Pourquoi les COP sur le climat n’aboutissent jamais à des décisions suffisantes ? Pourquoi les gouvernements ont-ils tant de mal à agir face à l’urgence climatique ? Il y a plusieurs raisons.

La COP25 démarre. Oui, c’est la 25ème depuis la COP1 en 1995 à Berlin (en fait la 26ème, puisqu’il y a eu une COP6 bis à Bonn en 2001). Pourtant, malgré les années qui passent, malgré les COP qui se succèdent, les Accords signés et ratifiés, la lutte contre le changement climatique est au point mort, ou presque.

Le dernier rapport de l’ONU sur le sujet le montre bien : les émissions de CO2 continuent de croître de 1.5% par an, alors qu’elles devraient baisser au minimum de 3.5% par an, et même de 7.6% par an si l’on voulait éviter de dépasser les 1.5 degrés de réchauffement.

Mais alors, comment expliquer que malgré les COP, on ne fasse toujours rien face au réchauffement climatique ? Tentons de décrypter ce paradoxe.

COP et réchauffement climatique : beaucoup de réunions, peu d’action

D’abord un peu de contexte. Les COP, ou conférences des parties, sont des réunions annuelles où les gouvernements mondiaux tentent de mettre en place un processus commun de lutte contre le réchauffement climatique. Ces conférences sont organisées dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Ce sont elles qui ont mené à la signature du Protocole de Kyoto en 1997, qui a lancé les premiers engagements de réduction des émissions de CO2, puis de l’Accord de Paris, en 2015 à la COP21 organisée à Paris.

Il est donc en réalité un peu abusif de dire que les COP n’aboutissent « à rien ». Car en réalité, elles permettent de mettre autour de la table les gouvernements mondiaux et d’aboutir à des traités. Le problème, c’est que ces traités ont toujours été jusqu’à aujourd’hui des traités « non-contraignants ». Concrètement, cela veut dire que même si un gouvernement signe un traité international comme l’Accord de Paris, rien ne l’oblige à respecter ses engagements. Bien-sûr, en théorie, en droit international, les traités ont un caractère obligatoire. Mais dans les faits, aucune clause de ces traités n’implique de « sanction » contre un Etat qui ne respecterait pas les objectifs fixés.

Apparemment, il y a donc un paradoxe saisissant : chaque année, on continue à faire des conférences, à produire de nouveaux traités, de nouveaux accords, alors que rien ne garantit que ces traités soient respectés. Et surtout, alors que chaque année, on constate que les objectifs de ces traités ne sont, dans les faits, jamais atteints. En résumé, les COP, c’est beaucoup de réunions pour peu d’actions concrètes. Et il y a de bonnes raisons à cela.

COP : les paradoxes de la gouvernance des biens communs

En fait, cette situation paradoxale est caractéristique de la gouvernance internationale, et plus spécifiquement de ce que l’on appelle la gouvernance des communs.

Le climat et sa stabilité sont ce que l’on pourrait appeler un « commun » (un bien commun en fait) : tous les pays du monde ont besoin d’un climat stable et fonctionnel pour pouvoir fonctionner correctement. Un peu comme tout le monde a besoin de réserves d’eau potable, d’un air sain, et d’une terre productive. Ce sont des biens communs, qui profitent à tous.

Pourtant, ces biens communs peuvent être affectés par des actions individuelles. Quand un pays développe son réseau énergétique, afin de développer son économie et améliorer les conditions de vie de sa population, il pollue, il émet du CO2 et cela dégrade le climat. Mais comme le CO2 ou la pollution ne s’arrêtent pas aux frontières, c’est le climat de toute la planète qui est affecté. L’action d’un acteur affecte un bien qui appartient à tous.

Se pose alors la question de la gestion de ces biens communs : ne devrait-on pas mettre en place une réglementation qui empêche un pays, ou une entreprise, ou un groupe d’individus de dégrader un bien commun ? Après tout, si tout le monde est affecté, la moindre des choses est que les décisions se prennent en commun.

