Quels sont les dangers liés aux séismes pour les centrales nucléaires en France ? Y’a-t-il un risque d’accident ? Que se passerait-il en cas de séisme important sur une centrale nucléaire française ? Explications.

Le 11 novembre 2019, un séisme de magnitude 5.4 a frappé la région de Montélimar. Rapidement, une inquiétude est apparue : quel impact sur les centrales nucléaires voisines de Cruas-Meysse et du Tricastin ? Apparemment, aucun incident n’a été déclaré sur ces deux sites. Malgré tout, aujourd’hui, les deux centrales sont à l’arrêt « par précaution » suite à la décision du Préfet. Durant plusieurs jours, les installations vont-être inspectées pour vérifier tout potentiel dommage.

Mais alors, faut-il s’inquiéter du risque sismique concernant les centrales nucléaires ? Quels sont les risques en France ? Que se passerait-il en cas de séisme grave ? Décryptage.

Centrales nucléaires et séismes : une question très encadrée

Les centrales nucléaires, comme tous les grands projets et les grandes constructions de ce type, font évidemment l’objet d’études qui prennent en compte le risque sismique. Selon l’Institut Radioprotection et de Sûreté Nucléaire « le risque sismique est pris en compte dès la conception et fait par la suite l’objet de réévaluations régulières, qui permettent de tenir compte de l’évolution des connaissances. »

Mais alors, concrètement, comment prend-on en compte le risque de séismes dans le cas des centrales nucléaires ? Chaque centrale a ses propres contraintes : selon les régions, les risques diffèrent. Alors, pour chaque centrale, il est nécessaire de mesurer le risque sismique dans la région pour connaître les risques et s’y adapter. Et pour cela, des règles et des processus précis ont été définis par l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire). C’est la « Règle fondamentale de sûreté n°2001-01« , qui détermine 4 étapes-clefs :

  • D’abord, on regarde l’historique des séismes connus dans la région de chaque centrale pendant environ 1000 ans
  • À partir de ces données, on détermine ce que l’on appelle les « Séismes Maximaux Historiquement Vraisemblables » (SMHV). En gros, on prend un séisme plus puissant que le plus fort jamais enregistré sur la période dans la région.
  • Pour chaque centrale, on définit ensuite les « Séismes majorés de sécurité » (SMS) : concrètement, on augmente la magnitude du SMHV de 0.5 point, et à partir de ces données, on évalue comment cela affecterait la centrale si un tel séisme survenait à l’endroit exact de la centrale. Pour les centrales de Cruas et du Tricastin, le SMS était d’une magnitude de 5.2 sur l’échelle de Richter. Le séisme du 11 novembre était d’une magnitude de 5.4 mais son épicentre était éloigné d’une vingtaine de kilomètres des centrales.
  • Dernière étape : on regarde quels effets un tel séisme majoré de sécurité pourrait avoir, en examinant les spécificités du site de construction (mouvements du sol, répliques, failles éventuelles) .

C’est à partir de ces données qu’est gérée la sécurité des centrales nucléaires par rapport au risque sismique. En gros, chaque centrale est supposée résister très largement à un séisme majoré de sécurité qui surviendrait à l’endroit de la centrale. Concrètement, chaque centrale doit donc résister à un séisme plus important que le séisme le plus fort enregistré depuis au moins 1000 ans dans la région et dont l’épicentre serait exactement à l’endroit de la centrale. Cela veut dire que concrètement, les centrales de Cruas et du Tricastin doivent pouvoir résister à des séismes d’une magnitude de 5.2 sur l’échelle de Richter et dont l’épicentre se situerait au niveau de la centrale. Le 11 novembre, elles ont résisté à des séismes d’une magnitude encore supérieure : 5.4.

Pour s’assurer de la résistance des constructions, l’ASN a également édité un guide qui encadre les pratiques de construction des centrales. Matériaux, techniques de construction, tout est détaillé dans le guide « Prise en compte du risque sismique à la conception des ouvrages de génie civil d’installations nucléaires« . Aucune centrale ne peut être mise en fonctionnement si elle ne respecte pas les normes ou si elle n’a pas été validée par les instances de l’ASN. Parfois, l’ASN ordonne même l’arrêt de certaines pour effectuer des mises à niveau de sécurité.

