Le Brésil est une des économies émergentes les plus dynamiques du monde, mais sa croissance économique n’a pas été sans sacrifices: la déforestation, la perte de la biodiversité, la criminalité et l’inégalité galopante … Le pays peut-il surmonter ces difficultés grâce la RSE ? Jetons un coup d’oeil à la progression du Brésil en matière de responsabilité sociale des entreprises.
La RSE au Brésil, entre l’espoir et la peur
Quand je suis allé à Rio de Janeiro en 2012 pour assister au Sommet mondial de Rio +20, ce qui m’a le plus saisi au premier regard était le contraste incroyable de ce pays. Mon auberge était située près de Copacabana, la célèbre plage touristique et ses eaux cristallines. De là, à seulement quelques kilomètres, je voyais Rocinha et ses «maisons» en bois, de tolles et de cartons … Rien de surprenant en fait, quand on sait qu’en 2009 les 10% de la population les plus riches recevaient 42,9% de l’ensemble du revenu national tandis que les 40% les plus pauvres en possédaient moins de 10%.
Des contrastes sociaux et économiques, mais aussi environnementaux. Le Brésil est un pays où la déforestation s’est développée à un rythme alarmant. Depuis les années 1970 plus de 20% de la forêt tropicale a été perdue, ce qui augmente non seulement les émissions de dioxyde de carbone et détruit les puits de carbone, mais met aussi en danger l’un des écosystèmes les plus diversifiés du monde, abritant à lui seul 6% des espèces menacées de la planète. Outre la perte de la forêt amazonienne, les déchets, la pollution de l’eau sont également des défis pour la société brésilienne, le gouvernement et les entreprises.
La RSE et la réglementation brésilienne sur la responsabilité des entreprises
Conscient de sa situation particulière et des nombreux défis auxquels il faisait face, le Brésil a voulu dépasser le capitalisme déréglementé. Après des années 1950 et 60 où la croissance a été incroyablement débridée, les années 1980 ont apporté de nombreuses réformes et le changement démocratique. Rapidement, le pays a élaboré un ensemble plus solide des règlements et de normes sociales et économiques. Par exemple, en 1988, l’Assemblée constitutionnelle entérine le Solidarity Principle (article 170, VII), qui stipule que « L’ordre économique, fondé sur l’appréciation de la valeur du travail humain et la libre entreprise, est destiné à assurer à tous une existence digne, selon les préceptes de la justice sociale […] ». Une partie des réformes des années 1990 a été largement inspirée par les principes développés dans le premier Sommet mondial de Rio de 1992 où ont étédéveloppés l’Agenda 21 et la CCNUCC.
Ainsi, une nouvelle vague d’activités RSE commençait. En 1998, l’Instituto Ethos fut créé pour faciliter toutes les activités du secteur privé dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises à travers la collecte de données et la diffusion des meilleures pratiques. Les études ont montré qu’il y eut à ce moment là une augmentation importante des pratiques de RSE, et notamment de reporting RSE entre le milieu des années 90 et 2010. De plus en plus d’entreprises, face à ces nouvelles réglementations, se sont mises à considérer l’importance de la RSE. La plupart des entreprises ont travaillé à leur RSE en se connectant aux communautés locales, en développant la charité d’entreprise et en améliorant leurs pratiques environnementales. On peut même clairement constater que les entreprises s’engagent dans la RSE pour mieux répondre aux attentes de leurs diverses parties-prenantes. Ainsi, les entreprises du Nord dans les zones amazoniennes, plus confrontées aux problématiques environnementales, s’investissent plus généralement dans l’environnement. Celles du Sud, plus impliquées dans l’agricultures et les centres industriels, mettent en place des politiques RSE sociales et communautaires.
Les entreprises entre résistance et responsabilité
Le Code de la Défense des Consommateurs, adopté en 1991 a été également un grand progrès pour le Brésil en matière de RSE : il a développé un vrai corpus de droits pour les consommateurs en termes de sécurité des produits et d’équité économique notamment. La plupart des secteurs ont donc vu leurs pratiques en matière de relation consommateur s’améliorer pour s’adosser à la réglementation, et certaines entreprises ont poussé le mouvement encore plus loin. Cependant, certains secteurs, notamment la finance et la banque ont fait barrage à cette évolution. Les huit plus grandes banques du pays représentaient 40% du PIB du pays dans les années 1990. À l’époque, leurs conditions de crédit étaient prohibitives et ne permettaient pas à une grande partie de la population d’avoir accès aux emprunts. Pourtant, les banques ont refusé ce qu’elles qualifiaient d’interférences du Code de la Défense des Consommateurs, arguant que d’autres codes régissaient déjà les règles bancaires.
Il a fallu près de 15 ans pour qu’en 2004, la Cour suprême statue sur le cas du secteur bancaire et l’oblige à respecter le Code de la consommation. À partir de là, les banques ont radicalement changé leur vision de la RSE : poussées par la réglementation et les tribunaux, les banques ont mis en place des programmes de microcrédit, de financement social, et se sont rendues comptes de l’intérêt économique de ces programmes. Ainsi, la Bourse du Brésil, Bovespa est devenue précurseur dans le concept d’Investissement Socialement Responsable, grâce à la création d’un indice de RSE, qui valorise d’avantage les entreprises investies dans la RSE. La plus grande banque du pays, ABN Amro, a de son côté lancé un programme de micro-crédit à grande échelle en 2002, en offrant notamment des micro-prêts à destinations des PME et TPE. Cela a permis à ces entreprises de dégager un capital nécessaire pour leur croissance, capital qu’elles n’auraient pas pu obtenir grâce au circuit traditionnel.
En plus de cette responsabilité d’entreprise, les programmes Zéro Faim et Bolsa Familia, lancés par le gouvernement de Luiz Inácio «Lula» da Silva ont permis de fournir des biens alimentaires aux plus démunis, ainsi que des aides financières pour les familles en mesure de fournir une preuve d’inscription à l’école et des contrôles de santé pour leurs enfants.
Grâce à ces politiques (qui ont augmenté le niveau de vie général et fait baisser les inégalités sans sacrifier la croissance), l’idée a émergé qu’il était possible de concilier développement responsable et croissance économique.
Voir plus loin pour la RSE au Brésil ?
La RSE au Brésil a donc été largement initiée par des politiques d’Etat, encadrée par des politiques d’Etat, et ce sont les pouvoirs publics qui ont largement montré l’exemple. Le secteur privé s’est ensuite emparé de ces opportunités de développement, et à l’heure actuelle, ce nouvel écosystème de la RSE permet au Brésil de s’en sortir face à la crise financières, de réduire ses inégalités et de mieux maîtriser ses problèmes environnementaux.
Toutefois, des problèmes subsistent : le virus Zika et son expansion rapide traduisent peut-être le manque d’infrastructures de santé modernes, les catastrophes écologiques qui persistent (comme la coulée de boue qui a marqué le pays fin 2015) sont le signe que la réglementation et la RSE ne vont pas encore assez loin. Et surtout, les nombreuses manifestations qui ont marqué le pays en mars 2016 montrent que la responsabilité est encore un concept à géométrie variable dans ce pays qui reste très corrompu et très inégalitaire. Infrastructures, inclusion sociale, corruption, équité et égalité sont des problématiques encore non résolues dans le pays. Le pays, qui accueillera bientôt les Jeux Olympiques et veut faire partie des grands de ce monde, a donc sans doute intérêt à regarder plus loin que les aides financières, et à créer une dynamique de RSE encore plus inclusive et globale.
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