Tout le monde est contre l' »écologie punitive ». Mais qu’est-ce que ça veut dire au juste ? Que recouvre ce mot ? Quelle rhétorique cache-t-il ? Et comment mieux comprendre les débats autour de lui ? Tentons de comprendre.

Ces dernières années, à chaque fois qu’une réglementation forte est prise au nom de l’écologie, de nombreux acteurs montent au créneau pour dénoncer une écologie dite « punitive ».

Qu’il s’agisse d’une taxe, d’interdictions, de malus financiers voire de quotas : quand l’écologie contraint, on dit qu’elle est punitive. On l’a encore vu ces dernières jours avec la polémique sur la réduction à 110 km/h de la vitesse de circulation sur les autoroutes, que certains sont allés jusqu’à qualifier de « liberticide ».

L’argument est massue : ce qui est punitif, liberticide, est par définition mauvais, non-souhaitable. Les mesures prises pour limiter l’usage de la voiture sont punitives, elles sont « une guerre contre les automobilistes ». Une société qui fait la guerre à ses propres citoyens ? Voilà une réalité inacceptable, qu’il faut évidemment dénoncer.

À la limite, il est même inutile d’en débattre. Tout le monde semble d’accord : l’écologie punitive, ce n’est pas bien. Mais ne peut-on pas interroger ce consensus apparent ? Qu’y-a-t-il de si mal à ce qu’une politique écologique soit « punitive » ? Déjà, que veut-on dire par là ? Et surtout, compte tenu de l’urgence écologique que chacun peut constater, n’est-ce pas nécessaire ?

Écologie punitive : de quoi parle-t-on ?

Aussi étrange que cela puisse paraître compte tenu de l’utilisation massive de cette expression, l' »écologie punitive » n’a pas vraiment de définition claire. On ne sait pas où se situe la frontière entre l’écologie acceptable, consensuelle, et l’écologie punitive ou liberticide.

Demander à des citoyens de ne pas jeter leurs déchets dans la nature (et les punir d’une amende s’ils le font), est-ce « punitif » ? Leur demander de trier leurs déchets, est-ce punitif ? Et leur réclamer de payer des taxes et impôts pour financer la transition énergétique ? Ou encore, leur imposer un malus sur l’achat de produits polluants (comme les véhicules polluants) ? Imposer à une entreprise de payer une taxe carbone, ou une taxe sur le kérosène peut-il être considéré comme punitif ? Et interdire à un agriculteur d’utiliser tel ou tel pesticide qui facilite son travail ?

Toutes ces propositions ne sont que des formes variées de régulation des comportements qui n’ont qu’un objectif : réduire notre empreinte environnementale ou augmenter nos capacités à le faire. La limite qui détermine à partir de quel moment ces formes de régulation deviennent punitives, liberticides ou trop contraignantes n’est pas définie à priori ou de façon absolue.

Par définition, toute forme de loi, de régulation ou de norme est une privation de liberté et toute sanction assortie à ces règles est punitive. Lorsqu’on exige d’un automobiliste qu’il porte sa ceinture de sécurité ou qu’il roule à 50 km/h en ville, on limite sa liberté. Et lorsqu’on lui met une amende pour non-respect de ces règles, on est dans le registre du punitif. Ce qui détermine lesquelles de ces normes sont acceptables ou non, c’est le dialogue social, les procédures démocratiques et juridiques : l’obligation du port de la ceinture de sécurité est aujourd’hui jugée acceptable parce que nous avons collectivement décidé que c’était une privation de liberté nécessaire et acceptable pour garantir la sécurité de chacun.

Peut-on refuser l’écologie au seul prétexte qu’elle est punitive ?

Lorsque l’on dit « ceci est de l’écologie punitive », on dit simplement « telle mesure me contraint, je n’en veux pas ». Mais dans un cadre collectif, ce n’est pas, en soit, un argument, puisqu’il serait alors applicable à n’importe quel domaine où la contrainte collective agit. L’obligation du port du masque dans les transports en commun, le respect des gestes barrière et le confinement sont-ils de la « santé punitive » ? L’obligation pour les producteurs alimentaires d’afficher clairement leurs ingrédients sur les étiquettes de leurs produits est-elle de la « transparence punitive » ?

Oui et non. Ce sont en effet des mesures « punitives » dans le sens où elles limitent les libertés individuelles et s’accompagnent de sanctions. Mais en même temps, ce n’est pas pour cela qu’on les refuse. Ce sont des règles collectives décidées pour l’intérêt général et acceptées collectivement pour cette raison. On peut bien entendu les contester, débattre de leur utilité, de leur faisabilité, mais l’argument « c’est punitif » n’est pas nécessaire, et surtout pas suffisant pour cela.

