Ce mercredi 13 décembre, le coup de marteau final du président de la COP 28, Sultan al-Jaber, a retenti. Un texte appelant à une « transition hors des énergies fossiles » pour lutter contre le réchauffement climatique a finalement été adopté par les 198 pays participants ou « parties », concluant ainsi la 28e Conférence des Nations Unies sur le climat à Dubaï, aux Emirats arabes unis. Cette COP marquait également le premier bilan mondial des engagements (Global Stocktake) pris par les États à Paris en 2015 lors de la COP21.
Que faut-il en retenir ?
De difficiles négociations : vers la sortie des énergies fossiles ou une simple réduction ?
La mention d’une « réduction » ou d’une véritable « sortie » du pétrole, gaz et charbon dans le texte final a constitué la principale pierre d’achoppement entre les pays participants.
Un premier texte rejeté car jugé insuffisant
L’accord final de la COP 28 devait en principe être adopté ce mardi matin. Cependant, le premier projet de texte proposé par la présidence émiratie, lundi, a été jugé trop peu ambitieux par l’Union européenne, les États-Unis, les petits États insulaires et de nombreux pays sud-américains, faute d’appeler à la « sortie » des énergies fossiles. La « sortie » des énergies fossiles était pourtant mentionnée dans les premiers brouillons du texte et représentait pour de nombreux pays et observateurs présents aux négociations de Dubaï une priorité absolue.
Après une rude bataille sémantique lors des négociations sur le choix des mots, c’est la « transition » hors des énergies fossiles qui a gagné. Le texte mentionne dorénavant une « réduction de la consommation et de la production des énergies fossiles », en laissant une grande latitude aux pays pour choisir leur manière de « réduire » ces pollutions. Pas d’obligation, pas de date de sortie, pas d’objectif quantifié, chaque pays décide de sa transition hors des énergies fossiles.
Et pourtant, la combustion du charbon, du pétrole et du gaz, principalement pour la production d’électricité, pour les transports ou encore le chauffage, est à l’origine de 80 % des émissions de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. Or, l’Accord de Paris, adopté en 2015 lors de la COP21, énonce l’objectif de maintenir « l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » et de poursuivre les efforts pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C. Pour atteindre cet objectif, il est impératif de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, en particulier celles provenant de la combustion des énergies fossiles.
Elimination progressive des combustibles fossiles : le blocage des pays producteurs et exportateurs de pétrole
Les pays du golfe et le bloc africain se sont quant à eux opposés à une sortie des énergies fossiles, qui font partie intégrante de leur modèle économique.
Lors d’une conférence sur la coopération régionale dans le domaine du pétrole à Doha, au Qatar, le ministre koweïtien du Pétrole, Saad al-Barrak, a qualifié la pression internationale pour sortir des énergies fossiles « d’attaque agressive ». Il a affirmé être étonné de « l’insistance inhabituelle à priver les peuples du monde et de nombreux pays de cette source essentielle d’énergie ».
Du côté de l’Irak, le ministre du Pétrole, Hayan Abdel-Ghani, a déclaré que « les énergies fossiles resteront la principale source d’énergie dans le monde ». Il soutient qu’« en tant que pays arabes, nous produisons cette énergie, mais nous ne sommes pas à l’origine des émissions », jetant cette responsabilité sur les pays consommateurs et les pays historiquement responsables du réchauffement climatique, qui « doivent développer des technologies pour réduire leurs émissions ».
Plutôt qu’une sortie des énergies fossiles (« phase-out »), qui équivaudrait, selon le ministre nigérian de l’environnement, Isiaq Adekunle Salako, à « arrêter de respirer sans assistance respiratoire », il s’agirait davantage de soutenir une réduction progressive de la production et de l’utilisation des combustibles fossiles (« phase-down »). Une situation qu’il juge « inévitable ». Il ajoute : « à mesure que nous développons nos énergies renouvelables, nous réduirons notre utilisation des combustibles fossiles ».
La présidence émiratie a donc travaillé à un nouveau projet d’accord, après le rejet de la première proposition. Ce texte a été présenté ce mercredi 13 décembre par le président Sultan al-Jaber aux 198 pays participants et adopté, selon les règles de procédure, par consensus.
L’adoption d’un accord sur une « transition hors des énergies fossiles »
La texte, validé par tous les pays participants, mentionne désormais l’expression « transitioning away », que l’on peut traduire par « transitionner hors de » ou « s’éloigner ». Il est question pour la première fois de « transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, conformément aux préconisations scientifiques ». Chaque mot est pesé : il ne s’agit plus de sortir des énergies fossiles, mais de les abandonner progressivement. Une formulation qui a permis de réconcilier les points de vue, et d’éviter un blocage venant de pays producteurs d’énergies fossiles.
Un accord historique ?
Selon Sultan Al Jaber, cet accord constitue une décision « historique pour accélérer l’action climatique ». Pour la première fois dans l’histoire des COP sur le climat il est fait mention dans l’accord final d’un abandon progressif des énergies fossiles. C’est une avancée par rapport à la COP 26 qui avait acté le fait de sortir du charbon uniquement (sans toutefois fixer d’objectifs spécifiques d’abattement des émissions).
François Gemenne, spécialiste du climat et co-auteur du sixième rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), témoigne lui aussi de son engouement autour de cet accord au micro de France Inter ce mercredi 13 décembre :
Il ne faut pas galvauder les mots, c’est quasiment historique. On dessine quand même un futur largement décarboné pour les énergies fossiles. Je pense que peu auraient parié sur un accord aussi ambitieux. […] Réalisons que nous sommes aujourd’hui face à une situation où les pays viennent de points de départ complètement différents, où les pays ont des contraintes, des régimes politiques, des économies complètement différents. Parvenir à les mettre d’accord sur un texte ambitieux, sur un sujet aussi fondamental, dans un monde qui est aussi morcelé et fracturé qu’aujourd’hui, ça tient du tour de force.
