Qu’est-ce que la désobéissance civile ? Quand ce concept est-il apparu ? Quels sont les exemples connus de désobéissance civile ? Pourquoi la désobéissance civile revient-elle en force ces dernières années ?
La désobéissance civile : définition
La désobéissance civile peut se définir comme le fait de refuser de manière assumée et publique d’obéir à une loi, un règlement ou un pouvoir jugé injuste de manière pacifique. La désobéissance civile s’apparente donc à une forme de résistance sans violence.
La paternité du terme est attribuée en général au philosophe américain Henry David Thoreau, qui l’a conceptualisée dans un essai du même nom : La désobéissance civile, paru en 1849. Cet ouvrage fait suite à son refus de payer une taxe devant servir à financer une guerre contre le Mexique, ce qui lui valut une nuit en prison.
Le concept de désobéissance civile, de façon plus contemporaine, a été précisé par le philosophe John Rawls dans La Théorie de la Justice (1971). Il la définit comme « un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s’adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté et on déclare que, selon une opinion mûrement réfléchie, les principes de coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pas actuellement respectés ».
Voir aussi : Démocratie : définition
Les six éléments caractéristiques de la désobéissance civile
Six éléments permettent de caractériser une action de désobéissance civile.
- Le premier élément est qu’il faut commettre une infraction de manière consciente et intentionnelle. On peut distinguer alors entre la désobéissance civile directe, qui nécessite que l’action réalisée viole directement un texte de loi (comme avec les faucheurs d’OGM) et la désobéissance civile indirecte, lorsque la norme violée n’est pas celle qui est contestée (comme c’est le cas pour les sit-in, car alors ce n’est pas le code de la route qui est visé par l’action).
- Le deuxième élément est que l’acte doit être public. La publicité de l’acte vise à lui donner une valeur de symbole, à toucher l’audience la plus large possible pour sensibiliser le public à la cause défendue.
- Le troisième élément est que l’action doit être réalisée collectivement.
- Le quatrième élément est que l’acte doit être réalisé en utilisant des méthodes pacifiques.
- Le cinquième élément est que l’action doit être réalisée en acceptant les éventualités d’une sanction.
- Enfin, le dernier élément, sans doute le plus important, est que l’action réalisée doit faire appel à des « principes supérieurs » pour justifier la violation d’une norme. C’est l’existence de ces principes supérieurs qui confèrent une certaine légitimité à l’action.
La désobéissance civile : quelques exemples historiques connus
Les actes qu’on pourrait qualifier de désobéissance civile ne manquent pas à travers l’histoire. On peut en effet considérer que les actes à l’origine de « l’esprit » de la désobéissance civile émanent de l’Antiquité grecque. Par la suite, les exemples de désobéissance civile s’ancrent plutôt dans une perspective de désobéissance spirituelle et sont le fait de chrétiens refusant de se plier aux lois des hommes au nom de la loi divine. Toutefois, l’histoire de la désobéissance civile telle qu’elle est de nos jours est essentiellement construite suite aux mouvements de résistance pacifique de deux hommes : Gandhi et Martin Luther King.
L’esprit de la désobéissance civile dans l’Antiquité grecque : Antigone
L’exemple le plus connu de désobéissance à l’arbitraire du pouvoir durant l’Antiquité grecque est celui d’Antigone, héroïne du roman de Sophocle, écrit en 439 avant Jésus-Christ.
La jeune femme se voit interdire par le roi de Thèbes Créon de donner une sépulture décente à son frère, Polynice mort en ayant combattu contre la cité. Se refusant à cette injonction au nom des « lois non écrites et éternelles des Dieux », Antigone n’écoutera que son cœur pour aller enterrer son frère sous les yeux des soldats. Cet acte courageux est resté célèbre en tant qu’exemple de désobéissance civile aux abus du pouvoir de l’Etat.