C’est là le fonctionnement normal et essentiel d’une société : se fixer des règles collectives, parfois contraignantes, parfois punitives, pour encadrer des comportements individuels qui, sinon, seraient nocifs pour la collectivité. À priori, il n’y a pas de raison que l’écologie politique, en tant que problématique collective, échappe à ce fonctionnement.

Règles collectives : l’écologie serait-elle l’exception ?

Et pourtant, c’est toujours l’argument de l’écologie punitive qui revient quand il s’agit de marquer son refus d’une mesure à visée écologique. Du patronat aux fédérations d’automobilistes, en passant par des personnalités politiques chacun exprime son rejet de l’écologie punitive, qu’il préfèrerait voir « incitative » et « positive », voire « inspirante ».

Plutôt que de contraindre les individus, il faudrait donc les « inciter » à prendre leurs responsabilités individuelles et à agir d’eux-mêmes sans que l’Etat s’en mêle à coups d’amendes jugées « infantilisantes ». Il faudrait inciter mais seulement par le positif. L’écologie serait alors une sorte d’exception au coeur de la société, le seul domaine où l’on attend des individus et des entreprises qu’ils se comportent spontanément « comme il faut » pour l’intérêt général, sans qu’aucune contrainte légale ou sanction ne soit décidée.

Un peu comme si l’on décidait que finalement, les règles et les sanctions du code de la route étaient trop punitives et que l’on préférait miser sur le fait que chaque automobiliste roulera bien spontanément à 50 km/h en ville… Ou que l’on se contentait d’incitatifs, en proposant un abattement d’impôt à chaque automobiliste se faisant contrôler avec sa ceinture de sécurité.

Le problème, c’est que rare sont les situations où les comportements individuels s’accordent spontanément avec nos objectifs collectifs et où l’on peut réellement se passer d’un arbitrage régulateur. Et c’est particulièrement vrai quand il s’agit de se contraindre volontairement pour une cause qui ne nous apporte pas de bénéfice direct identifiable. L’écologie en est une illustration parfaite.

Écologie punitive : attendre la prise de conscience ?

La grande majorité des citoyens savent ce qu’il faudrait faire pour lutter contre le réchauffement climatique, par exemple. Ils savent que la voiture fait partie des principales causes de nos émissions de CO2 (c’est même la première source de CO2, en France) et qu’il faut donc réduire l’usage de la voiture. Cela fait plus de 30 ans qu’on le sait et qu’on le rabâche à longueur d’articles, d’appels de scientifiques ou de tribunes pour l’action climatique. On peut même se risquer à dire que ceux qui ne savent pas aujourd’hui n’ont probablement pas envie de savoir.

Malgré ça, la tendance va dans le sens exactement opposé : l’usage de la voiture ne faiblit pas et même il se renforce en se déplaçant vers des véhicules toujours plus gros et toujours plus polluants. Pour l’avion, c’est la même chose : on sait qu’il faut limiter les voyages en avion. Pourtant, jamais nous n’avons tant volé que ces dernières années. Seul le confinement a pu inverser légèrement la tendance.

Faut-il attendre encore plusieurs dizaines d’années que chacun (entreprises, citoyens…) « prenne ses responsabilités », sans garantie que ça arrive un jour ? Il ne s’agit pas de dire que les incitatifs et la sensibilisation ne servent à rien. Mais parfois, ils ne fonctionnent pas, ou ne vont pas assez vite. Si l’on refuse d’aller plus loin, inutile d’espérer atteindre nos objectifs climatiques : on relèguera la préservation de l’environnement, pourtant citée comme prioritaire par une majorité de citoyens, aux calendes grecques.

L’innovation peut-elle éviter l’écologie punitive ?

Toujours pour éviter l’avènement d’une écologie punitive qui pourrait restreindre nos libertés, certains en appellent alors à miser sur les « solutions alternatives ». Des technologies, des innovations, des nouveaux modèles qui permettraient de s’en sortir sans avoir à faire quelque sacrifice que ce soit.

Il faudrait alors trouver des énergies qui ne polluent pas, des véhicules zéro carbone, des avions électriques ou des biocarburants, des méthodes révolutionnaires d’économie circulaire pour tout recycler, des solutions inspirées de la nature pour éviter de la détruire. Tout cela repose sur la conviction qu’il est possible de trouver des technologies pour faire exactement comme aujourd’hui (même mieux) mais sans polluer.

Or cette conviction ne repose sur aucune preuve concrète. Pire : les solutions alternatives existantes à ce jour, même lorsqu’elles sont plus écologiques, imposent toujours de faire des concessions. La voiture électrique n’a pas la même autonomie que la voiture thermique, et elle génère aussi des pollutions (batterie, production de l’électricité) certes moindres, mais réelles. Les énergies renouvelables reposent sur un modèle intensif d’extraction minière, et elles ne permettent pas à elles seules de produire à la demande des quantités suffisantes d’énergie pour des grandes échelles. Les biocarburants consomment des terres arables. Même l’hydrogène, vanté comme un miracle vert, n’a d’écologique que le nom : il est produit à base de quantités considérables d’énergies fossiles (au pire) ou d’électricité pas toujours propre (au mieux).

