Pollution, réchauffement climatique, destruction des terres, gaspillage de l’eau, atteinte à la biodiversité… l’agriculture est une des industries les plus polluantes du 21ème siècle. Quelles actions, changements et solutions pouvons-nous mettre en place pour répondre à la question de la production alimentaire ?
Winter is coming… « Je vais faire des courses, qui veut des fraises ? » Inconscience ? Caprice ? Excès? Les grandes surfaces regorgent pourtant de ce fruit estival, toutes saisons confondues. Naturellement, quand on mange un fruit, on s’attarde plus sur son goût et ses vitamines que sur le nombre de litres de kérosène et gasoil consommés pour l’acheminer jusqu’à sa table. Mais depuis plusieurs années, de nombreux citoyens revoient leurs habitudes de consommation, conscients de l’impact environnemental de leurs choix alimentaires et des enjeux qui se cachent derrière nos assiettes.
Mais comment engager et mettre en place des processus d’autoproduction ? Grâce à quels outils ? Comment répondre à ces problématiques sociétales et urbaines ? Comment apprivoiser le monde du vivant ? La diversité humaine et végétale ? Comprendre ses cycles, le rythme des saisons, les richesses de la biodiversité ? Comment valoriser les Hommes et révéler des lieux ?
Jardins partagés : « Agir local, penser global »
Ruches, poulaillers, potagers, entraide, échanges entre voisins… depuis vingt ans, les actions collectives fleurissent dans le paysage urbain et se développent vitesse grand V à l’instar du très prisé jardin partagé. Réelle incarnation de la formule de René Dubos et nouvelle composante du territoire, celui-ci soulève des enjeux sociaux, environnementaux, paysagers et nourriciers. Les citoyens se regroupent, s’approprient les friches en bordure des villes et cultivent ensemble la terre. Espace de sociabilité et de citoyenneté, les cultures et les générations s’y croisent, se rencontrent et agissent ensemble au sein d’un même espace, d’une même action. L’agriculture urbaine est ludique, écologique, éducative, parfois même artistique. On parle d’une écologie pratique où l‘économie d’eau, le tri des déchets, le compostage, la consommation de produits de saison et locaux ainsi que l’autoproduction sont les mots d’ordre.
La nature en ville : une nature domestiquée ?
L’agriculture urbaine casse les codes. Les usages ne sont plus les mêmes, les besoins évoluent et les convictions s’affirment. On ressent la lassitude générale face à une certaine standardisation des espaces verts et l’envie de la part des citoyens de mettre en place de nouveaux modes de gestion, de nouvelles pratiques. Aujourd’hui les jardins sont lisses, prévisibles, communs, organisés. Chaque plante a sa place, au centimètre près. Une esthétique grotesque ? Les mœurs évoluent et on voit émerger une nouvelle culture de la nature qui s’éloigne de la conception esthétique et paysagère d’une « belle » nature, dont les jardins à la française en sont l’illustration parfaite. Ce mouvement se défait d’un certain héritage culturel et souhaite mettre en lumière l’idée de « bonne » nature. Une nature écologique, saine et durable, support d’un monde souhaitable. Dans nos jardins partagés, fruits, insectes, feuilles mortes, plantes, légumes et « mauvaises herbes » se côtoient, se mêlent et font disparaître les repères des traditionnels vergers. On prend alors plaisir à déambuler le long de ces allées, sauvages, instinctives.
Le collectif Saprophytes : une réflexion active et expérimentale sur la place et l’implication de l’Homme dans son milieu
En 2007, six urbanistes, architectes bioclimatiques, paysagistes et graphistes se réunissent et créent le collectif Saprophytes : un collectif à la croisée de l’agence d’architecture et de paysage, de la plateforme de création, de l’atelier de construction et de la structure d’éducation populaire. Depuis sept ans, le collectif utilise l’espace public comme lieu d’action concrète et d’expérimentation collective via des installations éphémères, des projets de quartiers, des ateliers et une recherche active sur la richesse de l’agriculture urbaine. Des actions qui mêlent – avec esprit et poésie – rencontres, diversité, spontanéité, autonomie, écologie pratique et échange d’expériences et de savoir-faire. L’habitant peut et doit intervenir sur la construction de son milieu : les Saprophytes en sont convaincus et développent ainsi une approche plus humaine, autonome, créative, écologique et résiliente de la construction de nos territoires.
Pour mieux comprendre : zoom sur « Les Unités de production Fivoises »
Depuis 2014, les Saprophytes œuvrent à la mise en place d’un système d’autoproduction alimentaire et de transmission de savoir-faire au cœur du quartier de Fives (19 000 habitants) à Lille . Forte densité de population, passé industriel conséquent, pollution des sols : la région a été particulièrement touchée par la crise et a connu de nombreuses fermetures d’usines.
L’objectif du projet : développer une micro-économie basée sur l’échange et mettre en valeur un écosystème alimentaire en collaboration avec les habitants et les structures locales. Consommer moins, consommer mieux : surconsommation, malbouffe, obésité, maladies… la consommation à outrance a aussi des impacts sur les populations. Il y a urgence à revoir certains modes de vie et pratiques de consommation. Les Saprophytes souhaitent offrir aux habitants un moyen de résilience – en les rendant plus autonomes – créer un réseau local d’unités de productions et écrire collectivement un projet pour ce territoire.
Quelles actions et quels objectifs ?
- Produire ensemble, fédérer les habitants autour de la question de l’autoproduction : grâce à un lieu de production démonstratif et pédagogique, une ferme urbaine agro-écologique, articulée autour de différentes unités de productions (champignons, maraîchage, ruches et poulailler)
- Développer une micro économie locale : mêler économie marchande et non marchande autour de la production alimentaire en développant des unités de production locales
- Mettre en place un réseau d’économie sociale et solidaire : incluant des formes d’économie marchande (vente) et non marchandes (troc, SEL, don de surplus, échange contre temps)
- Éduquer, éveiller une conscience collective, développer des capacités citoyennes, questionner les espaces
- Transmettre et échanger des savoirs et savoir-faire
- Expérimenter, innover et développer collectivement des techniques de production permaculturelle
- Construire l’action collective par essaimage : à partir d’implications individuelles ou de relations interindividuelles
- Analyser, transmettre la démarche et nourrir le débat sur la construction de la Ville : la diffuser en capitalisant l’expérience, en développant un regard critique et analytique (indicateurs d’évaluation, résultats), démocratiser l’agriculture urbaine et l’auto-production et ouvrir plus largement la question des Villes en Transition et de la résilience urbaine.
Un projet à dimension politique, économique, écologique, sociale et pédagogique. En définitive, le projet révèle la richesse et la complexité des apports de l’agriculture urbaine à la construction de la ville. Alors… utopie ou nouveau mode de vie ?