Inégale représentation dans les nouvelles, ségrégation professionnelle, dans le secteur du journalisme aussi les femmes sont désavantagées par rapport aux hommes. Etat des lieux.
Il y a quelques semaines, nous vous parlions de la représentation des femmes dans les médias sous le prisme de la crise sanitaire et uniquement en France.
Au-delà de l’impact de la Covid-19, les femmes sont largement sous-représentées dans les médias, tant comme sujets des nouvelles que dans les rédactions. Les inégalités entre les sexes s’observent notamment selon le secteur médiatique ou encore le métier.
C’est en tous cas ce que tend à montrer l’étude du GMMP (Global Media Monitoring Project) de 2015 à travers 114 pays. Cette quatrième édition se base sur 22 136 reportages publiés, diffusés ou tweetés par 2 030 maisons d’information distinctes.
Tentons donc de prendre de la distance et de comprendre pourquoi le secteur du journalisme reste profondément inégalitaire entre hommes et femmes.
L’invisibilisation des femmes dans les médias d’information : pistes d’explication
Qui est sujet d’information et prend la parole devant l’audience ?
Les femmes, sous-représentées dans les médias d’information
« En 2015, les femmes ne représentent que 24% des personnes que l’on entend, dont il est question et que l’on voit dans les nouvelles de la presse écrite, de la télévision et de la radio, soit exactement le même nombre qu’en 2010. » Tel est le constat du GMMP.
L’écart entre les genres varie selon les sujets abordés. Il est le plus marqué dans les nouvelles sur la politique où les femmes ne représentent que 16%, un chiffre qui a même diminué de trois points de pourcentage entre 2010 et 2015.
En 2015, les 3 principaux enjeux abordés dans les médias étaient les thèmes politique/gouvernement, catastrophe/accident et sports. Or, le choix de ces thèmes ont contribué à invisibiliser les femmes puisque depuis 2010, leur présence a diminué sous le premier et le dernier thème.
Le manque d’expertes dans les médias
L’autre enjeu de la présence des femmes dans les médias est de savoir comment elles y sont représentées. Par exemple, lorsque les femmes sont interrogées dans les médias, à quel titre s’expriment-elles ?
Seulement un cinquième des femmes s’expriment comme porte-paroles, 19% de femmes en tant qu’expertes, en chiffre en très légère augmentation de deux points de pourcentage par rapport à 2005.
38% sont interrogées dans les reportages pour parler de leur expérience personnelle. Les femmes sont aussi deux fois plus susceptibles que les hommes d’être décrites comme « personne au foyer » ou « parent ». Par contre, en 1995 elles étaient cinq fois plus susceptibles d’être ainsi représentées. Il s’agit donc d’une certaine amélioration.
En dépit du nombre croissant de femmes occupant des postes politiques, ou de la diplomation supérieure des femmes, elles restent très minoritaires à s’exprimer comme expertes. Comment expliquer cela ?
Le discrédit des femmes dans les médias
L’une des pistes d’explication est le discrédit vis-à-vis des femmes dans les médias.
Lorsque l’on cherche un témoignage, que l’on souhaite capter l’audience, on écoute la parole des femmes. En d’autres mots, lorsqu’un statut d’autorité et de pouvoir n’est pas recherché, alors on tend davantage vers une l’égalité entre le temps de parole accordé aux femmes et aux hommes.
Karen Ross, professeure de genre et médias et coordinatrice régionale du GMMP en Europe, apporte un autre élément d’explication. Selon elle, la tendance des nouvelles à glisser vers de l’infodivertissement ou encore l’augmentation des niveaux de personnalisation ont pour effet « d’associer la visibilité des femmes dans les nouvelles à des dimensions triviales plutôt que substantielles : elles sont au cœur du reportage en raison de leur biologie (mère) ou encore de leur situation de victime ».
Une hostilité envers les femmes sur la scène médiatique
Par ailleurs, lorsque les femmes sont invitées sur un plateau pour s’exprimer, plusieurs refusent, évoquant un climat hostile à leur égard.
Et pour cause, la conversation peut être un réel enjeu de pouvoir, où se jouent des phénomènes comme le « manterrupting« , bien décrit dans Le Monde.