Si l’on regarde tous les rapports d’experts, dans des domaines aussi variés que la production d’énergie, le transport, l’industrie ou l’agriculture, on voit qu’il est impossible compte tenu des technologies actuelles ou de celles qui sont en développement, de soutenir notre mode de vie actuel à l’identique sans faire de concessions.

L’écologie : pas plus punitive qu’autre chose

L’écologie que d’aucuns qualifient de punitive n’est que celle qui a fait le constat qu’on ne résoudra pas les crises écologiques actuelles en pariant sur de très hypothétiques prises de conscience globales (qui n’arrivent pas malgré 30 ans de sensibilisation) ou sur des miracles technologiques improbables. Toutes les données indiquent qu’il faudra sacrifier certains aspects de nos modes de vie : restreindre nos déplacements en véhicules individuels, consommer moins d’énergie, moins de biens matériels.

On ne fera pas d’écologie sans concessions. Et pour que ces concessions soient faites, il faudra probablement parfois recourir à une contrainte légale, à des normes, à des règles collective. Réduire la vitesse sur les autoroutes à 110 km/h n’est qu’une manière de traduire en règle collective explicite la nécessité de réduire notre consommation de carburant afin de parvenir à une réduction de émissions de CO2. Cette règle serait utile pour servir un objectif important pour la communauté.

On peut qualifier cette règle de punitive, mais elle ne l’est en réalité pas plus que toutes les autres règles qui limitent déjà nos libertés au nom de principes collectifs supérieurs.

Définir le partage de la contrainte

À la limite, on peut dire que cette règle frappe trop certaines catégories de population : les automobilistes, notamment ceux qui roulent beaucoup et qui prennent fréquemment l’autoroute. C’est d’ailleurs aussi l’une des récriminations des détracteurs de l’écologie soit disant punitive : elle ciblerait toujours les mêmes. Mais compte tenu du fait que le transport routier individuel est la première cause de nos émissions de CO2, n’est-il pas logique que ceux qui en sont responsables soient ceux qui aient à s’adapter le plus ? Surtout quand il ne s’agit que de perdre au pire quelques minutes par jour.

Poser ce type de questions revient finalement à s’interroger sur la légitimité de la contrainte et sur son partage dans la société. Qui doit porter la responsabilité des émissions de CO2 et de leur réduction ? Comment s’assurer que le partage de cette responsabilité soit équitable et prenne en compte les inégalités sociales et économiques ? On touche là à des questions sociales et politiques fondamentales pour la transition écologique. Mais il ne s’agit alors plus de dénoncer une politique écologique pour son caractère « punitif » ou non, mais de questionner la justice de cette politique contraignante.

Et ce n’est pas du tout la même chose. Car pour discuter du partage de la contrainte, de l’équité ou de la justice d’une mesure écologique, il faut d’abord accepter la nécessité de cette contrainte. Et que ce n’est pas une « punition » mais un mal nécessaire face à un risque collectif élevé.

Écologie : réviser nos priorités

Si l’on se lance dans cette analyse, on aura alors tout le loisir de constater que nous sommes tous, en tant que rouages d’un système, collectivement responsables des émissions de CO2 et de la catastrophe écologique en cours.

Et que tous, nous devrons accepter (si l’on souhaite faire la transition) de renoncer à certaines choses. Pour rappel, c’est une division par 5 de nos émissions de CO2 qu’il faut viser si l’on veut atteindre nos objectifs climatiques. Et si l’on refuse de diviser nos émissions, c’est la crise climatique et environnementale qui se chargera de nous forcer à faire des concessions. La contrainte sera donc inévitable et portera sur tout le monde, qu’on le veuille ou non. Il faudra bien évidement la répartir, de manière à ce que les plus fragiles et les plus précaires ne soient pas systématiquement les plus exposés. Il faudra adapter nos systèmes sociaux, économiques et territoriaux pour s’adapter à ces nouvelles contraintes. Il faudra prioriser, savoir ce à quoi l’on peut renoncer et ce qui est indispensable.

Et à ce compte là, il n’est pas certain que les choses qui suscitent aujourd’hui tant de passion chez ceux qui dénoncent l' »écologie punitive » continuent d’être vues comme des priorités dans un monde où les arbitrages seront probablement beaucoup plus durs. Préfèrera-t-on sacrifier un peu notre sacro-saint amour de la voiture, ou les consommations énergétiques nécessaires aux secteurs de la santé, de l’accès à l’eau ou à l’information, par exemple ?

Dans un tel contexte, il n’est pas certain que rouler à 110 plutôt que 130 apparaisse réellement comme une privation si terrible de liberté.