Toutes les études récentes le montrent : les Français s’intéressent au développement durable et à l’environnement. Mais quand il s’agit de s’y mettre concrètement, ils se focalisent sur les mauvais sujets et sur des gestes anecdotiques.
En ce moment, les sondages montrant l’intérêt des Français pour l’écologie se multiplient. De plus en plus, l’environnement est une priorité pour les Français, parfois même plus que le chômage ou le pouvoir d’achat.
Pourtant, ces mêmes études montrent qu’une grande partie des Français se focalise sur des gestes qui n’ont pas un grand impact.
Arrêtons de réduire l’écologie aux sacs en plastique
À chaque fois, c’est la même chose : lorsqu’on demande aux Français s’ils considèrent être éco-responsables, ils répondent toujours oui. La dernière étude en date, de Yougov pour Business Insider, le montre encore une fois : 70% des Français se considèrent éco-responsables.
De plus en plus, ils mettent l’environnement, l’écologie, le climat au coeur de leurs préoccupations, et se disent prêts à changer leurs façon de vivre pour faire face à ces enjeux.
Pourtant, à chaque fois, ce sont les mêmes « éco-gestes » qui sont plébiscités : refuser les sacs plastiques au supermarché, trier ses déchets, éteindre la lumière en sortant d’une pièce, prendre des douches plutôt que des bains, acheter des fruits et légumes de saison… Dans l’étude Yougov, 80% des Français disent « réduire leurs déchets » en faisant le tri et en refusant les sacs plastiques. 75% disent « faire attention à leur consommation électrique ». Dans l’Émission de la Terre, diffusée en octobre, on trouve dans le top 5 des gestes les plus adoptés par les Français : acheter des fruits et légumes de saison, remplacer les bouteilles et gobelets par des gourdes, et supprimer ses e-mails.
Ces gestes, certes symboliques, sont pourtant bien souvent ceux qui ont le moins d’impact concret sur la problématique écologique.
Des éco-gestes anecdotiques
Si l’on regarde l’empreinte carbone des Français, on voit tout de suite quels gestes ont un impact important. Le premier poste d’émissions de CO2 d’un Français, c’est sa voiture : 2 tonnes de CO2 par an. C’est notre usage de la voiture qui constitue notre plus grande contribution au réchauffement climatique. Pourtant, la réduction de l’usage de la voiture arrive bien souvent assez loin quand on parle des éco-gestes. Seuls 33% des Français se disent prêts à privilégier les transports en commun ou le covoiturage selon Yougov. Mettre sa voiture au garage pour les trajets de moins de 3km arrive seulement en 7ème position dans l’émission de la Terre. Et on ne parle que des trajets de moins de 3 km ! Sachant qu’un Français parcourt en moyenne 50km par jour en voiture pour aller au travail…
Ensuite, parmi les activités des Français, c’est la consommation énergétique des bâtiments qui émet le plus de CO2. Mais ce n’est pas en éteignant nos lumières en sortant d’une pièce que l’on diminuera ces émissions. L’éclairage (hors éclairage public) représente moins de 10% des consommations électriques en France selon l’ADEME. De plus, l‘électricité française n’émet pratiquement pas de CO2. La plus grosse part des consommations énergétiques des bâtiments, c’est le chauffage. En diminuant le chauffage d’un ou deux degrés, on a donc infiniment plus d’impact qu’en éteignant ses lumières. Et le mieux, serait encore d’investir pour améliorer l’isolation des logements. Ou encore, de réduire la surface moyenne par habitant pour réduire nos besoins.
Le troisième grand poste d’émissions de gaz à effet de serre, hors services publics, ce sont nos achats de matériel électriques et électroniques : smartphones, tablettes, ordinateurs, gadgets, électro-ménager. Ces objets qui tombent en panne trop vite, que l’on ne peut pas réparer, émettent plus de CO2 que notre alimentation, et produisent des déchets critiques incomparablement plus importants que les sacs plastiques. Et soyons clairs : ce n’est vraiment pas en supprimant nos e-mails que l’on réduira l’empreinte environnementale du numérique, ni même en blâmant le streaming. (Voir : Pollution du numérique : halte aux idées reçues)
L’écologie : sortir de l’idée des éco-gestes indolores
Nous sommes dans une situation complètement paradoxale vis-à-vis de l’écologie. Elle devient une priorité incontestable pour beaucoup de Français, mais en même temps nous ne parvenons pas à mettre en oeuvre les transformations qui auraient vraiment de l’impact.
L’idée largement admise est que l’écologie peut se résoudre par des éco-gestes à la marge, n’impliquant ni changement de mode de vie réellement significatif, ni transformations globales du système. Pourtant, les données disent exactement le contraire.
Ce n’est pas en demandant à chacun d’éteindre les lumières qu’on réduit l’impact de nos consommations énergétiques : c’est en faisant la transition vers un mix énergétique durable, décarbonné. Ce n’est pas en laissant sa voiture au garage pour quelques trajets très courts que l’on réduira l’empreinte carbone du transport ou la pollution de l’air : c’est en changeant durablement nos habitudes de mobilité, en mettant en place des structures de transport en commun plus efficaces, en laissant la voiture au garage dès que cela est possible, même si cela est moins confortable ou un peu plus long. Ce n’est pas non plus en demandant aux internautes de supprimer leurs e-mails qu’on améliorera l’empreinte environnementale du numérique : c’est en régulant le système, en imposant des règles claires aux fabricants sur l’obsolescence programmée, en créant des normes sur le design des site web…
C’est la même chose dans tous les domaines : les décisions des consommateurs sur des enjeux à la marge ne peuvent pas avoir un impact significatif tant que cela ne se fait pas en conjonction avec une politique globale et systémique.
Par exemple : les fruits de saison, c’est bien, manger un peu moins de viande, c’est bien. Mais le plus important, c’est surtout que le système agro-alimentaire se transforme. Que les pratiques agricoles changent, ainsi que celles des distributeurs. Que l’on produise moins de viande, avec des méthodes plus écologiques. Que les distributeurs favorisent les produits les plus écologiques. Et pour ça, il faut de la régulation politique.
Et ça ne se fera pas si l’on continue à se focaliser sur des éco-gestes qui ne sont, au fond, que des détails dans le problème écologique global.