Le travail à temps partiel est principalement investi par les femmes en France. Pourtant, qu’elles soient présentes par choix ou contraintes à choisir ce type de contrat, les métiers à temps partiel placent les femmes dans une situation économique et sociale précaire.
Depuis le lundi 6 novembre à 11h25, les femmes travailleraient gratuitement, et ce jusqu’à la fin de l’année, d’après le collectif Les Glorieuses. Cette date et cette heure sont calculés selon l’écart de salaire brut moyen entre les hommes et les femmes. Les femmes gagnent en moyenne 15% de moins que les hommes, à temps de travail égal.
La population à temps partiel est à plus de 80% féminine, depuis quatre décennies. Comment expliquer une telle surreprésentation ? Qu’est-ce que cela dit des inégalités hommes/femmes ? Et quelles sont les conséquences du travail à temps partiel sur le salaire, la carrière et la retraite des femmes ?
Aux origines du temps partiel
Au XXe siècle, l’activité professionnelle féminine s’est progressivement développée, sous l’effet d’évolutions sociales et économiques. Elles ne concurrencent pas l’emploi masculin puisqu’elles se tournent vers le secteur tertiaire qui connait un certain essor comme les services aux entreprises, le soin, l’éducation ou les services alimentaires.
Le temps partiel émerge dans les années 1970, en lien avec la salarisation de l’emploi féminin, à l’origine pour permettre une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et personnelle. Seuls les salariés déjà présents dans l’entreprise peuvent en faire la demande, avec la possibilité de travailler entre 50% et 75% de la durée légale. La chercheuse Karine Briard, explique que cette logique individuelle a été rattrapée par des logiques collectives : les pouvoirs publics ont vu dans le temps partiel l’opportunité de partager davantage l’emploi et lutter contre le chômage. De leur côté, les entreprises le considèrent comme un outil de flexibilité leur permettant de s’ajuster aux variations de la demande.
Cependant, les femmes, employées dans des secteurs peu protégées, ont été les premières victimes de la flexibilité du temps de travail. Elles ont été contraintes d’accepter dès l’embauche des postes à temps de travail réduit au contraire de leurs homologues masculins qui avaient la priorité sur les contrats à temps plein. Le temps partiel contraint concerne essentiellement une main-d’œuvre ouvrière et employée. La fin des années 1990 marque la volonté de revenir à un temps partiel choisi, à l’initiative des salariés.
Voir aussi : Inégalités au travail : le « sale boulot » des femmes
Il y a des logiques bien différentes entre une caissière travaillant à temps réduit pour répondre aux demandes de flexibilité d’une entreprise et une fonctionnaire à 80%, dont l’emploi a été créé à sa demande. C’est la différence entre le temps partiel choisi ou subi.
Si l’accroissement du travail à temps partiel a certainement facilité l’entrée et le maintien des femmes sur le marché du travail, il a contribué, dans le même temps, à la persistance des inégalités entre les hommes et les femmes.
Pourquoi y a-t-il plus de femmes travaillant à temps partiel que d’hommes ?
Parmi les personnes travaillant à temps partiel en France, 80% sont des femmes. Leur surreprésentation parmi la population à temps partiel s’explique par plusieurs raisons.
Les emplois féminisés, plus souvent à temps partiel
Tout d’abord, les salariés à temps partiel travaillent en majorité dans des métiers dits « féminisés », c’est-à-dire qui comptent au moins 65% de femmes. Les métiers d’agent d’entretien, d’enseignant et d’aide-soignant emploient à eux seuls un cinquième des femmes salariées. En France, en 2022, plus d’une femme sur quatre travaille à temps partiel (26,7 %) contre moins d’un homme sur dix (7,5 %) selon la Dares, en charge d’études statistiques sur le monde du travail en France.
Comment expliquer cette ségrégation professionnelle, c’est-à-dire le fait que les femmes et les hommes n’exercent pas les mêmes métiers et ne travaillent pas dans les mêmes entreprises ou les mêmes secteurs ?
