Pour cause de pollution visuelle, lumineuse, ou encore dans l’objectif de diminuer la consommation d’énergie, plusieurs villes adoptent des règlements locaux destinés à diminuer l’affichage publicitaire dans l’espace public. Comment s’y prennent-elles et quelles sont leurs motivations ? 1/2
Nantes, Bègles, Marseille, Grenoble, Lyon : ces villes ont toutes un point commun, celui de restreindre la publicité dans l’espace public.
Grenoble est souvent évoquée comme ville pionnière en la matière, dont le maire écologiste Éric Piolle s’est attelé dès 2014 à fortement réduire l’affichage publicitaire. Depuis, d’autres communes, villes et métropoles ont suivi cette tendance.
Par exemple, le règlement local de la publicité pour la métropole de Nantes, approuvé en juin 2022, interdit la publicité sur 70% du territoire. La ville encadre davantage l’affichage et la publicité numérique : les panneaux d’affichage de 12 m2 sont supprimés, le déploiement de panneaux numériques est stoppé… La tendance est claire : la métropole souhaite réduire et mieux maîtriser la publicité dans l’espace public.
Cela va dans le sens de l’opinion publique si l’on en croit ce sondage BVA, commandé par Greenpeace, montrant que 85% des Français sont favorables à une réduction du nombre d’écrans numériques publicitaires visibles dans l’espace public, et 54% soutiennent même leur interdiction. De plus, 83% des sondés se disent favorables à l’extinction de l’éclairage des commerces dès leur fermeture, au lieu d’1h du matin actuellement.
Le règlement local de la publicité, un outil pour restreindre davantage la publicité en ville
Le règlement local de la publicité (RLP), applicable à une ou plusieurs communes, est facultatif. En France, l’affichage publicitaire extérieur est encadré par le règlement national de publicité (RNP), inscrit dans le code de l’environnement. Il peut être complété par un règlement local de la publicité. Le fait d’adopter un RLP permet de prendre en compte les spécificités locales. Les règles adoptées dans ce cadre sont donc plus restrictives que les règles générales. Elles sont élaborées collectivement et soumises à enquête publique.
C’est ainsi que parmi les 59 communes de la métropole lyonnaise, 42 possèdent un RLP et 17 autres sont soumises aux règles nationales. Un RLP pour toute la métropole de Lyon a été approuvé en juin 2023 et va permettre une harmonisation des règles et une plus grande équité réglementaire à l’échelle de la métropole.
Pourquoi les villes chassent-elles la publicité ?
Le durcissement des restrictions concernant l’affichage publicitaire extérieur dans plusieurs villes répond à plusieurs motifs : source de pollution lumineuse, visuelle, incitation à la surconsommation…
Préserver le cadre de vie et le paysage
Les panneaux publicitaires peuvent constituer une source de pollution visuelle dans la mesure où ils sont parfois considérés comme inesthétiques et affectant la qualité du paysage. De plus, les publicités géantes attirent le regard, au détriment du paysage urbain. Par exemple, un échafaudage couleur gris peut se faire oublier dans le reste du paysage, tandis que la publicité, elle, est souvent de couleur vive et cherche à marquer les esprits. L’impact visuel et cognitif n’est donc pas le même.
La mairie de Bègles, qui a supprimé l’affichage publicitaire en centre-ville, utilise désormais les panneaux publicitaires pour diffuser des informations locales comme la promotion d’événements culturels, la mise en valeur des associations, etc. Les panneaux sont parfois simplement supprimés, ou remplacés par des arbres. Une démarche bien souvent saluée par les commerçants locaux, concurrencés par les grandes chaînes, par ailleurs les seules à pouvoir s’offrir ce type d’affichage en raison de leur coût élevé.
Répondre aux enjeux de transition écologique et énergétique
- Une source de pollution lumineuse
Les enseignes lumineuses et panneaux numériques induisent une pollution lumineuse. Ces sources de lumière nocturne artificielle ont une incidence sur la biodiversité. Chauves-souris, oiseaux ou encore reptiles peuvent voir leurs rythmes biologiques perturbés. C’est également un problème pour les insectes, qui risquent d’être brûlés au contact des ampoules, de mourir d’épuisement ou bien d’être mangés par un prédateur. Pas moins d’un tiers des insectes piégés dans les environs de ces lumières meurent la nuit selon cette étude publiée dans Science Daily. Les habitants ont également plus de mal à observer le ciel étoilé, de moins en moins visible avec la multiplication des sources lumineuses.
