De 2013 au Parlement Européen à 2016 avec l’examen de la loi Biodiversité, la pêche en eau profonde stigmatise les affrontements entre pro et anti pêche. C’est l’occasion pour nous de revenir sur la place du consommateur dans ce débat : entre les menaces de blocage des ports de pêche et la nécessité de préserver les ressources océaniques, comment le consom’acteur peut-il bien s’y retrouver ?
Illustration tirée de la BD de Pénélope Joliecoeur sur le chalutage profond
Petit retour en Novembre 2013 : une BD se diffuse sur internet, portée par une vague de buzz sans précédent concernant un sujet hautement polémique, le chalutage de fond. Son auteur, la blogueuse Pénélope Bagieu, informait dans des termes très pédagogiques qu’une pétition de l’association Bloom existait pour interdire la pratique extrêmement destructrice du chalutage de fond. En effet un vote au parlement Européen allait ouvrir la voie dans les jours suivants à l’interdiction de cette méthode de pêche. Mais malgré ses 895 000 signatures cette pétition n’est pas parvenue à infléchir le vote des députés européens, qui ont retoqué l’interdiction du chalutage en eau profonde avec 342 voix contre l’interdiction et 326 pour. Le parlement européen préfèrera donner 5 ans à la profession pour modifier ses pratiques et les espèces visées par cette méthode de pêche.
Retour en 2016 : profitant de la loi Biodiversité en discussion à l’assemblée nationale, un amendement est proposé au vote le 17 Mars afin d’interdire pour de bon la pratique du chalutage en ne mentionnant qu’un vague critère de profondeur comme limite à l’interdiction. C’est aussitôt la bronca : les pêcheurs français crient leurs colères sur les quais et menacent de bloquer les ports tandis que les maires des deux principaux ports de pêche de France (Lorient et Boulogne-sur-Mer) rejoints par le Comité Régional des Pêches alertent sur le risque de 500 à 3800 destructions directes d’emplois. Et une fois n’est pas coutume, ils sont rejoints par l’antenne locale d’EELV-les Verts qui annonce préférer une juste collaboration entre scientifiques et pêcheurs plutôt qu’une interdiction « basée sur le critère simpliste de profondeur »
Ainsi le chalutage en eau profonde est devenu au fil des ans le symbole des incompréhensions entre un monde politique coupé de la mer, des consommateurs perdus et une profession qui peine à justifier ses méthodes de travail. Comment dépasser un pareil blocage ?
Des consommateurs perdus face aux modes de production de la pêche
Chalutage profond, poissons d’élevages, gestion des stocks… Aujourd’hui les consommateurs sont perdus face aux modes de production de la pêche. Quand ils décident de s’offrir un beau morceau de poisson, ils ont bien souvent le même réflexe : direction le supermarché ou le poissonnier. Au supermarché vous aurez le choix entre des filets surgelés ou non, cuisinés ou non, avec une provenance toujours indiquée sur l’emballage. Reste que les libellés laissent bien souvent perplexe, notamment face à une indication « pêché au chalut/à la senne/à la ligne en Atlantique Nord Est FAO n°27 » ! Le système d’étiquetage de la provenance est donc un véritable piège, quand l’on sait que la zone FAO n°27 regroupe aussi bien des poissons issus du Nord de l’Islande… que du Sud du Portugal ! Même perplexité chez le poissonnier, où les provenances ne sont pas indiquées sur l’emballage mais souvent derrière le comptoir.
Les consommateurs informés savent que les poissons pêchés au chalut ne sont pas vraiment recommandables à cause de leur impact sur l’environnement… Mais les poissons de ligne sont plus chers et pas forcément éthiques, certaines flottes de pêches (espagnoles notamment) faisant appel à des travailleurs clandestins pour fournir du Bar de ligne. Du côté des poissons issus de l’élevage, on peut alors choisir entre un saumon de Norvège, d’Ecosse, du Chili ou d’Equateur, et des modes d’élevage (semi intensif, intensif…) qui n’aident pas vraiment à faire son choix. Sans compter la question des antibiotiques et des polluants comme les métaux lourds…
Dans ces conditions, la question devient très complexe pour le consommateur, et il ne faut plus s’étonner que les industriels s’emparent de la confusion et proposent des filets surgelés gonflés à l’eau ou aux additifs, pointés par la répression des fraudes.
