Depuis quelques années, la mouvance minimaliste s’impose pour inciter à se débarrasser du superflu, à consommer moins et mieux. Less is more comme le disait Ludwig Mies van der Rohe un des fondateurs du courant minimaliste en art. Loin d’être une tendance passagère, le minimalisme, art de vivre japonais, s’impose de plus en plus. Mais témoigne-t-il réellement d’un changement des modes de consommation ? Décryptage.
Le minimalisme, un art de vivre inspiré du Japon
Le terme de minimalisme est protéiforme. Il est surtout connu en Europe en tant que courant artistique apparu dans les années 1960 aux Etats-Unis, en réaction à l’exubérance de l’expressionnisme abstrait et au caractère figuratif du pop art. Ce qui caractérise le minimalisme en art est la recherche d’économie de moyens, se traduisant par la sobriété, le caractère épuré des œuvres inspirées de ce courant.
Loin d’être seulement un mouvement artistique, le minimalisme est aussi un art de vivre issu de la culture nippone. Inspiré du zen japonais, du détachement des choses matérielles et du taoïsme chinois, il est porté par des auteurs comme Marie Kondo et Hideko Yamashita, papesses du rangement s’inspirant de la méthode Dan-Sha-Ri (refuser-jeter-se détacher) ou encore Fumio Sasaki.
Ce trentenaire est considéré comme un chef de file du nouveau minimalisme japonais. En 2011, suite au tsunami et la catastrophe de Fukushima, alors que de nombreux japonais s’attristent de la perte de leurs affaires, lui le vit comme un déclic. Il modifie en profondeur son mode de vie et de consommation, arrête d’acheter des objets inutiles, se sépare de tous ses biens superflus… Et de sa compagne de l’époque.
Quatre ans après, il raconte son dépouillement progressif dans Goodbye Things : The New Japanese Minimalism. Dans cet ouvrage, il explique comment il a quitté un poste lui offrant des revenus confortables et s’est inspiré de la philosophie de Kamo no Chômei, moine bouddhiste du XIIème siècle ayant développé l’idée qu’il ne faut pas s’attacher aux choses matérielles. Ce mode de vie sans choses inutiles, assure-t-il, l’a rendu plus heureux et serein. Désormais conférencier, Fumio Sasaki intervient au Japon mais aussi en Occident, où son livre a connu un succès inattendu lui valant d’être traduit en 23 langues.
Et si le minimalisme connaît un réel succès au Japon, il se diffuse aussi de plus en plus aux Etats-Unis et en Europe, en réaction à la société de consommation.
Le minimalisme comme réaction à la société de consommation chez les élites
Le minimalisme est une tendance qui s’implante en Occident, à commencer par les Etats-Unis, où le courant fait des émules. En témoigne le blog à succès des américains Joshua Fields Millbur et Ryan Nicodemus : The Minimalists. Ces deux amis d’enfance y racontent avoir trouvé l’apaisement et le bonheur en quittant leurs postes à responsabilité et en se dépossédant de la plupart de leurs affaires. Ils mettent en avant leur sérénité retrouvée, reposant sur un contre modèle du rêve américain, détourné de la société d’hyperconsommation.
En France, la tendance minimaliste est moins marquée, quoiqu’elle se développe dans la lignée du mouvement zéro-déchet qui invite à limiter sa consommation afin de produire moins de déchets. En revanche, il se dessine assez clairement un changement de nos modes de consommation vers une consommation plus raisonnée et une économie plus collaborative.
En effet, d’après le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), 65% des français se disent prêts à opter pour l’emprunt de matériel plutôt que l’achat, 67% disent préférer acheter des vêtements dont la durée de vie est longue et 76% intègrent dans leur critères d’achats des appareils électroniques le fait qu’ils soient réparables.
Le désir de changement est donc bien présent, en particulier chez les jeunes urbains éduqués. Toujours d’après le Crédoc, ce désir de consommer mieux et moins, de favoriser l’économie circulaire se développe surtout dans les catégories sociales à haut capital culturel. Les jeunes cadres favorisent ainsi des pratiques comme l’achat de produits biologiques et locaux ou encore l’achat de produits de seconde main.
Mais, en réalité, ces pratiques sont avant tout motivées par la recherche d’un bénéfice personnel direct, une quête de sens qui promeut une nouvelle forme de distinction sociale des classes supérieures. Le refus de la consommation de masse prend une tournure politique, une manière d’affirmer son refus de la société de consommation telle qu’elle est.
Pourtant, cette sobriété revendiquée ne tourne pas réellement le dos à la société de consommation. Le minimalisme choisi traduit plutôt une évolution des modes de consommation où le « faire » est le nouveau graal, au point de prendre le pas sur « l’avoir ».
Le minimalisme, symbole d’une évolution des modes de consommation
Alors, peut-on dire que le minimalisme témoigne de la fin de la société de consommation ? Pas vraiment. Ou du moins, il est le symptôme de la fin potentielle d’une certaine forme de société de consommation, axée sur les biens matériels. En effet, les classes supérieures sont de moins en moins dans « l’avoir » et de plus en plus dans le « faire » qui serait source de bonheur, selon l’Observatoire de la société de consommation. Expérimenter plutôt que posséder, tel est le leitmotiv des jeunes cadres urbains.
Mais si le « faire » est porté par la philosophie du minimalisme et de la frugalité, il représente en réalité un marché plus que lucratif, évalué à près de 95 milliards d’euros. Cette économie émergeante invitant à l’expérience plutôt qu’à la possession témoigne donc d’une évolution de la société de consommation, mais non de la fin de la société de consommation stricto sensu.
Il faut dire que la quête du bonheur par cette quête du « moins » engendre en réalité de nouveaux besoins, de nouvelles attentes comme le soulignait le journaliste Kyle Chayka dans un article du New York Times.
Ainsi, la tendance minimaliste invite à se débarrasser de ses biens pour en louer certains (qu’on avait déjà !), voire à les racheter à plusieurs. De même, le besoin de se ressourcer par la méditation nécessite de multiplier les cours de yoga, le bonheur par le « faire » se décline en ouvrages de développement personnel et de Do It Yourself, qui envahissent les rayons des librairies. Tout cela invite à vivre des expériences – si possible en forêt à l’occasion d’une retraite dans une yourte – qui ne sont pas accessibles pour la plupart de la population.
Au final, le minimalisme a beau être une tendance qui s’affirme, elle reste l’apanage des élites et un nouveau moyen de marquer sa différence sociale. S’il y a des bienfaits indéniables à réfléchir à nos modes de consommation, le fait de se détacher du matériel ne signifie pas que nous sommes à l’aube d’une transition vers une société plus sobre. Ainsi, peut-être faudrait-il appréhender le minimalisme avant tout dans sa perspective philosophique pour penser notre rapport global à la consommation, mais non pour nous inciter à jeter pour racheter… Même s’il s’agit d’acheter autrement et essentiellement des expériences.
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