Séismes : quels outils de sécurité pour les centrales ?

En plus de ces règles de construction, chaque centrale doit également disposer d’outils de surveillance du risque sismique. Concrètement, chaque centrale doit pouvoir assurer « l’arrêt sûr du réacteur d’une centrale nucléaire, le refroidissement du combustible et le confinement des produits radioactifs […] y compris en cas ou à la suite de séismes plausibles sur le site de l’installation considérée. »

Cela implique donc que chaque centrale doit posséder un dispositif capable de mesurer l’activité sismique. Ces dispositifs doivent déclencher des alarmes dès que des séismes significatifs sont ressentis, afin que les opérateurs de la centrale puissent « être en mesure de prendre rapidement les dispositions adéquates pour mettre et maintenir les tranches de la centrale dans l’état de repli considéré pour chacune d’elles comme le plus sûr après l’apparition du séisme ». L’ensemble des règles outils obligatoires sont recensés dans la Règle N° I.3.b de l’ASN.

Cela signifie qu’en théorie, si un séisme survient dans la région d’une centrale, il existe toute une gamme d’instruments et de processus conçus pour pouvoir arrêter la centrale et éviter tout risque d’accident nucléaire très rapidement.

Centrales nucléaires : quid d’un scénario Fukushima en France ?

Normalement, tout est donc fait pour que les séismes potentiels ayant lieu en France n’aient pas de conséquence sur la sécurité des centrales. Bien évidemment, il faut bien garder à l’esprit que le risque zéro n’existe jamais, surtout lorsque l’on parle d’installations complexes et potentiellement dangereuses comme les centrales nucléaires.

Ainsi, à Fukushima, l’éventualité d’un tsunami d’une telle puissance n’avait par exemple pas été suffisamment bien évaluée. Résultat, les installations n’ont pas résisté au sinistre ce qui a entraîné une fusion de 3 réacteurs sur 4. Les systèmes de sécurité de la centrale ont toutefois permis de limiter les rejets radioactifs et des contaminations radioactives importantes des populations.

Ce scénario est-il possible en France ? En théorie, il est extrêmement peu probable. La France est peu soumise aux mouvements sismiques, les risques de tsunamis sont proches de zéro, et la possibilité d’un risque non prévu ou mal évalué semble faible. Suite à l’accident de Fukushima, l’ASN a tout de même lancé une démarche d’évaluation complémentaire de la sûreté des centrales françaises. Suite à ces « stress-tests », contrôlés par l’ENSREG (Groupement Européen des Autorités de Sûreté Nucléaire), l’Agence concluait que le niveau de sécurité des centrales françaises était « suffisant » mais émettait tout de même 19 décisions pour des mesures visant à améliorer encore la sécurité et la réponse en cas de crise potentielle.

En résumé, un scénario à la Fukushima semble quasiment in-envisageable en France. En tout cas, tous les processus de sécurité semblent en place pour éviter tout risque sérieux.

Centrales nucléaires : les procédures de sécurité sont-elles adéquates ?

Le problème, c’est que depuis quelques années, les polémiques sur le sérieux dans le suivi et la mise en place des procédures de sécurité dans les centrales nucléaires se multiplient.

Plusieurs associations militant contre le nucléaire estiment ainsi que les procédures ne sont pas respectées, que les processus ne sont pas correctement mis en place et que les tests menés dans les années 2010 donnent parfois lieu à des dysfonctionnements importants.

De son côté, dans son rapport de 2018 sur la sûreté nucléaire en France, l’ASN concluait : « Le dispositif de gestion d’une crise nucléaire en France est robuste. Toutefois, il est souhaitable que les exercices de crise soient réalisés dans des conditions de mobilisation plus représentatives des organisations et associent davantage les populations riveraines des installations nucléaires. »

L’autorité pointait notamment comme points vigilance :

  • la nécessité pour « les exploitants [de] veiller à garder des marges suffisantes pour la sûreté et ne pas chercher à les réduire dans une logique d’optimisation »
  • « Un besoin de ressaisissement collectif et stratégique de la filière autour de la formation professionnelle et des compétences industrielles d’exécution est nécessaire pour atteindre le niveau de qualité et de sûreté attendu du secteur nucléaire. »

Une gestion de la sécurité « robuste » donc, mais à condition que les acteurs de la filière jouent leur rôle pleinement, et qu’ils soient à même de maintenir un niveau de compétence suffisant à moyen terme.

