Découvrez comment les AOC, AOP et autres produits du terroir ont contribué à préserver des savoir-faire locaux, écologiques et diversifiés qui pourraient bénéficier aujourd’hui à notre agriculture.
Dans un monde de consommation mondialisée, marquée par l’uniformisation toujours plus forte des habitudes de vie, des produits et des goûts, il existe une petite enclave un peu à part : celle de la gastronomie. En effet, là où toute la planète cherche à consommer des produits toujours homogènes, des aliments calibrés, identiques d’un bout à l’autre de la planète, la gastronomie a depuis plusieurs années déjà choisi de faire le virage inverse : celui du particularisme local, des produits régionaux, des traditions et du « terroir ». Et manifestement, cela a du bon, puisque cela participe au développement économique, écologique et social de nombreuses régions. Retour sur une tendance qui devrait inspirer les grandes enseignes.
L’essor des produits régionaux : la préservation d’un patrimoine
Le phénomène ne date pas d’hier. Il n’a pas attendu les modes des circuits courts et du Made in France. Il a marqué des générations de cuisiniers, de gastronomes et de gourmets : c’est le phénomène « terroir ». Dans les années 1960-1970, alors que le monde découvre la consommation de masse, qu’il cherche des produits prêts à l’emploi et standardisés, la gastronomie fait dans son coin sa petite révolution tranquille en misant au contraire sur le local, le particularisme, les spécialités.
Ce sont en effet les producteurs d’aliments qui, avant tout le monde, ont cherché à défendre les spécificités culturelles et économiques de leurs régions. Fromages, viandes, légumes et autres spécialités culinaires ont très tôt voulu marquer leur différence, leur appartenance à une tradition, à une histoire, à un ancrage géographique. Il n’y avait bien qu’à Meaux que l’on pouvait produire du Brie de Meaux, que dans la Bresse que pouvaient courir les prestigieuses volailles de Bresse, que dans la Loire que l’on pouvait produire les fameux Vouvrays.
Ainsi sont nées les AOP, les AOC, les IGP, les appellations. Dans l’ensemble, la gastronomie a voulu (et a su) préserver un patrimoine régional, à l’époque même où les contraintes d’une économie en pleine libéralisation imposaient à ses producteurs de passer à la monoculture, de se soumettre aux lois du marché en adoptant la culture à la mode ou celle qui avait les meilleurs rendements. Et ce mouvement de préservation a eu lieu ailleurs, comme en Italie avec la Slow Food. Et bien souvent, ce sont de grands chefs cuisiniers emblématiques qui ont contribué à cette préservation en offrant un déboucher unique à ces producteurs que tout le système agro-industriel délaissait.
Le cas de la volaille de Bresse est à ce titre intéressant. Elle est une des rares variétés de volaille à être élevée en France, uniquement en France, avec des critères bien particuliers d’alimentation, d’élevage en plein air et de qualité en général. Et si ce savoir-faire a survécu, c’est qu’il existait sur les tables gastronomiques de la Bresse, celles de Bocuse ou de George Blanc, qui en ont fait un symbole international de l’excellence du savoir faire français. Aujourd’hui, le succès est tel que la Bresse manque d’éleveurs de volaille !
Terroirs : un modèle de consommation et de production en pleine redécouverte
Aujourd’hui, c’est un modèle qui fait des émules, car il allie qualité, rentabilité, bien-être des animaux et des producteurs, et parce qu’il entretient un tissu économique local de façon bien plus écologique que ne le font les élevages industriels de poulets en batterie.
Bien sûr, tous les savoir-faire régionaux n’ont pas survécu : les cornichons par exemple, ne sont pratiquement plus produits sur le territoire français. Le cassoulet est produit à partir de haricots qui ont poussé en Chine ou en Turquie. Globalement, les produits très grande consommation ont souffert. Mais aujourd’hui, de nombreuses initiatives existent et tentent de réhabiliter ces savoir-faire presque disparus. La Maison Marc est désormais le seul producteur français de cornichons, mais il milite pour transmettre son savoir et réhabiliter la filière. La même chose peut-être dite des producteurs de Cresson de Méréville, qui ont préservé le savoir de la production de cresson de fontaine en Île-de-France.
Et quid de ces éleveurs espagnols qui ont complètement redoré le blason de l’élevage de porcs ibériques Bellota, un élevage économique qui produit une viande de qualité incomparable et qui préserve un savoir-faire et des emplois locaux, non délocalisables. Cette forme d’élevage est écologique (100 % de pâturages naturels et d’élevages aux glands), elle préserve les forêts et les sous-bois (puisque c’est le lieu de pâturage des porcs, qui bénéficient désormais d’une appellation), elle contribue à tirer vers le haut toute la filière porcine espagnole et l’économie locale. Dans l’ensemble, on constate que bien souvent, ces produits régionaux visent à allier qualité, terroir et écologie en s’inspirant des pratiques de l’agro-écologie.
Même chose pour ces producteurs de lentilles du Bearn ou de lentilles vertes du Puy, qui ont préservé des semences et des produits qui sont plus à la mode que jamais. L’ADEME préconise dans son rapport sur « les pratiques clefs pour la préservation du climat » le retour à la production et à la consommation de légumineuses. L’ANSES les recommande également pour la santé : voilà un débouché tout trouvé.
AOC, AOP, produits du terroir : un modèle tendance à encourager
De plus, les produits du terroir sont aujourd’hui tendances et les consommateurs sont en pleine redécouverte. La consommation de produits surgelés a baissé cette année de 3,2 %… au profit des produits frais (+1,3 % pour les fruits et légumes) ! Les consommateurs veulent du local, des produits régionaux, ils veulent des circuits courts et un rapport plus direct et humain avec leurs producteurs. Et c’est exactement ce qu’ont à offrir ces producteurs du terroir.
Aujourd’hui, l’industrie agro-alimentaire s’empare de la question du terroir et des produits régionaux, et dans une certaine mesure, relance certaines productions. Mais on peut craindre que cela engendre un changement d’échelle : que ces productions passent d’un niveau artisanal, à un niveau industriel qui leur ferait perdre leurs spécificités. Pour réellement préserver ces productions si particulières, il faudrait renforcer les appellations, et y intégrer les dimensions des critères de production (petite échelle, circuits courts, préservation de l’écosystème). Ce n’est pas vraiment le chemin qui est pris pour le moment puisque les appellations, comme le montre l’adoption récente du CETA, sont pour l’heure surtout vues pour leur potentiel commercial.