Ce terme, né sous la plume de Jessica Bennett en 2015, chroniqueuse pour le New York Times et le magazine Time, désigne l’interruption par un homme de son interlocutrice.
Une forme de sexisme ordinaire, qui conduit à une censure de la part de plusieurs femmes qui refusent des interviews.
Les femmes dans la production de l’information : les inégalités persistent
En coulisses, derrière la caméra, dans les salles de rédaction ou dans les studios d’enregistrement, une ségrégation professionnelle est aussi à l’oeuvre.
Une ségrégation horizontale : l’exemple du manque de femmes reporters
Si entre 1995 et 2005, les inégalités de genre ont diminué, les femmes rapportent toujours seulement 37% des nouvelles depuis 10 ans, presse, télévision et radio confondus.
Pourtant, elles sont plus nombreuses à présenter les nouvelles à la télévision que leurs collègues masculins (57%) et le total des présentatrices avoisine la parité.
Une ségrégation horizontale existe aussi au sein du journalisme : les femmes sont reléguées à certains secteurs ou certaines activités, et sont exclues d’autres domaines.
Ségrégation verticale : elles ne montent pas dans la hiérarchie
La sphère médiatique reste encore très fermée aux femmes. Lorsqu’elles ont l’opportunité d’intégrer un organe de presse, leurs perspectives d’évolution de carrière ne sont pas non plus les mêmes que celles de leurs collègues masculins.
Dans la région Asie Pacifique, les femmes comptent pour seulement 29 % de la main-d’œuvre dans les médias. Aux États-Unis, la proportion de femmes occupant des emplois en journalisme a augmenté, passant d’environ 20 % au début des années 1970 à environ 34 % au début des années 1980; cette statistique se situe actuellement à 37 %, indiquant une quasi-stagnation sur le plan de la croissance au cours des 25 dernières années.
De plus, elles n’accèdent pas aux positions les plus élevées dans la hiérarchie et se heurtent, dans le secteur du journalisme aussi, à un plafond de verre.
Actuellement, les femmes occupent 27 % des postes de direction dans les entreprises médiatiques et représentent 35 % des effectifs des salles de rédaction.
Sexisme et harcèlement moral/sexuel au sein de plusieurs rédactions
Les médias peuvent aussi représenter un environnement de travail difficile pour les femmes. Un environnement « offensant, hostile et intimidant pour les femmes« , c’est ce qu’a révélé un audit interne au sein de la rédaction sport de France Télé.
On y décrit un fort entre-soi masculin et une culture patriarcale largement intériorisée, sans prise en compte de la question du sexisme.
« C’est presque considéré comme la vie normale d’une rédaction« . « Dans la rédaction, elles sont valorisées toujours par rapport à leur aspect physique, très rarement par leurs compétences professionnelles » poursuit le rapport de l’audit interne.
Les femmes travaillant dans les médias évoluent donc dans une ambiance où persistent de nombreux clichés sur les femmes journalistes, et où les blagues misogynes persistent, parfois jusqu’à s’apparenter à du harcèlement moral, comme le pointe l’audit.
Selon le GMMP, dans la région de l’Asie Pacifique, 17 % des femmes journalistes ont vécu du harcèlement sexuel en exerçant leur profession. En grande majorité, ce harcèlement provenait de leurs supérieurs.
Un sexisme qui se répercute sur les inégalités salariales puisqu’on refuse encore à l’ensemble des femmes le salaire égal à travail égal.
Mettre fin aux stéréotypes de genre pour atteindre la parité
Cet état des lieux met en lumière une décevante constance quant à la représentation et à l’emploi des femmes dans les médias d’information.
Face à ce problème systémique, il n’y a pas de changement structurel profond permettant une meilleure représentation des femmes à l’échelle mondiale.
Discriminations sur leur lieu de travail, écarts de salaire associés au genre, harcèlement sexuel et sexisme de la part de collègues masculins se perpétuent dans un quasi immobilisme. Comment faire évoluer la situation ?
Il apparait clair que la priorité consiste à lutter contre les stéréotypes de genre qui paralysent le changement. D’importantes mesures seraient donc à prendre pour insuffler un véritable changement culturel et ainsi tendre vers l’égalité professionnelle dans les rédactions et une meilleure représentation des femmes dans les médias.