Le 19 mars, une proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide a été déposée par des sénateurs socialistes et républicains. Si cette notion reste méconnue, elle tend à se démocratiser, portée par des personnalités comme Valérie Cabanes. Retour sur un concept qui pourrait finalement faire son entrée dans le droit français.

L’écocide, un concept démocratisé suite aux ravages de l’agent orange au Vietnam

Le terme d’écocide provient du grec « oikos » qui signifie la maison et du latin « cide » pour caedere, tuer. Un écocide est donc le fait de détruire notre foyer, entendu dans ce cas précis comme la Terre.

L’idée de l’existence d’un crime d’écocide a été popularisée dans les années 1970, par le botaniste Arthur Galston, président du département botanique de l’Université de Yale et inventeur du fameux « agent orange » ayant servi à dévaster les forêts vietnamiennes lors de la guerre opposant le pays aux américains.

Il a alors défini l’écocide comme « la dévastation et la destruction visant à endommager ou détruire l’écologie de zones géographiques au détriment de toute forme de vie, qu’elle soit humaine, animale ou végétale ». Cette définition a par la suite été reprises plusieurs fois, notamment par le premier ministre suédois Olof Palme, pour son discours d’ouverture de la Conférence de Stockholm de 1972.

Un crime débattu à de nombreuses reprises sans jamais être intégré au droit pénal international 

Malgré la prise de conscience grandissante des effets de l’Homme sur l’environnement et la multiplication des cas de destruction de l’environnement, jamais ce crime n’a réussi à être intégré dans le droit pénal international.

En effet, dans les années 1970, à l’occasion des débats portant sur l’efficacité de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, la question d’intégrer de nouveaux éléments en vue d’éviter les génocides fut évoquée. Parmi ces éléments se trouvait justement l’intégration d’un crime d’atteintes à l’environnement. Cependant, les Etats considérant que l’écocide devait être traité indépendamment du génocide, l’idée fut rapidement abandonnée.

Par la suite, dans les années 1980, lors des réflexions sur la création d’une cour pénale internationale, l’idée de l’intégration du crime d’écocide s’est posée à nouveau. Le Projet de code contre la paix et la sécurité de l’humanité de la Commission de droit international prévoyait alors d’inclure les « dommages délibérés et graves contre l’environnement ». Mais, une fois encore, l’absence de volonté politique des Etats aboutit à l’abandon du projet.

Au final, la Cour pénale internationale créée par le Statut de Rome de 1998 n’a la capacité de juger que les quatre « crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de l’humanité ». Ces crimes sont le crime de génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime d’agression. Mais pas l’écocide.

Les défenseurs de la Cour pénale internationale rétorqueront qu’elle intègre indirectement les atteintes à l’environnement en réprimant l’utilisation de l’environnement comme arme de guerre, mais les conditions de mise en œuvre de cette disposition sont tellement restrictives qu’elle n’a jusqu’à ce jour que très peu servie. Le seul exemple relativement connu est le mandat d’arrêt formulé contre le dirigeant soudanais Omar Al Bashir en juillet 2010 pour avoir « contaminé les puits et les pompes à eau des villes et des villages principalement peuplés de membres des groupes four, massalit et zaghawa attaqués » au Darfour. Dans cette affaire, la destruction de l’environnement n’est cependant visée que par ricochet, parce qu’elle participe à détruire l’Homme et non pour elle-même.

En 2016 l’idée de condamner réellement les crimes d’atteinte à l’environnement en droit pénal international a refait surface, suite aux déclarations de Fatou Bensouda, Procureure de la Cour pénale internationale. Cette dernière a déclaré que la Cour allait davantage se pencher sur les crimes d’atteintes à l’environnement… Mais aucune décision effective n’a abouti depuis, malgré plusieurs plaintes comme celles contre la spoliation de terres au Cambodge.

Une pression sociale de plus en plus forte pour faire valoir la reconnaissance du crime d’écocide 

Pendant longtemps, seuls quelques spécialistes dont le professeur Laurent Neyret, auteur d’un ouvrage paru en 2015 visant à faire adopter une convention pour réprimer le crime d’écocide ou encore la juriste Valérie Cabanes, présidente d’honneur de l’ONG Notre Affaire à Tous, militaient activement pour voir reconnaître le crime d’écocide.

Mais depuis quelques années la société civile se mobilise de plus en plus. Ainsi, en 2014, le mouvement End Ecocide on Earth avait par exemple réussi à réunir le nombre de signatures nécessaires pour déposer une pétition au Parlement Européen, visant à faire adopter un texte réprimant l’écocide. Sauf que la pétition n’a pas été suivie d’effets.

Plus récemment, en 2017, le « Tribunal Monsanto » a rendu un avis sans appel reconnaissant que l’entreprise commercialisant le tristement célèbre Roundup se livrait à des pratiques contraires au droit à un environnement sain, au droit à la santé, à l’alimentation et que les pratiques de Monsanto avaient de graves répercussions sur l’environnement. L’avis consultatif de ce tribunal d’opinion citoyen concluait sur le fait qu’il fallait : « proposer la création d’un nouveau concept juridique pour le crime d’écocide et de l’intégrer dans une future version amendée du statut de Rome établissant la Cour pénale internationale ».

Contrairement à la pétition précitée, ce tribunal d’opinion a eu un fort écho dans la presse et la société en général. Cela explique en partie la récente affaire portée en justice par un groupement d’ONGs pour voir engager la responsabilité de l’Etat français pour inaction climatique. Le tribunal administratif ne se prononcera pas avant un moment, mais ces affaires permettent de constater que la contestation sociale monte et qu’il y a désormais une réelle volonté citoyenne de voir l’environnement protégé.

L’intégration de l’écocide dans le droit national : une voie médiane 

Au final, la mobilisation citoyenne – si elle ne permet pas encore d’arriver à un consensus international en raison de fortes résistances – semble réellement faire bouger les choses au sein de certains Etats. C’est du moins ce que prouve le dépôt de la proposition de loi visant à la reconnaissance du crime d’écocide le 19 mars dernier en France. Le pays rejoindrait alors la dizaine d’Etats ayant reconnu l’écocide dans leur droit pénal, le premier étant… Le Vietnam. Mais que contient réellement le texte ?

Tout d’abord, il définit l’écocide comme « le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population ».

Quant au dispositif pénal, la proposition de loi se veut dissuasive, avec des sanctions lourdes : l’écocide pourrait être puni de 20 ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 € d’amende. La provocation suivie d’effets tout comme la « participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels » seraient également passibles des mêmes peines.

Cette proposition va donc dans le bon sens, essentiellement pour sa portée symbolique. En effet, tel que rédigé, le texte semble difficile à mettre en œuvre du fait des nombreuses conditions requises. Par ailleurs, l’arsenal législatif français en droit pénal de l’environnement permet déjà de réprimer de nombreuses infractions, mais l’économie passe souvent avant l’environnement. Au-delà du symbole, c’est donc avant tout un système de hiérarchisation des intérêts en cause à transformer. Reste donc à voir si le texte sera ou non adopté, sa première discussion en assemblée plénière est prévue le 2 mai 2019.

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