Et si le régime végan n’était pas si écologique qu’on le dit ? S’il existait des alternatives encore plus écologiques, basées sur des modèles agricoles plus résilients ? C’est en tout cas ce que suggèrent une série d’études récentes.
On sait désormais que l’alimentation représente une partie significative de notre empreinte écologique. En France, l’alimentation est par exemple juste derrière les consommations énergétiques du bâtiment et le transport le troisième poste de nos émissions de CO2. La viande et le poisson représentent à eux deux environ 5% des émissions de CO2 d’un français. L’agriculture qui sert à produire ce que nous mangeons est aussi responsable d’une partie significative des pesticides que nous consommons, ainsi que de la dégradation des sols et de nombreux autres problèmes écologiques.
Pour toutes ces raisons, de plus en plus d’individus cherchent à trouver un modèle alimentaire plus écologique, plus respectueux de la planète. Et depuis plusieurs années, le régime vegan est souvent présenté comme la meilleure alternative. Pourtant, une série d’études récentes mettent en doute ces affirmations. Le régime vegan ne serait en fait pas le plus écologique, ni celui qui permettrait de développer une agriculture écologique et résiliente. Explications.
Le régime vegan est-il plus écologique : aux origines d’une croyance pas si juste que ça
L’idée que le régime vegan serait le plus écologique vient d’un constat simple : les produits d’origine animale sont en moyenne plus polluants que les produits d’origine végétale. Ainsi, par exemple, pour produire 1 kg de seigle, on émettra entre 0.8 à 1 kg de CO2, alors que pour 1 kg de poulet, on émettra trois fois plus, autour de 3 kg de CO2. Les oeufs quant à eux auraient une empreinte carbone de 1.6 kg de CO2 par kilo d’oeuf (soit environ 180 g par oeuf). Pour certaines productions d’origine animale comme le boeuf, c’est encore pire : pour produire 1 kg de viande de boeuf industriel élevé dans les Flandres belges (sans os), on émettra environ 22 kg de CO2.
Même chose pour la consommation d’eau : faire pousser 1 kg de blé contribuera à consommer environ 1800 litres d’eaux, alors qu’il faudra environ 10 fois plus (19 000 litres) pour produire 1 kg de viande d’agneau.
On peut donc logiquement penser qu’en supprimant purement et simplement les produits d’origine animale, on réduirait significativement l’empreinte environnementale de notre alimentation. Une étude britannique a d’ailleurs cherché à établir ce constat en utilisant des données d’empreinte carbone de différents aliments pour comparer les émissions de CO2 de régimes vegans, végétariens ou riches en viande : ses conclusions montrent qu’en moyenne, une diète vegan serait plus écologique en théorie (2.9 kg de CO2 par jour pour le régime vegan contre 7.2 kg pour un régime riche en viande). Sauf que dans les faits, les choses ne sont pas si simples.
Veganisme et écologie : une affaire de modes de production
En effet, lorsqu’on compare les empreintes écologiques de différents produits alimentaires, on a tendance à oublier certaines règles mathématiques et scientifiques de base. Par exemple, lorsque l’on donne le résultat d’une étude sur l’empreinte carbone du seigle ou des oeufs, comme cela a été fait plus haut, il faut garder à l’esprit qu’on ne présente en réalité que le résultat d’une seule étude, avec un protocole spécifique et des hypothèses particulières. Par exemple, le chiffre donné plus haut de 22 kg de CO2 par kilo de viande de boeuf sans os est celui qui correspond à une production en Belgique, industrielle avec ses méthodes d’élevage particulières. Mais on peut trouver des résultats totalement différents si l’on utilise d’autres modes d’élevage. Par exemple, du boeuf de Kobe japonais, extrêmement luxueux, nourri à la bière, émettra 36 kg de CO2 par kg de viande. Logique puisqu’il faut alors beaucoup plus de ressources pour l’élever. Mais si on prend l’exemple d’un boeuf élevé partiellement en pâturage ensemencé en Uruguay, on descend à environ 10 kg de CO2 par kg de viande sans os. Certaines études ont même montré qu’il est possible de produire du boeuf zéro émission grâce à des systèmes d’élevage en pâturage permanent spécifiques, l’action des ruminants contribuant à stocker du carbone dans le sol. Pourtant, l’étude britannique affirmant que le régime vegan est le plus écologique utilise un chiffre de 68 kg de CO2 par kg de viande de boeuf. Pourquoi une telle différence ? D’abord parce que cette étude utilise des données datées (2006) alors que les autres études sont plus récentes et plus fiables, mais surtout parce que la méthode et l’échelle de ces études ne sont pas les mêmes. Il est évident que si l’on prend le cas de l’élevage le plus intensif et le moins écologique, on obtient pas les mêmes chiffres que sur un élevage extensif, avec peu d’intrants et d’énergie consommée.