La désobéissance spirituelle des chrétiens préférant la loi divine à la loi des hommes
Dès ses origines, le christianisme a établi une distinction entre la loi des hommes d’une part, la loi de Dieu et ses commandements d’autre part, comme en témoigne la célèbre formule « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matthieu, 22-15-21).
Parmi les préceptes chrétiens s’opposant aux lois romaines, on retrouve ainsi le commandement imposant de ne pas tuer, interprété par les premiers chrétiens comme une interdiction de faire la guerre. C’est ainsi que certains se mirent à refuser de combattre, de réaliser leur service militaire ou de porter les armes, ce qu’ils payèrent de leur vie.
Plus tard, au Moyen-Age, le théologien Thomas d’Aquin alla jusqu’à légitimer la désobéissance aux lois humaines en affirmant qu’il « vaut mieux obéir à Dieu qu’aux Hommes » (Actes 5, 29). Considérant que le droit divin est un droit naturel, fondé sur des principes universels et immuables, contrairement aux lois de la société, il appartient aux lois humaines d’être conformes à ce droit naturel. A défaut, pour Thomas d’Aquin, si un texte s’éloigne de cette loi éternelle, elle devient injuste et il est donc légitime de ne pas la respecter.
La marche du sel de Gandhi
Le premier mouvement contemporain de la désobéissance civile connu est celui initié par l’avocat indien Mohandas Karamchand Gandhi (1869-1948), théoricien du satyāgraha, la résistance à l’oppression par la désobéissance civile.
Suite à des études juridiques en Grande-Bretagne, ce dernier développa plusieurs actions pour la dignité humaine et la justice sociale en faveur des droits civique de la communauté indienne alors que l’Inde était sous domination coloniale britannique.
En septembre 1906, à Johannesburg en Afrique du Sud, il rassembla une assemblée de 3000 personnes pour créer un serment de désobéissance, ce qui lui valut deux séjours en prison l’année suivante. Il découvrit à l’occasion de son second séjour en prison les écrits de Thoreau et développa plus encore l’idée de désobéissance civile, qu’il mit en œuvre d’abord en Afrique du Sud, contre l’apartheid puis en Inde contre la domination britannique et l’indépendance du pays.
C’est en faveur de l’indépendance de l’Inde qu’il organisa alors une de ses actions de désobéissance civile les plus célèbres : la marche du sel, en 1930. Le gouvernement britannique avait en effet instauré un monopole d’Etat sur le sel, interdisant aux indiens d’en récolter, de le distribuer et imposant une taxe pour sa consommation, même aux plus pauvres.
Gandhi organisa en réponse une marche de 386km, le 6 avril 1930 pour aller au bord de l’Océan indien. Arrivé au niveau de l’océan, il recueillit dans ses mains un peu de sel. Ce geste purement symbolique fut imité par la foule de plusieurs milliers de sympathisants qui l’accompagnait. Suite à cela, les britanniques mirent près de 60 000 indiens en prison dont Gandhi, qui écopa d’une peine de neuf mois.
Mais, face à l’absence de résistance des indiens lors des arrestations et à l’impossibilité de mettre un terme au mouvement, le gouvernement britannique finit par céder : il libéra les prisonniers et autorisa les indiens à récolter eux-mêmes le sel.
Le boycott des bus de Montgomery de Martin Luther King
Martin Luther King (1929-1968) est un pasteur baptiste afro-américain célèbre pour sa lutte non-violente en faveur des droits civiques des noirs aux Etats-Unis. Pour sa lutte en faveur de l’égalité des droits, il obtint même en 1964 le Prix Nobel de la Paix.
Parmi ses nombreuses actions en faveur des droits civiques des noirs américains, une des plus célèbres usant de la désobéissance civile est celle du boycott des bus de Montgomery en 1955.
