Pour faire face à la désindustrialisation en France, les projets industriels pourraient bénéficier de plusieurs exemptions environnementales, en termes de consultation ou d’artificialisation des terres notamment. Des reculs écologiques présentés comme nécessaires face aux besoins de retrouver de la compétitivité, mais qui posent des problèmes de démocratie environnementale. Explications. 

C’est une mesure qui est passée quasi inaperçue, dans le contexte du chaos gouvernemental. Dans le cadre du plan Ambition Industrie, le gouvernement de Michel Barnier a proposé un projet de décret, soumis par le ministère de la Transition écologique à une consultation publique jusqu’au 27 décembre. Celui-ci vise à exclure les projets industriels du champ de la Commission nationale du débat public (CNDP). Une autorité que l’ex-Premier ministre connaît bien puisqu’il est à l’origine de sa création en 1995. Mais 30 ans plus tard, la priorité est donnée aux projets industriels, « trop souvent retardés ou découragés » par les consultations publiques de la CNDP, soutenait l’ex-Premier ministre lors d’un déplacement à Limoges le 29 novembre 2024. 

Une annonce qui s’inscrit dans un contexte économique particulièrement préoccupant pour l’économie française. La CGT répertoriait en octobre 2024, 180 plans de licenciement sur le territoire français, contre 132 plans en mai 2024 chez Air Liquide, Stellantis, Michelin… Pour y faire face, les derniers gouvernements ont multiplié les exemptions environnementales, présentées comme des entraves à la compétitivité pour l’industrie. Outre l’exemption de la CNDP, les projets industriels pourraient être exclus du dispositif « Zéro artificialisation nette » (ZAN) pour une durée de 5 ans. En avril déjà, le gouvernement Attal avait déjà exclu de cette obligation issue de la loi Climat et Résilience 424 projets comme l’autoroute A69 Castres-Toulouse et les futurs projets d’Airbus.

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Compétitivité contre démocratie environnementale

Derrière la mise à pied de la CNDP,  le projet de décret cherche finalement à exclure les citoyens des procédures de décisions des projets industriels, souligne Ilaria Casillo, vice-présidente de la CNDP dans un message sur LinkedIn. « Concrètement, cela ne signifie pas seulement que la population n’aura plus son mot à dire sur ces projets, mais aussi qu’elle ne sera même pas informée de leur existence, de leur impact, de leur coût… », s’indigne-t-elle. La proposition de décret cible en outre indirectement les défenseurs de l’environnement présentés comme un risque pour de nombreux projets industriels polluants. 

Si le projet de décret est validé par le Conseil d’État, des usines à plusieurs milliards d’euros pourraient sortir de terre sans consultation obligatoire des riverains et des populations concernées. Objectif : gagner de 6 à 12 mois pour les porteurs de projets, selon le dossier de presse « Ambition pour l’industrie ». Or, ces projets industriels de grandes envergures – comme des réacteurs nucléaires, des tronçons d’autoroutes ou de sites d’enfouissement des déchets nucléaires –  représentent plus de la moitié de l’activité de la CNDP. « Une fois ces projets sortis de [la] compétence [de la CNDP], cela deviendra le principal argument pour la supprimer définitivement », estime Florent Guignard, responsable du suivi des débats publics de la CNDP sur LinkedIn

Une démocratie environnementale malmenée dans un contexte d’urgence écologique

Pour Ilaria Casillo, « impossible de se taire », lorsqu’on « s’en prend à nouveau à la CNDP ». Si la CNDP n’est pas suffisante à elle seule pour garantir une pleine participation démocratique, en donnant du poids aux citoyens, elle accroît la transparence de ces grands projets industriels sur le territoire, facilite leur acceptation par ces mêmes citoyens et participe à réduire les nombreux abus industriels (pollutions, corruption, délits) et pratiques industrielles non conformes. « Dans une démocratie dont les règles du jeu apparaissent souvent suspectes aux citoyens et citoyennes, ces droits sont un atout précieux pour approfondir la démocratie tout en accélérant la transition écologique et les projets qui la font vivre », complète la vice-Présidente de la CNDP. De nombreux citoyens semblent lui avoir donné raison. Mi décembre le projet de décret avait recueilli plus de 1 000 consultations. 

Le Rapport annuel sur l’état de la France 2024 (RAEF) du Conseil économique social et environnemental (CESE) sur la crise démocratique abonde également dans ce sens. Il explique combien les inégalités perçues par les citoyens fragilisent leur rapport à la démocratie. Face à l’urgence environnementale, certains citoyens ne croient plus au dialogue, regrettait déjà en octobre dernier le président du CESE, Thierry Beaudet. Pour eux, « la contestation et la mobilisation paient bien plus que la participation à des débats publics », expliquait-il lors d’un colloque sur la démocratie environnementale. Avant d’appeler au contraire à « une démocratisation de la société toute entière, et donc, à une participation effective des acteurs aux enjeux qui les concernent qu’il s’agisse d’environnement de santé, de culture, d’économie ou d’éducation avec une véritable redevabilité ».

L’avis des citoyens, un indispensable démocratique

De fait, des exemples européens montrent qu’une autre voie est possible. « En Suède, s’il faut 5 ans pour discuter d’un projet d’infrastructure avant de réaliser le projet, ils le font« , expliquait au CESE Paul Delduc, chef du service de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD). Même pour les plus gros projets industriels, comme dans le cas des déploiements des énergies renouvelables, « il n’y a pas ce sentiment qu’il faut aller vite pour tout », complète-t-il. 

Pour Marie-Céline Battesti, présidente de la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs (CNCE,) au-delà des enquêtes publiques, la France manque aussi globalement d’outils pour assurer une pleine participation des citoyens. « Il faut que, quand nous en avons l’envie, nous puissions faire contre-expertiser ‘la pertinence d’un projet’ (Ndlr.) », précisait la vice-Présidente de la CNCE lors du colloque. Elle appelle notamment à la création d’un service public de la participation pour assurer un financement pérenne de la démocratie environnementale. A voir comment le sujet de la démocratie environnementale sera porté par le gouvernement de François Bayrou…et les suivants…

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