Pour Karine Briard, économiste et chargée d’études à la Dares, plusieurs théories s’opposent. D’un côté, il y a les « essentialistes de genre », affirmant que les hommes et les femmes auraient des préférences et des aptitudes distinctes, qui les conduiraient vers des métiers différents. « Ainsi, les femmes iraient plus volontiers vers les professions de l’enseignement ou du soin, qui sollicitent les valeurs maternelles et les capacités relationnelles dont elles seraient plus dotées que les hommes, explique la chercheuse, mais, considérées comme naturelles, les compétences mises en œuvre dans ces métiers seraient peu reconnues et mal valorisées ».
Cette théorie est largement critiquée par les institutionnalistes. Pour eux, des barrières plus ou moins explicites freinent l’accès des femmes à certains emplois stables et qualifiés, et déterminent ainsi leurs conditions de travail, dont leur temps de travail. Ces barrières que la chercheuse appelle des « manoeuvres défensives », venant surtout des travailleurs masculins et de leurs représentants, peuvent prendre la forme de demandes de certifications imposées aux entrants ou encore de conditions d’ancienneté. Basées sur des stéréotypes de genre, elles visent à écarter les femmes de certains métiers, afin que les salariés en place conservent leurs avantages mais aussi le prestige attaché à leurs emplois, « supposé être menacé par les capacités préjugées moindres des femmes » poursuit Karine Briard.
Quoi qu’il en soit, l’emploi est structurellement genré, et les métiers exercés par les femmes sont plus souvent à temps partiel. Quant à savoir si les femmes choisissent spontanément des métiers où le temps partiel est fréquent ou bien si l’exercice de ces métiers par des femmes y favorise le temps partiel, la question reste ouverte.
Les inégalités salariales favorisent le temps partiel pour les femmes
C’est un phénomène connu : dans le monde de l’entreprise, les femmes gagnent en moyenne 15% de moins que les hommes, à temps de travail égal. Un chiffre qui s’explique par la ségrégation professionnelle : les femmes exercent des métiers moins bien rémunérés que leurs collègues masculins. De plus, elles évoluent moins dans la hiérarchie et accèdent plus difficilement aux salaires plus élevés. C’est ce qu’on appelle le « plafond de verre », ou ségrégation verticale.
Mais alors en quoi les inégalités salariales favorisent-elles le temps partiel pour les femmes ?
Pour bien comprendre, prenons le cas d’un couple hétérosexuel : Adeline et Léon. Lui est cadre dans une multinationale. Elle est secrétaire dans une entreprise à taille humaine. Ensemble, ils font un enfant : Timothée. Le congé parental se termine et le couple choisit de faire appel à une nourrice pour le garder lorsqu’ils sont au travail. Un poste de dépense qui va rapidement devenir conséquent pour eux. D’après une étude menée par l’observatoire E.Leclerc des nouvelles consommations datant de mai 2019, le budget moyen consacré à un enfant en bas âge s’élève à 490€ par mois, essentiellement en raison des frais de garde. Alors, ils réfléchissent aux alternatives. L’un d’eux pourrait moins travailler pour s’occuper davantage de Timothée, réduire les frais de garde, et en profiter pour s’occuper des tâches domestiques. Adeline gagne moins que Léon, elle le sait. Assez spontanément, le couple convient que c’est elle qui passera à temps partiel, de manière à moins impacter les revenus du foyer. Si Adeline avait gagné plus que Léon, ou bien que ses horaires de travail avaient été aménagés, pas sûr que la situation aurait connu le même dénouement…
Le poids de la charge familiale repose encore beaucoup sur les épaules des femmes
Comme Adeline, certaines femmes font le choix du travail à temps partiel, voire du retrait temporaire du marché du travail, pour concilier vie professionnelle et vie familiale. Et pour cause : le travail domestique, c’est-à-dire le temps consacré aux enfants ainsi que les tâches ménagères, reste inégalement réparti entre les femmes et les hommes.
Parmi les personnes en emploi vivant avec au moins un enfant mineur dans le ménage, 73 % des femmes déclarent faire plus de 7 heures de tâches ménagères par semaine, contre 31 % des hommes. À temps partiel, cette part monte à 85 % pour les femmes quand au moins un enfant a moins de 3 ans et à 79 % avec des enfants plus âgés.