A l’époque, la ségrégation raciale était répandue dans les transports publics aux Etats-Unis et dans la ville de Montgomery, un règlement précisait très clairement que les bus devaient être divisés en plusieurs parties. A l’avant, une section de dix places était réservée aux blancs ; à l’arrière, dix places étaient réservées aux noirs, tandis que les places au milieu étaient libres. Cependant, lorsque des noirs étaient assis dans cet espace du milieu et que des blancs entraient dans le bus, s’il n’y avait plus assez de places, ils devaient la leur céder.
Le 1er décembre 1955, une femme noire, Rosa Parks, assise dans la partie du milieu, refusa de céder sa place lorsque quatre blancs montèrent dans le bus. Le chauffeur, furieux, prévint alors la police qui la fit emprisonner.
La nuit suivante, Martin Luther King, alors jeune pasteur peu connu, réunit des dirigeants de la communauté afro-américaine pour discuter des actions à mener contre ce règlement, en prônant la non-violence et la désobéissance civile. Il s’ensuivit un boycott général des bus de la part de la communauté afro-américaine. En face, les blancs réagirent par des actes violents, dont le dynamitage du domicile de Martin Luther King, également victime de violences physiques auxquelles il ne répondit pas.
Malgré les difficultés, ce mouvement fut un succès : en novembre 1956, la Cour Suprême par l’arrêt Browder v. Gayle finit par déclarer que la ségrégation dans les bus violait la Constitution, ce qui fit cesser le boycott dès le lendemain.
La désobéissance civile : un outil redécouvert pour lutter contre le changement climatique
Ces dernières années, le mouvement de désobéissance civile reprend de l’ampleur, mais dans une nouvelle perspective. En effet, alors que la désobéissance civile au XXème siècle était essentiellement axée sur la lutte pour l’égalité des droits, de plus en plus, la désobéissance civile est mise au service d’une nouvelle cause : la défense de l’environnement.
Ce nouvel essor de la désobéissance civile par les milieux écologiques a commencé avec des actions comme celle de Greenpeace contre le nucléaire dès les années 1970 ou les faucheurs d’OGM menés par José Bové dans les années 2000.
Mais alors que ce type d’actions suscitait des réactions ambivalentes dans l’opinion publique, les actions les plus récentes suscitent pour leur part un engouement croissant. Pour preuve, le mouvement londonien Extinction Rebellion, lancé en octobre 2018, à la même période que les grèves scolaires pour le climat, fait de plus en plus d’émules en France. Après plusieurs blocages en Grande-Bretagne, dont ceux des principaux ponts de Londres en novembre 2018 par plusieurs milliers de personnes, le mouvement a traversé la Manche.
En France, les tenants de la désobéissance civile pour le climat ont d’abord formulé une déclaration de rébellion en mars 2019, place de la Bourse à Paris. Puis, début avril, ils ont déversé plusieurs tonnes de vêtements usagés devant le magasin H&M de la rue Lafayette, à Paris pour faire réagir l’opinion publique face aux dégâts environnementaux et sociaux de l’industrie textile. Enfin à l’occasion de la « semaine internationale de la rébellion » fin avril, les militants français d’Extinction Rebellion, rejoints par ceux de Greenpeace et des Amis de la Terre, ont organisé un blocage à la Défense, au niveau des tours de Total, la Société Générale et EDF.
L’autre spécificité de ce mouvement est qu’il a une dimension internationale, tant en raison de la cause défendue qu’en raisons des nouvelles technologies de l’information et des communications, au premier chef desquelles viennent les réseaux sociaux.
Finalement, la désobéissance civile est un moyen de lutte pacifique, qui est en plein renouvellement de pour faire face à la crise environnementale. Contrairement aux précédents mouvements de désobéissance civile, celui-ci est novateur dans la mesure où il s’inscrit dans une perspective internationale et fait usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication, dont les réseaux sociaux. Cette méthode de résistance non-violente semble donc avoir de beaux jours devant elle, car elle suscite de plus en plus d’adeptes et de curieux.
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