Une méconnaissance des efforts engagés et un lobbying qui n’aide pas
Ce manque de clarté des affichages de la part des industriels cache malheureusement les efforts engagés par la profession de marin pêcheurs pour rendre l’exploitation des stocks plus durable. Epaulés par l’IFREMER, l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la MER, les professionnels de la mer développent des outils adaptés pour un credo scientifique : l’exploitation durable des stocks par une pêche sélective. Limitation des captures accessoires, durabilité des filets, sélection des espèces… Les efforts portent sur l’amélioration des techniques et des outils mais pas seulement. Suite au vote de 2013 au parlement Européen, la Scapêche, principal armement Français, appartenant au groupe Intermarché et l’un des plus important d’Europe, a senti le vent du boulet et a réorienté une partie de sa pêche de fond, accusée de ravager les océans, vers des espèces plus durables que le Grenadier de Roche ou la Lingue Bleue. De nombreuses centrales d’achat (Leclerc, Super U, Intermarché…) ont stoppé ou limité la commercialisation de ces espèces issues de fonds rocheux pour s’orienter vers la vente d’espèces issues de fonds sableux, bien plus durables comme l’affirme le CIEM (Conseil International pour l’Exploitation de la Mer).
Toutefois, ces efforts sont assez peu diffusés et font donc l’objet de manipulations par les lobbies des deux côtés : côté protection de l’environnement on met trop souvent toute pêche en eau profonde dans le même sac, avec le chalut. Côté pêcheurs on ne communique pas les chiffres, on se réfugie derrière un étiquetage abscons et on menace de bloquer les ports.
Vers une véritable gouvernance de la mer, pour la lutte contre les fléaux écologiques
Le débat de la pêche en eau profonde est avant tout symbolique en France puisque l’on considère que seuls 6 navires sont concernés au sein de la Scapêche, même en considérant qu’un emploi en mer en crée trois à terre. Mieux encore, un accord semble avoir été trouvé entre la flotte de pêche des mousquetaires en l’association Bloom : le 29 Mars 2016 cette dernière annonce que la Scapêche renonce à l’exploitation et à la commercialisation d’espèces de fond, d’ici 2025. Après des années de conflit larvé, il semblerait que défense de l’environnement et pêche industrielle soient enfin (presque) sur la même longueur d’onde. Même si cet accord n’engage que la France (par la Scapêche) il est un bon préambule pour une réglementation européenne impactant également l’Espagne, possédant la seconde flotte de chalutier en eau profonde.
Aujourd’hui d’autres pratiques font beaucoup plus de ravages au niveau des écosystèmes comme la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (en particulier les palangriers asiatiques), la pêche avec des engins prohibés au niveau mondial (filets maillants dérivants utilisés par les Iraniens), etc. Le chalutage de fond tel que pratiqué par les Européens n’est qu’une toute petite partie de l’équation : si on ajoute à cela la notion de stocks fluctuants, les poissons ne restant bien entendu pas dans la même zone toute l’année, on comprend mieux l’intérêt d’une concertation mondiale sur la gestion des stocks océaniques.
Et c’est ici où le bât blesse, le droit de la mer étant le « parent pauvre » de la défense de l’environnement.
Ainsi 3 mois après la COP21 qui a vu 191 pays se mettre d’accord pour l’avenir du climat, c’est le chantier des océans qui s’est ouvert le 28 Mars avec le lancement des discussions pour un accord international sur la haute mer, à New York, dans le cadre des Nations Unies. Le dernier accord remonte à 1982, avec la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM), et celui-ci n’est plus du tout à la hauteur des enjeux qui n’étaient que vaguement évoqués il y a 34 ans. Après 10 ans de pré-négociation, c’est un immense espoir pour une gestion équilibrée et durable des ressources océaniques qui voit le jour.
Acidification, surpêche, pêche illégale, conflits territoriaux : la haute mer couvre 50% du globe et cristallise toutes les tensions d’un monde en plein développement… mais aussi toutes ses chances d’offrir un développement durable et juste à 9 milliard d’êtres humains.
Saura-t-on enfin débloquer ces crispations pour mettre en place un système de gestion de la pêche qui bénéficie à la fois au consommateur et à la planète ? Nous le saurons bientôt !
Crédit image : pêche chalut sur Shutterstock