Bref, on voit que selon le mode de production considéré, le résultat varie du simple au décuple. On ne peut donc pas dire simplement, sur la base d’une étude ou de plusieurs avec des protocoles différents, que tous les produits animaux sont plus polluants que les produits végétaux. Entre les 36 kg de CO2 du boeuf de Kobe et les 3 kg du poulet industriel ou les 10 kg du boeuf en pâturage ensemencé uruguayen, les chiffres varient énormément. De même qu’entre 1 kg de CO2 pour 1 kg de seigle et 9 kg de CO2 pour 1 kg d’asperges, 6 kg de CO2 pour 1 kg de riz ou 3 kg de CO2 pour 1 kg d’avocats non importé, les chiffres varient beaucoup entre les produits végétaux également.
Des produits d’origine animale, mais écologiques ?
De plus, au fur et à mesure que la recherche scientifique avance sur le sujet et que l’on comprend mieux les empreintes carbone des différents produits alimentaires, on s’aperçoit que certains aliments sont en fait plus écolo que l’on ne le croyait. Par exemple, une récente méta-analyse menée sur l’impact environnemental des productions alimentaires montre que les produits les plus écologiques sont en fait non pas les végétaux… mais les produits issus de la pêche de petits poissons pélagiques et des élevages de mollusques et crustacés comme les moules. C’est logique : les stocks de petits poissons pélagiques se reproduisent très vite sans intervention ou ressource humaine (à condition qu’on leur laisse le temps de se renouveler) et les élevages de mollusques ne nécessitent ni ressources, ni énergie, ni pesticides, ni sol agricole, contrairement aux productions végétales ou à l’élevage terrestre.
Les chercheurs ont aussi mis en évidence que le saumon d’élevage, s’il est mené dans de bonnes conditions, a un impact écologique très faible. Et c’est d’autant plus vrai que ce type d’élevage peut être mené en conjonction avec d’autres productions complémentaires, ce qui réduit d’autant les impacts de la production.
Pourquoi le régime vegan n’est pas forcément le plus écologique
Toutes ces données incitent déjà à penser que choisir une alimentation 100% végétale n’est pas forcément le choix plus écologique, car il existe des productions d’origine animale qui sont parfois tout à fait écologiques, si ce n’est plus que certains aliments végétaux. Une étude a même montré que si l’on compare différents régimes en utilisant les valeurs moyenne d’impact écologique des aliments les plus courants, le régime lacto-végétarien et le régime lacto-ovo-végétarien sont généralement plus écologiques que le régime strictement vegan pour atteindre les apports nutritionnels recommandés (bien que cette étude ait les même biais que les autres études de ce type, à savoir comparer des empreintes carbones issues d’études différentes).
Mais au-delà de ces calculs moyens et de cette simple question arithmétiques, le problème de l’impact écologique de notre alimentation regroupe surtout deux enjeux : un enjeu de choix, et un enjeu de modèle agricole.
L’enjeu de choix est simplement de garder à l’esprit qu’au-delà de ce que vous choisissez de manger ou pas, c’est surtout le mode de production (et de conditionnement) de ce que vous mangez qui affecte l’impact de votre alimentation. Ainsi, une diète vegan constituée essentiellement de produits importés ou aux impacts écologiques élevés comme l’avocat, le riz, les noix de cajou, le quinoa ou le millet sera certainement plus polluante qu’une diète omnivore avec une consommation modérée de viande, d’oeufs et de produits laitiers, issus d’élevages respectueux de l’environnement. L’idée sous jacente étant qu’une alimentation écologique est avant tout une alimentation qui se contente de consommer les aliments en fonction de notre capacité à les produire facilement, en quantités et sans trop d’impact sur la planète. Or, ces aliments écologiques peuvent-être végétaux, mais aussi animaux, et inversement, certains produits végétaux peuvent être très difficiles à produire en grandes quantités sans affecter nos ressources naturelles. Bien sûr cela ne revient pas pour autant à dire que tous les adeptes du veganisme ne mangent que des produits importés : beaucoup de vegans tentent de consommer des produits locaux et de saison. Mais même comme cela, se contenter d’aliments végétaux n’est pas toujours plus écologique que de s’alimenter avec des produits variés. Par exemple, des produits comme le hareng ou le maquereau ont des empreintes écologiques inférieures au combo riz-lentille (1.16 et 1.80 kg de CO2 par kg pour les poissons contre 3.7 à 7 kg de CO2 pour le combo riz – lentilles) alors qu’ils apportent plus de calories et de nutriments essentiels (protéines, omega 3). Le canard est aussi plus écolo que la laitue (3 kg de CO2/kg contre 3.8) et bien des produits d’origine animale (oeufs, lait) ont une empreinte carbone inférieure à certains légumes (courgettes, asperges)… Au final, dans certains cas, consommer de temps en temps des produits animaux peut-être plus écologique que de consommer seulement des végétaux, même locaux, de saison et bio. Il faut simplement choisir les produits adaptés avec des modes de production respectueux de la planète.