Quelles conséquences pour les centrales si un séisme d’une puissance imprévue avait lieu ?

Pour autant, il est toujours en théorie possible qu’un séisme beaucoup plus important survienne, avec par exemple, un épicentre situé exactement sous une centrale nucléaire. Ou que les procédures de sécurité classiques ne parviennent pas à réguler correctement une faille. C’est extrêmement peu probable, mais c’est toujours virtuellement envisageable.

Alors, que se passerait-il dans pareil cas ? En cas d’emballement complet d’un accident nucléaire, le scénario le plus catastrophe que l’on pourrait envisager serait une fusion d’un réacteur.

La fusion complète d’un cœur de réacteur nucléaire est un événement rare. Il a eu lieu seulement 3 fois depuis la naissance de la technologie nucléaire civile : à Three Miles Island, à Tchernobyl et à Fukushima. Dans deux de ces cas, (Fukushima et Three Miles Island) les mesures de sécurité ont permis d’interrompre rapidement la réaction en chaîne et de limiter les dégâts : pas ou peu de pertes civiles, des dégâts limités et une contamination radioactive faible. Dans le dernier cas (Tchernobyl) la fusion a au contraire été très mal gérée, et cela a causé des dégâts importants, ainsi qu’une trentaine de décès directs liés aux radiations ou à l’accident, ainsi que de nombreuses irradiations anormales. Il faut toutefois préciser que dans le cas de Tchernobyl, il s’agit d’un type de réacteur très spécifique (des réacteurs RBMK) dont les inconvénients en termes de sécurité sont nombreux. La réaction en chaîne et les événements de Tchernobyl ne pourraient donc en théorie pas survenir en France, qui utilise des réacteurs REP (Réacteurs à eau pressurisée), dont la gestion en cas d’accident est très différente de celle de RBMK.

D’ailleurs, la fusion d’une partie d’un cœur de réacteur a déjà eu lieu deux fois en France. En 1969 à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, et encore en 1980 dans la même centrale (sur un autre réacteur). Ces accidents ont eu lieu sur des réacteurs anciens (des réacteurs Uranium Naturel Graphite Gaz, UNGG) qui sont actuellement en cours de démantèlement. Ces accidents n’ont pas entraîné de dommages à l’extérieur de la centrale, selon les rapports de l’ASN qui les a classés au niveau 4 sur l’échelle INES. Les précédents historiques incitent donc à penser qu’un accident de type fusion du coeur d’une centrale aurait des conséquences relativement gérables.

Il faut aussi préciser que, quelle que soit la gravité de l’accident potentiel qui aurait lieu en France, un accident menant à une explosion nucléaire est physiquement impossible.

Séismes et centrales nucléaires : quels dangers ?

En résumé, à l’heure actuelle, il y a semble-t-il peu de raisons de s’inquiéter des risques de séismes vis-à-vis des centrales nucléaires. Le risque sismique est pris en compte à toutes les étapes de la conception et de la gestion d’une centrale, de manière à minimiser les risques, à savoir les anticiper, et à savoir gérer les événements en cas de crise.

Bien évidemment, malgré ces précautions, le risque zéro n’existe pas et puisqu’il s’agit d’installations au potentiel de dangerosité important, il faut être d’autant plus prudent avec les centrales nucléaires. C’est pour cette raison que les procédures de sécurité sont extrêmement strictes, et que des autorités indépendantes comme l’ASN existent afin de vérifier le respect de ces procédures.

Toutefois, ces dernières années, l’ASN a souvent mis en garde les exploitants des centrales à propos de certains écarts sur le suivi des règles de procédures. Depuis plusieurs années, le secteur nucléaire a du mal à recruter et à maintenir son niveau de compétence et d’opérationnalité. Le manque de moyens dans un contexte de mise en concurrence et de remise en question du secteur nucléaire pose des difficultés au secteur français. Il faudra donc à terme agir pour maintenir un niveau de sécurité suffisant sur ces questions sismiques, et plus largement sur la sécurité des centrales en général.

Une situation à ré-interroger régulièrement dans l’avenir, donc.

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