Voir aussi : Comment la pollution lumineuse nuit à la biodiversité.
- L’accroissement de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre
L’ADEME (agence de la transition écologique) a cherché à évaluer, en 2020, l’impact environnemental des panneaux publicitaires numériques. Prenons le cas d’un écran numérique LCD de 2m2 (ceux que l’on voit très souvent dans le métro). Dans le scénario de base, il est considéré que l’écran est allumé 18h par jour, 365 jours par an pendant 10 ans. Les résultats de l’étude montrent que l’écran publicitaire aura consommé 20 477 kWh au bout de 10 ans, et qu’il est responsable de l’émission de 245 kgCO2 eq par année d’utilisation, soit l’équivalent d’un peu plus d’une année de chauffage électrique d’un appartement. Ce chiffre prend en compte l’ensemble du cycle de vie du produit, c’est-à-dire la phase de production, de fonctionnement et de fin de vie.
La phase d’utilisation liée à la consommation énergétique serait responsable de plus de la moitié des émissions, mais varie selon la consommation électrique de l’appareil. Le second poste majeur d’émissions est lié à la phase de production des matières premières. Plus la durée de vie du produit est longue, plus l’impact de cette phase est diminué, car les impacts totaux sont divisés par un plus grand nombre d’années.
La multiplication de ces panneaux à l’échelle d’une ville peut rapidement alourdir le bilan carbone de celle-ci.
- Une incitation à la surconsommation
En exploitant les désirs, les besoins et les émotions des consommateurs, la publicité peut influencer les comportements de consommation. La publicité a la capacité de créer des besoins artificiels en mettant en avant des produits ou des services comme étant essentiels à la vie quotidienne, même si ce n’est pas le cas. Par ailleurs, les publicités transmettent souvent le message que la possession de biens matériels est étroitement liée au bonheur et à la réussite sociale. Cette promotion de la culture de la consommation peut encourager les individus à acheter constamment de nouveaux produits, d’autant plus qu’elle est omniprésente dans la vie quotidienne. Que ce soit à la radio, dans la presse, à la télévision, sur les applications mobiles, dans la boîte aux lettres, dans les transports en commun, sur la voie publique ou ailleurs, nous sommes exposés à des centaines voire des milliers de messages publicitaires chaque jour.
Pour les membres de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), l’une des manières de réduire les incitations à la surconsommation et d’encourager des comportements écoresponsables consiste à réguler la publicité. Pour rappel, la Convention Citoyenne pour le Climat était une initiative française créée en 2019 en réponse aux préoccupations croissantes concernant le changement climatique. Elle visait à impliquer directement les citoyens dans l’élaboration de propositions et de politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à atténuer l’impact du changement climatique en France. Elle a abouti à un rapport final contenant 149 propositions.
La publicité a un impact très fort sur la création de besoins et sur la consommation : nous pensons ainsi qu’il s’agit d’un des principaux leviers à actionner pour faire évoluer les comportements du consommateur de manière durable, du fait de son rôle majeur sur la fabrication de nos modes de vie.
rappellent les participants de la CCC.
Voir aussi : Comment la publicité empêche la transition écologique et sociale
Un risque d’exposition à des images sexistes ou à du greenwashing
Une autre problématique est celle du caractère intrusif de la publicité. On ne peut pas choisir d’être exposé ou non à des publicités dans l’espace public. Et on ne choisit pas non plus le contenu des publicités, loin d’être consensuel. Or, les annonces comportant du greenwashing ou une sexualisation du corps des femmes ou des hommes sont malheureusement encore fréquentes.
Voir aussi : Communication responsable : comment reconnaître et lutter contre le greenwashing dans la publicité ?
Hormis les publicités diffusées à la télévision, aucun contrôle systématique n’est prévu par l’ARPP (Agence de Régulation Professionnelle de la Publicité) en amont de la diffusion d’une campagne, quel que soit le média. Pourtant, des études soulignent par exemple le fait que la représentation de femmes sexuellement objectivées concourt au soutien de croyances sexistes ou encore à une plus grande tolérance de la violence sexuelle envers celles-ci.
Mais malgré cette succession de conséquences néfastes sur les sociétés et l’environnement, la publicité reste encore omniprésente dans la majorité des villes. Pour quelles raisons ? Et comment replacer la publicité au service de l’intérêt collectif ?
La réponse dans un prochain article.
Photo par Steven Lasry pour Unsplash
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