Depuis une décennie, la nation Wet’suwet’en lutte contre le projet de gazoduc de Coastal GasLink, propriété de Coastal GasLink Pipeline Ltd. et TC Énergie. Ce combat s’inscrit dans une résistance de longue date face à l’exploitation et la colonisation de leurs terres ancestrales. Youmatter est allé à la rencontre des cheffes Wet’suwet’en Molly Wickham (Tsakë ze’ Sleydo’) et Freda Huson (Tsakë ze’ Howilhkat) qui dénoncent les graves impacts environnementaux et les violations de leurs droits et la répression de la part des autorités canadiennes et des entreprises privées.
Youmatter. Pourquoi la nation Wet’suwet’en lutte-t-elle contre le projet de gazoduc de Coastal GasLink (CGL) ?
Molly Wickham (Tsakë ze’ Sleydo’). Le gazoduc Coastal GasLink est un pipeline de 670 km de long qui relie le nord de la Colombie-Britannique à la côte et qui prévoit d’envoyer le gaz naturel liquéfié des champs de fracturation à l’étranger vers les marchés asiatiques. Tous les chefs héréditaires Wet’suwet’en ont dit non à ce projet. Car pour nous, les conséquences environnementales sont trop grandes. Ces projets détruisent nos terres et limitent l’accès à nos ressources. Ils l’emportent sur tout type d’avantage que nous pourrions en tirer. Nous avons vu d’autres nations (peuples autochtones,ndlr) obtenir des emplois qui ne durent qu’une courte période de temps. Et ensuite, nous sommes abandonnés avec toutes les destructions que ces projets laissent derrière eux.
Freda Huson (Tsakë ze’ Howilhkat). Le gouvernement et les entreprises parlent du gazoduc comme d’une infrastructure indispensable. Mais nous avons nous aussi besoin de nos infrastructures, l’eau, les saumons, les animaux sauvages dont on se nourrit, les baies et les produits médicinaux qui sont sur notre territoire. Ce sont nos infrastructures. Elles sont précieuses et irremplaçables. Ils peuvent construire leurs tuyaux n’importe où, mais ils décident de le faire sur des terres vierges où se dressent de vieux arbres qu’ils avaient pourtant promis de ne jamais toucher. Ils ont été abattus sans même prendre en compte la saison de nidification des oiseaux. La perte de ces écosystèmes est bien plus grande que leurs gains.
Pour les Français, il peut parfois être compliqué de comprendre la relation que vous entretenez avec vos terres, pouvez-vous nous l’expliquer ?
MH. Le peuple Wet’suwet’en vit selon des lois traditionnelles et un système de gouvernance qui depuis des milliers d’années s’est avéré être durable. Nos anciens disent que nous sommes la terre et que la terre est nous, car tout ce que nous mettons dans notre corps vient de nos terres. L’eau que nous buvons et le saumon que nous mangeons viennent de la rivière. Les médicaments, les baies, la viande d’élan et toutes les autres que nous mangeons viennent de la terre. La terre fait donc littéralement partie de nous, d’un point de vue physiologique. C’est une connexion très forte que nous entretenons encore aujourd’hui.
Que fait le gouvernement canadien en réponse à votre lutte ?
FH. Le gouvernement dépend de ces investissements pour son économie. C’est la raison pour laquelle il soutient ces projets à 100 % et ignore même ses propres lois. Notre peuple a poursuivi le gouvernement en justice et la Cour suprême du Canada, qui est le plus haut tribunal, a prouvé que ces terres nous appartiennent. Et pourtant, le gouvernement canadien fait comme si cette loi n’existait pas.
MW. Au contraire, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) nous intimide et nous harcèle. La répression provient spécifiquement du Groupe d’intervention pour la sécurité de la collectivité et l’industrie (GISCI), créé spécialement pour mater ceux qui défendent les terres contre les industriels. Ils sont donc très bien formés pour réprimer les populations indigènes et les défenseurs de l’environnement. Ils sont militarisés et ils ont des groupes tactiques composés d’hélicoptères, de chiens d’attaque, de tireurs d’élite, d’outils de surveillance avancés… Pour ma part, je risque actuellement une peine de prison. Je suis en procès pour des arrestations opérées en 2021. Donc depuis trois ans, j’ai l’interdiction d’être sur notre territoire, sauf pour des pratiques culturelles ancestrales. Je peux être arrêtée à tout moment, et j’ai été menacée de l’être de nombreuses fois.
Ces violences ne sont pas uniques à votre territoire. Depuis la colonisation, le gouvernement canadien maintient une relation de domination et d’oppression avec les peuples des Premières nations…
FH. Depuis toujours, nous défendons nos terres face aux attaques des organisations gouvernementales. Le gouvernement canadien a brûlé environ huit cabanes de mon peuple parce qu’ils voulaient transformer notre territoire en parcs provinciaux pour le public. Chaque clan a des récits similaires au mien. Le gouvernement vient sur nos terres, et s’ils le veulent, ils les prennent par la force. Les écoles résidentielles (pensionnat utilisés par le gouvernement comme un outil colonial pour endoctriner, évangéliser et assimiler les enfants des peuples indigènes, Ndlr.) et la GRC ont été créés dans ce but : nous prendre nos terres. Dans le documentaire Yintah, je parle de ces exactions et de leurs méthodes pour nous exclure et nous rassembler dans des réserves.
Continuez-vous la lutte ?
MW. Oui. Maintenant ils veulent doubler la capacité du gazoduc et construire des stations de compression, alimentées au gaz, sur le territoire Wet’suwet’en. Ils souhaitent donc brûler du gaz sur nos terres pour alimenter ces stations. Cela signifie en outre trois à cinq années en plus de construction. Un détachement de police et une société de sécurité privée engagée par CGL Pipeline Ltd., Forsythe Security, sont déployés sur notre territoire. Ils nous surveillent, nous harcèlent, nous suivent et nous filment partout où nous allons. Pour le moment les choses se sont calmées car le projet de gazoduc est terminé, mais avec ce nouveau projet de stations de compression, toutes ces violences vont recommencer. Alors, nous nous efforçons d’empêcher que cela ne se reproduise. Nous poursuivons la GRC et Forsythe Security pour harcèlement, intimidation et abus de procédure.
FH. Même si nous ne croyons pas dans le système législatif du Canada, nous allons poursuivre aussi en justice les acteurs de ce projet. Nous faisons cela pour notre terre.
Pour aller plus loin
– Un rapport d’Amnesty sur la criminalisation, l’intimidation et harcèlement des défenseur.e.s du droit à la terre Wet’suwet’en.
– Payer la terre : une enquête en BD de Joe Sacco sur les peuples autochtones du Grand Nord canadien. Un récit qui nous plonge dans le rapport à la terre, à l’État canadien et aux énergies fossiles, des Premières Nations. (Futuropolis & XXI, 2020, 272 pages, 26 euros)
– Yintah, Jennifer Wickham, Brenda Michell, Michael Toledano, Bob Moore, EyeSteelFilm Distribution Inc., 2024. Vidéo de présentation disponible à cette adresse.
Illustration : Abattage des arbres suite au tracé du gazoduc Coastal GasLink sur le territoire Wet’suwet’en. Copyright Credit: © Amnesty International (Photo: Alli McCracken).