Un modèle agricole global vegan : une idée difficile à tenir
L’enjeu de modèle agricole, lui, est plus complexe. Car si l’empreinte environnementale de notre alimentation peut être calculée et comparée facilement à celle de notre voisin, les choses ne sont pas si simples lorsque l’on parle du système de production agricole en général (qu’il soit régional, national ou même mondial).
En effet, dans un système agricole, les types de production sont rarement isolés et il est difficile de comprendre cette structure si l’on ne prend pas en considération les interactions qui existent entre les différentes productions. Par exemple, certains déchets de production agricole végétale sont aujourd’hui utilisés dans l’élevage : c’est le cas des tourteaux d’oléagineux et de soja, ou, dans certaines fermes permacoles, des déchets végétaux non consommables, qui sont donnés au bétail afin de le nourrir. De même, certains déchets animaux sont utilisés pour contribuer à l’agriculture végétale : c’est le cas des fumiers par exemple. Ainsi, la célèbre Ferme du Bec Hellouin, connue pour avoir démocratisé le modèle de la permaculture écologique, fait reposer une part essentielle de sa production sur l’utilisation de fumier de cheval, qui lui permet de se passer d’engrais chimique et de nourrir les sols. Certains co-produits agricoles sont aussi utilisés dans l’élevage piscicole et inversement, comme dans l’aquaponie. Sans compter que chaque type de production a un intérêt écologique singulier : l’élevage extensif en prairies contribue à y préserver la biodiversité et à stocker du carbone dans le sol quand l’agriculture végétale diversifiée permet en théorie de préserver la diversité génétique du végétal,
En résumé, les systèmes agricoles les plus fonctionnels, les plus écologiques, ceux qui dépendent le moins des pesticides, des produits pétroliers et de la méchanisation sont ceux qui savent faire interagir différents types d’éco-systèmes : les différents modes d’agriculture végétale et de maraîchage, des élevages extensifs capables de valoriser certaines ressources que l’Homme n’utilise pas (comme l’herbe, le foin ou les plantes fourragères, mais aussi les glands ou racines), des élevages piscicoles ou des formes de pêches durables respectueuses des cycles de reproduction pélagiques, tout en optimisant différents types d’écosystèmes (terres arables, prairies permanentes, prairies temporaires, zones arides, zones humides, forêts…).
Plusieurs champs de la recherche agronomique commencent à s’intéresser à ce sujet. Une étude de 2016 a ainsi voulu de mesurer l’impact de ces systèmes et les résultats sont clairs : les systèmes agricoles mixtes, mêlant culture végétale et productions animales sont plus écologiques et plus efficients que les systèmes spécialisés (uniquement végétaux ou uniquement animaux). Pour rendre plus écologique la production alimentaire, le régime vegan n’est donc pas forcément la solution puisqu’il met de côté toutes ces interactions potentielles et leurs impacts possibles sur la réduction de notre impact écologique.
Finalement, une part de plus en plus importante de la recherche scientifique récente contribue à montrer que le système alimentaire le plus écologique est avant tout celui qui permet de produire et de consommer de tout, avec modération, et dans le respect des spécificités éco-systémiques locales. Ce n’est donc évidemment pas le système agricole actuel, ultra intensif, ultra industriel, avec sa consommation excessive de produits animaux : il est clair qu’il faut réduire notre consommation de viande et de produits d’origine animale et surtout sortir des méthodes d’élevage destructrices actuelles. Mais ce n’est pas non plus le système agricole 100% végétal, trop éloigné des réalités agronomiques. Comme toujours en matière d’écologie, la réalité se situe à un entre-deux raisonnable. Reste à savoir comment atteindre cet idéal dans une société où l’agriculture et l’alimentation sont encore le lieu privilégié de tous les excès.