium. Ceci permet de minimiser les déchets issus de la transformation du coquillage : tout est bon dans la crépidule.
La nécessité d’éduquer le consommateur est là : comme toutes les nouveautés il s’agit d’un marché de niche, ne disposant encore que de peu de recettes. Des marchés s’ouvrent à l’export, avec le Japon et les Etats Unis. Vu l’ampleur de la ressource et sa facilité d’exploitation, il ne manque plus qu’un grand groupe alimentaire pour avoir un nouveau produit de la mer facilement dans l’assiette.
Certains voudraient nous faire croire que l’océan se porterait mieux sans l’être humain et retrouverait seul son équilibre si « on lui foutait la paix ». Le cas d’école des espèces invasives est exactement la raison pour laquelle cette assertion est fausse : l’homme a perturbé les écosystèmes océaniques par ses activités, c’est un fait. Mais il a maintenant la responsabilité de s’investir dans la gestion de ces ressources océanique, afin non seulement de réparer les dégâts mais surtout d’éviter le seuil de non-retour pour sa propre espèce. Les espèces invasives sont une menace sur une biodiversité extrêmement riche mais déjà bouleversée par ce que l’on considère comme la sixième extinction de masse. Et si manger devenait un acte éco-citoyen ? Ainsi notre alimentation, responsable de nombreux impacts sur la planète, ne serait plus seulement une partie du problème, mais surtout une part de la solution.
Crédits images : CNES, Car-Spaw, wikipedia