Sauf que, dans le système international, chaque pays décide de ses propres lois, chaque pays est souverain. Et en théorie, il n’y a rien qui permette à un pays, ou à plusieurs pays, d’imposer ses volontés aux autres. Il n’y a pas de « police internationale » qui pourrait mettre des amendes à un Etat ou l’obliger à émettre moins de CO2. Il n’y a pas non plus de tribunal international qui soit compétent pour obliger un gouvernement à agir de telle ou telle façon. On est donc obligés de « négocier ».

La négociation internationale sur le climat et l’inaction climatique

C’est le rôle des COP, et de la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) : permettre à l’ensemble des pays de la planète de négocier une bonne manière de gérer le climat ensemble.

Alors évidemment, sur le papier, tout le monde ou presque est d’accord : il faut limiter le réchauffement climatique. Sauf que dans la pratique, c’est nettement plus compliqué. Comment on fait ? Par où on commence ? Qui paye pour tout ça ? Sur tous ces sujets, les pays ne sont pas forcément d’accord, et c’est assez logique.

Par exemple, si l’on voulait limiter le réchauffement climatique, en théorie, c’est simple : on ferme toutes les centrales à charbon et à énergie fossile, et on interdit la production et l’utilisation de voitures thermiques. À eux deux, ces deux secteurs représentent à peu près la moitié des émissions de gaz à effet de serre. En prenant seulement ces deux mesures, on aurait déjà à peu près gagné le combat.

Sauf que tous les pays du monde ne vont pas forcément être d’accord. La France, par exemple, pourrait être d’accord avec l’idée de fermer les centrales à énergie fossile. Normal : elle en possède très peu et elle n’en a pratiquement pas besoin. D’ailleurs, le gouvernement français a récemment annoncé qu’il allait les fermer d’ici quelques années. L’Allemagne en revanche trouverait sans doute cette idée nettement plus compliquée : plus de la moitié de la production électrique allemande vient des centrales thermiques. Inversement, interdire les voitures thermiques serait sans doute mal accepté par la France, qui compte près de 500 voitures pour 1000 habitants. Mais ce serait plus simple pour la Somalie, qui n’en compte que 2 pour 1000 habitants.

Il faut donc trouver un terrain d’entente. Et si possible un terrain d’entente qui soit suffisamment peu contraignant pour que tous les pays du monde acceptent volontairement de s’engager, de signer les traités et de se mettre dans une dynamique d’action. On imagine en effet assez mal un Etat signer volontairement un traité qui l’obligerait à mettre en place des mesures trop difficiles et trop contraignantes.

Les COP et le réchauffement climatique confrontées à l’impératif économique

Le problème c’est que justement, lutter contre le réchauffement climatique, c’est contraignant et difficile. Par exemple, il est difficile de limiter l’usage de la voiture sans se heurter à l’opposition de la population, qui y perdrait en confort de vie. Même chose pour l’augmentation des taxes sur les carburants : c’est d’ailleurs ce qui a lancé le mouvement des Gilets Jaunes. Changer les modes de production énergétique pour se passer du charbon coûte cher et cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. De plus, les alternatives (les énergies renouvelables intermittentes) ne sont pas toujours une alternative réaliste.

On ne peut donc pas arriver à un consensus facilement sur ces questions, ce qui explique que les COP n’aboutissent jamais à des résultats prescriptifs. Elles ne disent pas « comment faire » elles fixent juste des objectifs. Le succès de la COP21 tient d’ailleurs dans cette subtilité. Si tout le monde ou presque a accepté de signer la COP21 (contrairement au Protocole de Kyoto qui n’avait pas été ratifié par les principaux pollueurs) c’est qu’elle n’obligeait aucun Etat à quoi que ce soit. Chaque Etat était même libre de définir ses propres objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et il était aussi libre, ensuite, de décider comment il parvient à ces objectifs.

Mais même là, les choses sont encore complexes. Au sein d’un Etat, être capable d’identifier quelles mesures seraient efficaces relève d’un défi immense. Un gouvernement ne peut pas juste décider, par exemple, d’interdire le plastique : c’est infaisable et irréaliste, trop d’industries en dépendent, il faudrait trouver des alternatives, qui n’émettraient d’ailleurs pas forcément moins de CO2.

