En Australie, des milliers de chameaux vont-être abattus pour « protéger les réserves d’eau ». Derrière l’indignation suscitée par cette nouvelle, il y a pourtant un problème plus complexe qu’on ne le pense. Explications.

Avec les incendies qui ravagent ces derniers mois l’Australie, une attention plus particulière a été portée aux politiques écologiques de ce pays-continent. Ces derniers jours, une nouvelle a particulièrement fait parler : pour protéger les réserves d’eau locales, les autorités australiennes auraient décidé d’abattre des milliers de chameaux sauvages.

Bien-sûr, ce projet suscite une indignation semble-t-il légitime. Mais derrière cette nouvelle se cache une situation complexe avec des implications profondes pour les écosystèmes australiens. Alors, pourquoi ces chameaux posent-ils problème ? Comment sont-ils arrivés là ? Quelles sont les solutions ? On vous explique.

Des chameaux en Australie ? D’où viennent les dromadaires australiens

Evidemment, l’Australie n’est pas exactement un habitat naturel pour les chameaux. En fait, les chameaux (plus précisément des dromadaires, dans la majorité des cas) ont été introduits en Australie par l’Empire Britannique au moment de la colonisation de l’île, autour des années 1850. Ces animaux originaires pour la plupart d’Afghanistan et d’Inde ont été amenés en Australie pour servir d’animaux de trait pendant l’établissement des populations britanniques en Australie. À l’époque, des chameliers afghans étaient même encouragés à émigrer en Australie pour apporter leurs services aux élevages locaux.

Progressivement, avec l’apparition des transports motorisés l’usage des dromadaires pour le transport est devenu obsolète. Et comme ce n’était pas non plus un produit d’élevage pertinent pour les marchés de l’époque, certains d’entre eux ont fini par être relâchés dans la nature.

Étant donné leurs capacités de survie dans ce type de milieux, ils se sont relativement bien adaptés et en l’absence de réels prédateurs locaux, ils ont commencé à se multiplier.

Les chameaux australiens : une espèce invasive

Le problème, c’est que du point de vue de l’écosystème australien, ces dromadaires peuvent être assimilées à ce qu’on appelle une « espèce invasive ».

En effet, les populations de dromadaires en Australie se sont multipliées rapidement, jusqu’à atteindre plusieurs centaines de milliers d’individus. Et ces populations perturbent aujourd’hui les écosystèmes locaux : ils se nourrissent de plus de 80% des plantes locales, consomment beaucoup d’eau (et contribuent à polluer l’eau à cause de leurs déjections), participent à la désertification et à l’érosion de certaines zones en consommant la végétation. Leur présence affecte aussi la biodiversité locale : ainsi une étude menée en 2019 montre que la présence de chameaux autour des points d’eau australiens empêche le reste de la biodiversité locale de s’y abreuver…

Sans compter que ces chameaux sauvages peuvent aussi causer de véritables dégâts aux infrastructures humaines : en cas de sécheresse, lorsqu’ils recherchent de l’eau, ils envahissent les communautés locales, notamment aborigènes, et sont capables de détruire clôtures, pompes et structures d’abreuvement du bétail des populations locales.

La situation en est arrivée au point que l’Australie a du créer en 2009 le Camel Management Project, destiné à mieux évaluer, puis à contenir et réduire les populations de dromadaires sauvages. En 2013, on estimait qu’il y avait au moins 600 000 chameaux sauvages en Australie, et que leur population était en croissance de 10% par an, une situation pourrait avoir de vraies implications sur l’écosystème australien si elle perdurait.

La maîtrise des populations de chameaux australiens : un vrai défi écologique

Entre 2009 et 2013, des campagnes visant à abattre certains chameaux ont été menées à plusieurs reprises : près de 175 000 chameaux ont ainsi été abattus, soit par voie aérienne soit par voie terrestre. D’autres ont aussi été maintenus dans des écosystèmes maîtrisés afin de limiter l’impact sur l’écosystème global. Une partie des chameaux ainsi abattus ont servi à l’industrie de la viande (pour produire de la nourriture pour animaux) d’autres ont été exportés. Et cela a permis de contrôler la population de chameaux et d’arrêter son développement trop rapide, du moins pour un temps.

Le problème ne date donc pas d’aujourd’hui, et il n’a rien à voir avec les incendies actuels. Des dizaines de parties prenantes ont été engagées dans ce projet de régulation : les gouvernements nationaux et locaux, des associations de protection de la vie sauvage, les gestionnaires des parcs naturels, des acteurs économiques, les populations locales… Elles ont étudié différentes approches : abattage, stérilisation, réintroduction etc. Certaines ont même été mises en place, certains dromadaires étant par exemple transféré dans la péninsule arabique. Le problème, c’est que les solutions alternatives sont très complexes à mettre en place : le territoire australien étant très vaste et très difficile d’accès, il est difficile de « prélever » les animaux. Les parties-prenantes ont également produit des rapports conséquents sur la situation et son évolution, expliquant les attentes des diverses parties-prenantes, les risques écosystémiques, etc.

Ce qu’il faut retenir de ces rapports, c’est qu’il s’agit en fait d’une situation complexe qui appelle une gestion complexe elle-aussi. Bien-sûr, l’abattage de milliers d’animaux sauvages est toujours une situation très problématique. Mais le problème a des ramifications telles qu’il est de toute façon impossible de laisser ces populations invasives se développer. La décision récente d’abattre près de 10 000 chameaux en est l’un des signes : ces chameaux représentent un problème conséquent à la fois pour l’écosystème et les populations locales.

D’après les partenaires du Camel Management Project, il faudrait au moins 4 millions de dollars par an rien que pour maintenir les populations de chameaux à leurs niveaux actuels, grâce à des abattages, mais aussi à d’autres méthodes de contrôle. La situation est donc probablement appelée à se reproduire.

Photo par Robert Metz sur Unsplash