Avec l’arrivée des énergies renouvelables, il y a un risque que celles-ci s’ajoutent aux énergies fossiles existantes, plutôt que de les substituer. L’idée du texte est plutôt de se diriger vers une trajectoire post-fossile, et permettre aux énergies décarbonées de remplacer progressivement le pétrole, le charbon et le gaz.
Le texte invite notamment les « parties » à prendre des mesures pour tripler, à l’échelle mondiale, la capacité des énergies renouvelables, doubler les améliorations en matière d’efficacité énergétique d’ici à 2030, mais aussi accélérer les technologies « zéro carbone » et « bas carbone », dont le nucléaire et l’hydrogène bas carbone. Bien qu’il ne mentionne pas la fin de toutes les subventions aux énergies fossiles, le texte évoque « une sortie des subventions inefficaces qui ne s’attaquent pas à la précarité énergétique ou aux transitions justes, le plus tôt possible ».
Les limites du texte final de la COP 28
Ce texte est néanmoins critiqué sur plusieurs aspects.
- La sémantique choisie
En choisissant le terme de « transitioning away » (« transitionner hors de »), le texte ne mentionne plus de « phase out » (« sortie ») du pétrole, du gaz et du charbon, qui était pourtant plus impactant mais moins consensuel. António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a réagi sur X (anciennement Twitter), en écrivant « que cela vous plaise ou non, la sortie des énergies fossiles est inévitable. Espérons qu’elle n’arrive pas trop tard ».
S’il est question de transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, cela laisse la place à leur utilisation pour produire beaucoup de plastique, estime Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, à France Inter ce mercredi 13 décembre.
- Des promesses insuffisantes
« Les promesses, si elles se réalisent toutes, impliqueraient une baisse de 5 % des gaz à effet de serre à horizon 2030, alors que pour limiter le réchauffement largement sous 2°C, il faudrait une baisse de 43 % », a également appuyé Valérie Masson-Delmotte au micro de France Inter.
- La capture et le stockage du carbone présentés comme des solutions
Alors que les technologies de capture et de stockage du carbone (CSC) sont très controversées, le texte les mentionne comme des technologies à accélérer « en particulier dans les secteurs difficilement décarbonables ». L’accent est mis sur les solutions technologiques, et finalement assez peu sur la demande et la sobriété.
Approfondir : Les technologies de stockage du carbone sont-elles efficace pour lutter contre le réchauffement climatique ?
- La reconnaissance du rôle des énergies de transition
Le texte adopté mentionne le rôle des « énergies de transition », allusion au gaz, pour assurer la « sécurité énergétique » des pays en développement. Malgré l’adoption d’une taxonomie verte de l’Union européenne en 2022 considérant que le gaz est une énergie de transition, les critiques sont vives. Les recherches montrent notamment que le gaz est une énergie fossile chargée en méthane.
- Pas de cible quantitative sur les émissions de méthane
Aucun objectif de réduction des émissions de méthane n’a été fixé, alors que ce gaz a un pouvoir de réchauffement global 28 fois plus élevé en moyenne que le CO2 à quantité égale sur une période de 100 ans selon le GIEC.
En savoir plus : Potentiel de réchauffement global (PRG / GWP), c’est quoi ? Définition, utilité et limites
- Pas de calendrier précis et un accord non contraignant
Le texte ne mentionne pas d’échéances pour sortir du pétrole, du charbon et du gaz, ce qui est critiqué par plusieurs États mais aussi par des ONG. Par ailleurs, le caractère non contraignant de l’accord n’oblige en rien les pays à agir derrière, ce qui fait douter de sa réelle portée.
- Des moyens financiers insuffisants
Valérie Masson-Delmotte déplore également le manque de moyens financiers parmi les limites de l’accord. « Ces limites, c’est les financements, pour le déploiement des alternatives aux énergies fossiles, les financements pour l’adaptation, avec un objectif mondial qui reste faible, et les financements pour les pertes et dommages (les pays qui devront se reconstruire post-catastrophes), elle ajoute, sur ce point, ce qui est mis sur la table, 400 millions de dollars, c’est le salaire des trois footballeurs les mieux payés au monde. On voit le décalage ! »
L’accord unanime pour une « transition hors des énergies fossiles », un symbole fort
Malgré ses limites, cet accord envoie un symbole fort. En effet, l’accord final doit être adopté par consensus, ce qui signifie qu’aucune des parties présentes ne doit exprimer d’objection significative. Ce texte bénéficie donc du soutien unanime de tous les pays participant à la COP, même ceux dont une grande partie de l’économie repose sur la production et l’exportation de pétrole.
Cela marque la reconnaissance d’un constat scientifique solide et irréfutable. Le bilan reconnaît d’ailleurs les données scientifiques qui indiquent que les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent être réduites de 43 % d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 2019, pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Il note également que les « parties » ne sont pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris.
Alors, cet accord adopté à la COP 28 peut-il permettre une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre ? Certes, les puits de pétrole ne vont pas tous fermer demain, d’autant plus que l’accord n’a pas de valeur contraignante. Toutefois, ce texte adopté à la COP donne une direction à suivre. Il envoie un signal fort aux marchés ainsi qu’aux industriels concernant les investissements pour demain, et aux États pour mettre en oeuvre une stratégie ambitieuse de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.
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