Même des mesures en apparence « simples » ne le sont en fait pas vraiment. Par exemple, il serait en théorie possible pour un pays de « taxer les produits importés » pour limiter les émissions de CO2 liées au transport de ce que l’on consomme et encourager la consommation locale. Sauf que si un Etat décide de taxer certains produits, ceux qui les produisent seront lésés, ou alors ils augmenteront leurs prix et c’est dans ce cas le consommateur qui sera lésé. Au pire des cas, cela peut mener à une guerre commerciale. C’est ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis depuis que Donald Trump a décidé de taxer les importations venues de Chine.

En fait, derrière chaque décision relative au climat, il y a des conséquences économiques et sociales, et les gouvernements doivent les prendre en compte. Et dans une économie globalisée, chaque décision peut avoir des conséquences importantes en termes d’emploi, de compétitivité, de pouvoir d’achat.

Les injonctions paradoxales de la lutte contre le réchauffement climatique

Si les COP n’aboutissent donc généralement pas à de grands changements, c’est donc avant tout parce que la lutte contre le réchauffement climatique est en permanence soumise à des injonctions contraires.

D’un coté, on veut moins de CO2, mais sans revenir sur nos habitudes en matière d’usage de la voiture, sans réduire nos usages énergétiques, sans payer plus cher notre facture d’électricité ou de chauffage. On voudrait taxer les produits importés, faire payer une taxe carbone aux entreprises, taxer les carburants des cargos de transport, mais sans voir son pouvoir d’achat diminuer et sans créer de chômage. On voudrait limiter la surproduction industrielle, mais sans renoncer ni à nos habitudes de consommation ni à la croissance économique et au confort qu’elle permet d’obtenir.

Ce n’est évidemment pas possible, et face à ces contradictions, les gouvernements sont obligés de faire des arbitrages. Bien souvent, ils choisissent donc de donner la priorité à l’économie. D’abord parce que l’intégrité du système en dépend, et aussi parce que c’est là que se situent les priorités les plus immédiates des citoyens qui les élisent. Au mieux, lorsqu’ils prennent des mesures environnementales, elles sont limitées ou très progressives, car elles sont conçues pour ne pas avoir trop de conséquences négatives sur les indicateurs économiques ou sur l’opinion publique.

Alors les COP sont-elles inutiles ?

Le problème semble donc assez insoluble : il est difficile d’obliger les pays du monde (qu’ils soient développés ou non) à renoncer à leurs impératifs économiques en vertu de la lutte contre le changement climatique. Et ce, même si c’est ce qu’il faudrait faire pour le long terme. Et on voit mal comment les changements mineurs induits par les différentes COP pourraient réellement nous permettre de sortir de l’impasse climatique.

Mais les COP restent aujourd’hui les seuls leviers qui permettent de discuter de ces questions au niveau international. Elles sont le seul moyen de tenter de parvenir à un consensus. Ce sont les négociations internationales, aux COP et autour des COP qui permettent progressivement de faire émerger dans les relations internationales le réchauffement climatique comme une crise urgente à régler.

De plus en plus d’acteurs sont convaincus de la nécessité d’agir sur ces questions et les COP leur donnent une occasion de se mobiliser pour tenter de convaincre le plus d’acteurs possibles. C’est là que, par le jeu des alliances, des pressions commerciales, diplomatiques et politiques peuvent parfois se déclencher des « petits pas » qui permettent d’atténuer la hausse des émissions. C’est d’ailleurs l’objectif de la COP25 : tenter de convaincre les gros pollueurs de relever leurs ambitions en matière de réduction des émissions de CO2, convaincre leurs opinions publiques afin d’orienter les politiques publiques des années à venir. Bien-sûr, c’est aujourd’hui insuffisant et il faudrait aller plus loin. Mais il n’existe aujourd’hui pas de solution miracle et sans les COP, les choses risquent surtout d’avancer encore plus lentement.

Inutiles, les COP ? Non, même si les résultats sont très loin d’être à la hauteur du défi. Une occasion de faire de la com’ pour des gouvernements en manque de reconnaissance sur ces questions ? Certainement. Mais peu importe les raisons qui poussent à l’action, même minime, sur ces questions. Les COP ont beau avoir l’air de n’aboutir à rien, c’est tout de même là, faute de mieux, que se joue l’avenir de la lutte contre le réchauffement climatique.

Photo par Markus Spiske sur Unsplash