Que manger quand on est hypersensible au gluten ? Faut-il se passer de tous les pains ? Décryptage.
Effet de mode ou intolérance alimentaire, de plus en plus de personnes décident de se passer de gluten. Parmi elles, on retrouve les hypersensibles au gluten. Cette maladie dont on sait encore assez peu de choses pourrait toucher jusqu’à 13% des Français et Françaises. Pour éviter les nombreux symptômes de la maladie, les hypersensibles au gluten choisissent souvent de bannir tous les aliments qui en contiennent, dont le principal : le pain. En France, le pain est encore la base de l’alimentation de beaucoup de personnes : on en consomme en moyenne 50 kg par an, soit 137 g par jour. S’il fait partie de notre alimentation depuis des siècles, la manière de produire le pain a énormément changé en 50 ans. Ces changements dans notre alimentation peuvent-ils avoir un impact sur notre santé ? Le pain est-il responsable de l’hypersensibilité au gluten ? Faut-il se passer de tous les pains ? Enquêtons ensemble.
Un peu d’histoire : bouleversement dans la manière de faire du pain
Au sortir la Seconde Guerre Mondiale, il faut nourrir la France et pour cela il faut du blé, beaucoup de blé. Adieu, donc les variétés anciennes de blé, trop peu productives et bienvenue aux variétés modernes, sélectionnées pour leurs rendements massifs. La proportion de blés de pays, c’est-à-dire de variétés locales sélectionnées au fil du temps par les paysans, est divisée par 5 entre le milieu du XIXème siècle et le milieu du XXème avec le développement de la sélection industrielle. Les résultats sont démesurés. En quarante ans, la production est doublée, faisant de la France un grand pays céréalier. Les boulangers ont salué cette évolution puisque le blé entre maintenant pour moins de 5 % dans le coût du pain.
Le pétrissage de la pâte à pain se mécanise et s’intensifie pour gagner du temps lors de la panification. Pour que la pâte à pain résiste bien au pétrissage, il faut qu’elle soit suffisamment élastique. Or ce qui confère à la pâte son élasticité c’est le gluten, la partie insoluble du grain, constituée de protéines. Dans la plante, ces protéines servent de réserves nutritives lors de la germination du grain.
Pour le boulanger, ce sont elles qui, mélangées à de l’eau, vont former un réseau qui confère à la pâte ses capacités de cohésion, d’élasticité, de ténacité et de rétention des gaz. Cette élasticité, c’est la « force boulangère » du blé. Elle a énormément augmenté entre les blés d’il y a 50 ans et ceux d’aujourd’hui. On est donc arrivé à des variétés de blé à fort rendement et à forte teneur en gluten. Lorsque le gluten, naturellement présent dans la farine, n’est pas en quantité suffisante, les boulangers industriels vont même jusqu’à ajouter du gluten pur sec pour donner à la pâte le « gonflant » et l’élasticité voulus.
Quelles conséquences pour la santé ?
Si le gluten est pain bénit pour les boulangers industriels, il est accusé de générer plusieurs troubles de la santé.
Les différents troubles liés à la consommation de gluten
En France, les pathologies liées à l’ingestion de gluten ont été multipliées par quatre en 50 ans. Il existe trois troubles liés à l’ingestion de gluten : la maladie cœliaque, l’allergie au blé et l’hypersensibilité au gluten. La maladie cœliaque est une maladie auto-immune qui se traduit par des lésions de l’intestin grêle provoquant un trouble de l’absorption des nutriments. Elle touche 1% de la population mondiale. L’allergie au blé se manifeste par des troubles cutanés, digestifs ou respiratoires. Elle concernerait entre 0,1 % et 0,6% de la population en Europe. L’hypersensibilité au gluten est plus difficilement définissable. Les malades présentent des symptômes variés : douleurs abdominales, brûlures épigastriques, nausées, diarrhées, constipation, maux de tête, fatigue… Il n’existe pas encore de méthodes d’identification mais on estime qu’elle concernerait entre 0,5% à 13% de la population.
Lien entre qualité du pain et hypersensibilité au gluten
Dans le cas des deux premières pathologies, les malades doivent bannir de leur alimentation tout produit contenant du gluten. Il semblerait, cependant, que le type d’aliment consommé influence les symptômes des hypersensibles au gluten. En 2012, une étude a montré que des clients de boulangers utilisant des variétés de blé anciennes locales, en agriculture biologique, moulues sur meule de pierre et sans additifs, peuvent manger leurs produits alors qu’ils font de l’hypersensibilité au gluten.
Outre le fait que l’on est bien mieux capable de détecter et d’identifier les maladies, d’autres facteurs en lien avec les variétés de blé et les méthodes de fabrication pourraient expliquer cette explosion de troubles liés à l’ingestion de gluten.
La sélection variétale en blé a conduit à des profils de gluten des blés peu favorables à sa digestibilité.
Christian Rémésy, nutritionniste et directeur de recherche à l’INRAE
De plus, la culture de ces variétés s’accompagne de l’usage massif d’engrais azotés. Cela augmente la teneur en protéines des plantes pour leur permettre de développer leurs nombreux grains. Cette teneur très élevée en protéines rend le blé difficile à digérer. Le pétrissage intensif est aussi responsable de l’apparition de réseaux de gluten très tenaces. Une méta-analyse de 2015, a conclu que si on n’avait pas encore identifié les causes de l’explosion des cas de pathologies liées au gluten, les techniques de fabrication modernes avaient augmenté l’exposition du consommateur aux composés immuno-réactifs, des composés capables de générer une sensibilité.
Bannir le gluten : la solution à l’hypersensibilité ?
Selon les données 2017 de l’Insee, 3 % des Français ont déjà supprimé le gluten de leur alimentation par nécessité mais aussi parfois par effet de mode. Les ventes de produits sans gluten ont, elles, explosé entre 2015 et 2018, faisant le bonheur, de l’industrie agro-alimentaire. Si les malades cœliaques et les allergiques au blé doivent bannir le pain, on peut améliorer la digestibilité du pain grâce à certaines pratiques, permettant aux personnes hypersensibles au gluten d’en consommer. Le chercheur Christian Rémésy recommande un pétrissage très court, de deux à trois minutes contre 20 actuellement, mais une fermentation longue.
L’usage de levure boulangère dans la fabrication du pain a remplacé celui du levain naturel. Il permet, en effet, d’obtenir du pain en quelques heures. Le levain est issu de la fermentation, par des bactéries lactiques et des levures sauvages, d’un mélange de farine, de sel et d’eau. Selon Christian Rémésy, l’usage du levain naturel associé à une longue fermentation (de 12 à 20 heures par exemple) permet d’amorcer la dégradation du gluten et d’améliorer la digestibilité du pain. Des chercheuses à l’INRAE expliquent que le pain au levain serait plus digeste car le levain contient des enzymes qui découpent le gluten en fragments et facilitent ainsi sa digestion, au niveau du pancréas. Christian Rémésy recommande aussi l’utilisation de variétés anciennes qui n’ont pas été sélectionnées pour leurs grandes quantités de gluten.
Si vous êtes hypersensible au gluten, vous n’avez donc pas forcément besoin de vous priver de tous les produits qui en contiennent. Vous pouvez tester des produits contenant du gluten sous une forme plus digeste : des pains au levain, des céréales de variétés anciennes, des produits fermentés longuement…
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Photo de Kate Remmer sur Unsplash