Enquête Conditions de travail et risques psychosociaux, 2016, INSEE
C’est d’ailleurs des motivations familiales qui poussent les femmes à choisir d’être à temps partiel, qu’il s’agisse d’un choix personnel, ou de la conformation implicite des femmes à leur « rôle de mère ». Pour les hommes, en revanche, le choix d’un temps partiel répond à des motivations professionnelles, pour pouvoir suivre une formation ou réaliser un autre emploi en parallèle par exemple.
L’impact du temps partiel sur la persistance des inégalités hommes/femmes
Qu’il soit choisi ou subi, le temps partiel s’accompagne de conséquences à long terme : « un salaire partiel, des promotions partielles, des évolutions de carrière ralenties et des retraites partielles », rappelle Rachel Silvera, économiste, lors de son audition devant la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre hommes et femmes. Puisque les postes à temps partiel sont occupés à 80% par des femmes, ce sont elles qui sont les premières à en supporter les effets.
Le temps partiel creuse les écarts de salaire entre hommes et femmes
Adeline ne le sait pas encore, mais lorsque Timothée aura 5 ans, elle aura perdu environ 25% de ses revenus salariaux, par rapport à ce qui se serait produit sans cette arrivée. Les revenus de Léon, eux, restent inchangés, puisqu’il travaille autant qu’avant, au même poste, et au même endroit. C’est ce que met en avant un rapport de l’INSEE paru en 2019, intitulé « Les trajectoires professionnelles des femmes les moins bien rémunérées sont les plus affectées par l’arrivée d’un enfant ». Plutôt explicite. L’arrivée d’un deuxième voire d’un troisième enfant génèrerait « des pertes du même ordre de grandeur, voire plus importantes« , soulignent les auteurs du rapport.
Toutes ces heures passées à s’occuper de Timothée, à l’emmener à ses différentes activités, à préparer le repas et à faire le ménage, c’est bien un travail, mais qui est invisibilisé, et Adeline ne touche aucune rétribution pour cela. Pendant ce temps, Léon s’est peut-être vu offrir des promotions dans son travail et s’est enrichi financièrement.
Qu’ils soient occupés en raison de l’arrivée d’un enfant ou non, les postes à temps partiel engendrent des salaires plus faibles. En 2021 dans le secteur privé, quel que soit le volume horaire, le secteur ou le poste occupé, le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 24 % à celui des hommes. Ce chiffre comprend une partie de personnes qui ont choisi le temps partiel, on ne peut donc pas parler d’inégalités dans ce cas.
On peut en tous cas y voir un cercle vicieux. Les femmes gagnent en moyenne moins que les hommes et travaillent davantage qu’eux à temps partiel, par contrainte ou par choix. Or, ce type de contrat contribue à les appauvrir davantage et augmente l’écart salarial entre hommes et femmes.
En supposant que la situation au sein du ménage soit compensée par un conjoint qui gagnerait davantage, on perpétue l’idée que le salaire féminin n’est un salaire d’appoint, ce qui justifie que la femme, même à travail égal, puisse gagner moins qu’un homme.
Le temps partiel freine la carrière des femmes
Selon Karine Briard, plus il y a de femmes travaillant à temps partiel et/ou dans des emplois précaires, plus cela alimente les préjugés selon lesquels elles auraient de faibles compétences techniques, ou encore que leur disponibilité est corrélée aux besoins de la famille/au fait d’être mère. Ces préjugés agissent comme des prophéties autoréalisatrices car, en retour, les employeurs légitiment le fait que les femmes soient cantonnées à des emplois plus précaires, et/ou qu’elles ne soient pas à temps complet, perpétuant ainsi les inégalités en défaveur des femmes.
Le temps partiel n’est pas uniquement un révélateur des inégalités de genre : il les entretient. La surreprésentation des femmes parmi les personnes travaillant à temps partiel en dit long sur les disparités hommes/femmes qui persistent dans le monde du travail, et les stéréotypes de genre véhiculés dans la société. Etant donné les répercussions à long terme du temps partiel, notamment sur la retraite ou encore les perspectives de carrière, il est primordial que les intéressés, principalement des femmes donc, en aient conscience et s’informent le plus possible sur le sujet.